Droit à l’aide à mourir : c’est mal parti

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Droit à l’aide à mourir : c’est mal parti

Deux textes sont en cours d’examen au Parlement en ce mois de mai 2025. Le premier est une proposition de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement, dont l’objet est de mieux répondre aux besoins en ce domaine, notamment en prévoyant l’adoption d’une loi de programmation quinquennale tendant au développement de tels soins. Le second texte est une proposition de loi relative à la fin de vie qui définit l’aide à mourir, précise les conditions et les procédures pour y accéder et prévoit une clause de conscience permettant aux professionnels de santé de refuser d’y participer.

Comme en témoigne une enquête de 2024 (Le regard des Français sur la fin de vie, IFOP, mai 2024), l’opinion publique est très favorable aux dispositions prévues : 92 % des Français sont favorables à l’euthanasie (administration d’un produit létal à un malade souffrant de douleurs insupportables et incurables) et 87 % au suicide assisté (le malade prend lui-même le produit sous la supervision d’un professionnel de santé). Un autre sondage de l’IFOP d’avril 2025 montre que 74 % des médecins sont favorables à la légalisation de l’aide à mourir.

Pourtant, le vote du texte ne va manifestement pas de soi et le combat n’est pas gagné.

La préparation du texte a d’abord été interminable, scandée par des reculades diverses. Le problème de la fin de vie est posé depuis 23 ans, depuis la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades qui permet à ces derniers d’une part, de rédiger des « directives anticipées » pour exposer leur choix quant à leur fin de vie et, d’autre part, de refuser les soins même si ce refus met leur vie en danger. Depuis lors, la question a toujours été traitée de manière partielle et insatisfaisante.

La loi Léonetti relative aux droits des malades et à la fin de vie du 22 avril 2005 a refusé l’acharnement thérapeutique et permis, dans certains cas, l’arrêt des traitements, dans des conditions douloureuses, sinon pour le malade, du moins pour la famille, la mort pouvant être longue à venir.  En termes éthiques, laisser mourir et faire mourir, c’est pareil : ce qui compte, c’est de faire le choix de la mort d’une personne, peu importe le moyen. Les parlementaires et la plupart des médecins s’accrochent pourtant à cette distinction : on laisse mourir mais tout geste actif reste interdit, même par compassion.

En 2012, le candidat Hollande s’était engagé à proposer un texte permettant à toute personne atteinte d’une maladie incurable provoquant une souffrance insupportable de bénéficier d’une assistance médicale pour mourir. Le Président Hollande, une fois élu, a tout fait pour ne pas tenir parole : en 2012, appel à une Commission de réflexion (Commission Sicard) composée de médecins et de personnalités qualifiées ; puis, en 2013, réunion d’une Conférence de citoyens représentatifs de la population française, choisis aléatoirement ; enfin, demande d’avis au Conseil national d’éthique (CNE). Les deux premiers avis ont été favorables, si certaines conditions étaient réunies, à un geste actif, avec force et clarté.  Au CNE, en revanche, une majorité a refusé tout geste actif, pour des raisons de principe. C’est cet avis qui l’a emporté : la loi du 2 février 2016 sur la fin de vie s’est contentée d’affirmer le droit à une sédation profonde en fin de vie et l’obligation de respecter les directives anticipées rédigées par la personne.

Après plusieurs propositions de loi non abouties, le thème est réapparu pendant la campagne électorale de 2022 : le candidat Macron, qui se disait alors personnellement favorable au modèle belge qui permet euthanasie et suicide assisté à certaines conditions précises, a alors évoqué la consultation (encore) d’une convention citoyenne. De fait, une nouvelle convention a été, en 2022, chargée d’étudier la nécessité et la teneur d’une éventuelle modification des textes relatifs à l’accompagnement en fin de vie. Un rapport a été remis en avril 2023. Massivement, la convention a considéré que des améliorations étaient nécessaires, certaines situations ne recevant pas de réponse satisfaisante.  76 % des membres ont souhaité que la loi donne accès concurremment et à l’euthanasie et au suicide assisté, avec des conditions strictes (pour l’essentiel, une volonté clairement exprimée, un discernement reconnu, des conditions portant sur l’état médical de la personne) et des garde-fous (validation de la demande par un médecin et procédures de contrôle).

Malgré la qualité reconnue du rapport de la Convention, malgré la force de ses conclusions, le Président de la République a ensuite hésité, tergiversé, ayant manifestement peur de traiter un sujet jugé inflammable. Il a finalement décidé de soumettre un projet de loi au Parlement en mai 2024. La dissolution interrompra les débats et le projet revient aujourd’hui, plus de deux ans après le rapport de la Convention citoyenne.

L’histoire n’est pas finie : le premier ministre actuel, F. Bayrou, a tout fait pour fragiliser l’adoption du texte, voire pour le discréditer. Le texte de 2024 comportait, par souci de ne pas se centrer exclusivement sur le geste de mort et pour répondre à certaines objections selon lesquelles la prise en charge de la douleur modifierait le désir de mourir, des dispositions sur les soins palliatifs, très insuffisamment répandus en France alors même que la loi du 4 mars 2002 prévoyait que l’accès à de tels soins était un droit. Le Premier ministre a décidé de scinder en deux le projet, d’un côté le projet consensuel sur les soins palliatifs, de l’autre le projet plus controversé sur l’aide à mourir, en espérant que cette scission faciliterait le refus d’adopter le deuxième. F. Bayrou n’a pas hésité au demeurant à stigmatiser l’aide à mourir telle qu’elle serait pratiquée en Belgique, déclarant en janvier 2025 que le dispositif avait aidé à mourir des adolescents simplement mal dans leur peau. L’ignominie d’une telle assertion, inexacte, mal intentionnée et manipulatrice, a choqué.

Aujourd’hui, tandis que la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale a voté un amendement qui évoque « un droit à l’aide à mourir » et un autre qui prévoit que le malade peut librement choisir entre se donner lui-même la mort ou recourir à l’aide d’un tiers, certains parlementaires insistent pour restreindre le plus possible l’accès à l’aide à mourir : ils mettent notamment en cause la formulation d’une condition édictée par le texte : « Être atteint d’une affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale » et voudrait rétablir des formulations plus strictes (délais sur le pronostic vital, renoncement à la notion trop imprécise selon eux de « phase avancée » qui « ouvrirait les vannes à l’euthanasie »).

Dans ce débat, l’avis de la Haute autorité de santé (HAS) sur le texte, pour fondé qu’il soit, ne contribuera pas à apaiser les passions : la HAS en effet considère qu’il n’existe pas de consensus médical sur la portée des termes utilisées dans les premières versions du texte : « pronostic vital engagé à moyen terme ».  Dire que le pronostic vital est engagé dans un terme donné est une prédiction entourée d’incertitude, la progression de la maladie tenant au malade. Les autres pays qui ont légiféré sur l’aide à mourir évitent au demeurant de retenir des critères temporels.  La Has suggère donc de s’appuyer sur une anticipation de la qualité du temps qui reste à vivre. S’agissant des termes « phase avancée », la HAS l’interprète comme un constat d’entrée dans une phase irréversible de la maladie et accepte les termes de l’expression.

Les opposants au texte, qui voulaient réintroduire des temporalités, tireront parti de cette réflexion : ils plaideront que, dès lors que l’on n’est pas certain que le pronostic vital est effectivement « engagé » dans un délai court et que le décès survienne rapidement, la décision de mettre fin à la vie ne peut être prise. Ils focalisent le débat sur le raccourcissement de l’agonie, alors que la portée du texte est bien plus large, portant sur les conditions de « la fin de vie » et la qualité de vie des personnes qui souffrent d’une maladie incurable.

Les débats risquent donc d’être houleux : le Rassemblement national semble prendre majoritairement parti contre le texte, même si Marine Le Pen, personnellement opposée, ne donnera pas de consignes de vote. J. Bardella a signé récemment une tribune reprenant tous les poncifs de la droite sur « la rupture anthropologique » que représenterait la reconnaissance du droit à l’aide à mourir.  Les mêmes arguments avaient été utilisés sur le mariage pour tous… Un ensemble de députés LR utilise les mêmes termes et le ministre de l’Intérieur du gouvernement qui propose le texte affiche lui-même son hostilité. La France risque de retomber sous la coupe des réactionnaires militants…