Dans un ouvrage récemment publié, Le scandale des accouchements en France, deux journalistes, A. Cortes et S. Leurquin, dénoncent l’augmentation de la mortalité infantile en France, avec un taux de 4,1 décès avant un an pour 1000 naissances, contre 3,5 il y a 20 ans. Ils imputent cette augmentation à deux causes, la fermeture des petites maternités au bénéfice de grands centres qualifiés « d’usines à bébés » (ils s’appuient sur une étude menée en Bourgogne selon laquelle un temps de trajet supérieur à 45 minutes doublerait la mortalité périnatale) et un manque de personnel qualifié. Les journalistes n’hésitent pas sur les formules chocs (« baby-crash », « des bébés meurent dans un silence coupable ») évoquant même les « méthodes de bouchers » de certains accoucheurs et de véritables « cassages de bébé ».
Articles de presse, question écrite à la ministre de la santé le 18 mars, interpellation de celle-ci à l’Assemblée nationale le 27 mars, avec alors annonce de la mise en place de « registres des naissances et des décès », comme demandé dans l’ouvrage, qui permettront de connaître les raisons médicales de la mortalité périnatale et de « comprendre précisément les causes de son augmentation ».
La décision est très utile : elle était demandée depuis des années par les professionnels, par des rapports parlementaires (les plus récents sont une Mission flash de décembre 2023 et un rapport du Sénat de 2024) et par la Cour des comptes (La politique de périnatalité, mai 2024). Il est un peu irritant que le gouvernement s’empresse d’agir dès lors qu’un ouvrage racoleur et discutable le lui demande et n’ait pas prêté attention aux travaux d’expertise dont il dispose depuis longtemps. Le communiqué de presse de la Société française de médecine périnatale est d’ailleurs très clair : elle se félicite de la décision prise, rappelle la teneur et l’urgence de leurs dernières propositions de réforme globale de la politique périnatale, sont heureux que la parution de l’ouvrage ait au moins conduit à une première prise de conscience mais se démarquent nettement de l’analyse des auteurs quant à la responsabilité de la fermeture des petites maternités ou de l’allongement des temps de trajet, jugée sans pertinence scientifique. De fait, l’étude portant sur l’impact de la distance domicile maternité en Bourgogne (https://drive.google.com/file/d/15gKOdMi0sGYE-KtZinHGJsPgyR0J0C4V/view) reconnaît elle-même que la faiblesse des effectifs concernés par les temps de trajet supérieurs à 45 minutes (0,3 % des trajets étudiés) rend les résultats « non significatifs ». Les rédacteurs de l’étude maintenaient toutefois leur inquiétude, même s’ils ne pouvaient l’étayer, sur les conséquences néfastes de l’éloignement. Personne en tout cas ne nie qu’imputer à cette cause l’augmentation nationale de la mortalité périnatale est une sottise.
Il faut se reporter aux analyses de l’INSEE et de l’Inserm pour comprendre les données dont on dispose et les interrogations qu’il faut lever. Il existe également des études localisées, dont la plus connue est l’étude épidémiologique de l’Inserm sur la Seine-Saint-Denis publiée en 2015, département dans lequel le taux de mortalité périnatale atteint en 2023 5,8 décès pour mille.
L’Insee et l’INED notent que le taux de mortalité infantile a commencé à augmenter à partir de 2011, passant de 3,5 ‰ à 4,1 ‰ en 2024 et passant au-dessus de la moyenne européenne en 2015. 75 % de ces décès ont lieu dans le premier mois. Le risque touche davantage les garçons (taux de 4,3 en France métropolitaine) que les filles (3,6), davantage les enfants de naissances multiples, davantage les mères des DOM (les taux dans les DOM vont de 6,6 ‰ à 9,5 ‰) ou venant d’Afrique, davantage les mères très jeunes ou après 40 ans, davantage les employées, les ouvrières ou les femmes inactives que les autres. La France est 20e en Europe. A titre de comparaison, le taux de mortalité périnatale en Suède est de 2,1 ‰, celui de la Finlande de 1,8, ceux de l’Italie et du Portugal de 2,5 tandis que la Turquie est à 10.
Un Focus de l’Insee de 2018, une étude de 2019 de la revue scientifique The Lancet mettaient déjà en lumière cette aggravation, cette dernière étude montrant que la tendance reste nette même quand on élimine les enfants morts le premier jour (longtemps comptés comme mort-nés) ou quand on annihile l’effet de l’augmentation de la prématurité.
Comment expliquer ces données et surtout les améliorer ?
Les propositions de la Société française de médecine périnatale portent sur le renforcement des équipes de soins qui sont en situation de pénurie (ils sont d’accord sur ce point avec l’ouvrage évoqué ci-dessus), sur une meilleure gestion des fermetures de petites maternités qui peuvent être transformées en « maternités sans accouchements » pour assurer un suivi de proximité, sur le développement d’une offre d’hébergement à proximité des maternités pour éviter les transports trop longs.
Les données mentionnées dans les diverses études médicales suggèrent surtout la forte importance de facteurs sociaux et de niveau d’éducation : de fait, l’étude épidémiologique menée en Seine-Saint-Denis montre que la moitié des mères concernées était obèses ou en surpoids, que 20 % avaient une maladie chronique, que 7 % n’avaient pas de couverture sociale et 9 % à la CMU, que 23 % étaient dans une situation socialement difficile voire d’extrême insécurité (errance, violences) et qu’un quart des décès d’enfants était lié à ces conditions de vie difficiles, voire à une extrême pauvreté. L’étude notait une sorte d’interaction négative entre ces caractéristiques sanitaires et sociales et le fonctionnement du système de santé, peu adapté à ces publics (difficulté de communication et de compréhension, difficulté des femmes à prendre un rendez-vous, non compliance des femmes qui ne suivent pas les conseils qu’elles n’ont peut-être pas compris, manque de communication entre l’hôpital et les intervenants de ville). Un tiers des décès aurait pu être évités, dit-elle. La solution préconisée était donc d’améliorer l’accompagnement préventif des femmes enceintes en difficulté sociale ou linguistique et d’individualiser le suivi. Dans ce cadre, l’affaiblissement des services de Protection maternelle et infantile et la difficulté de recrutement des personnels de santé aggravent sans doute le constat. De fait, le bilan 2025 de l’ARS d’Ile-de-France montre que le plan de lutte défini dès 2014 et renforcé après le constat de l’Inserm a eu en Seine-Saint-Denis des effets positifs les premières années mais que, dès 2018, le taux de mortalité périnatale a recommencé à augmenter, alors qu’il a baissé dans le 94 et le 95. Est-ce lié à la très forte concentration de migrants particulièrement pauvres dans ce département ?
Dans son rapport de 2024, la Cour des comptes met de fait l’accent sur les inégalités sociales et territoriales de santé tout en recommandant la mise en place d’un système d’information (les registres) permettant de fonder la définition d’une politique nationale. Elle note que la récente stratégie dite des « 1000 premiers jours » prévoyant notamment des entretiens pré et postnataux dans les familles que l’on craint exposées prend bien en charge les risques psychiques et relationnels mais pas assez la qualité et la sécurité des soins : un renforcement fort de la prévention est notamment nécessaire pour lutter contre les facteurs de risque que présentent les mères, avec un suivi très personnalisé.
Reste à espérer que la ministre de la santé ne s’en tiendra pas à la décision de la mise en place des registres et s’engagera davantage dans des choix de fond dont la nécessité est, dès aujourd’hui, évidente.