L’élection à la présidence du parti LR a été suivie par la presse comme un match entre deux personnalités, l’une, Bruno Retailleau, qui serait appréciée des militants mais aussi d’une partie des Français (sondage IPSOS, mars 2025) parce qu’il parlerait net et avec sincérité, l’autre, Laurent Wauquier, personnalité moins séduisante parce que considérée comme brutale, fabriquée, voire opportuniste : son parcours politique a commencé auprès du centriste J. Barrot et ce n’est que dans la décennie 2011 qu’il a viré progressivement vers une extrême-droite qui lui paraissait plus porteuse pour son avenir personnel. En réalité, on se fiche un peu de ces différences : les deux hommes sont idéologiquement très proches et leur campagne a été construite sur les mêmes thèmes. Certes, quand L. Wauquiez affirme une insanité pendant la campagne : « Il y a une profonde injustice dans ce pays, c’est que celui qui travaille ne gagne pas plus que celui qui reste chez lui», il récite manifestement une leçon à laquelle il ne croit pas 5 minutes, alors que quand B. Retailleau déclare, présentant en Conseil de défense un rapport sur les Frères musulmans : « Cet entrisme islamiste a pour objectif ultime de faire basculer toute la société française dans la charia », il profère une absurdité (que le rapport réfute au demeurant) dont il est, malheureusement, intimement convaincu. Pour autant, les deux hommes utilisent le même registre de communication : d’une part montrer que le bon sens est bafoué, que le travail n’est plus respecté et que l’État social délire, d’autre part dépeindre une France en déclin, soumise, par lâcheté, aux barbares qui la submergent et sèment la violence, enfin sans cesse cliver en rappelant que, selon l’expression de B. Retailleau, l’impératif premier est de protéger « la France des honnêtes gens ».
Et ce sont ces thèmes qui peuvent inquiéter car ils confortent l’extrême-droite, quelle que soient par ailleurs les divergences entre B. Retailleau et L. Wauquier sur le projet économique et social du Rassemblement national, que B. Retailleau rejette comme « socialiste » tandis que L. Wauquier admet des désaccords mais refuse « d’établir un cordon sanitaire ». En fait, les thèmes de prédilection de ces deux hommes coïncident exactement avec ceux du Rassemblement national, ils montrent le même dédain pour les faits et le même refus des valeurs de la République, en particulier l’adhésion aux principes d’égalité entre les hommes et de l’universalité des droits humains. Pour autant, si une majorité des Français se pince le nez devant le Rassemblement national, B. Retailleau bénéficie d’une étonnante bienveillance, sauf, il est vrai, de la part de D. de Villepin, qui, lucide, dénonce « la dérive d’une droite réactionnaire, ultraconservatrice et identitaire » et a du mal à « voir la différence entre B. Retailleau et le Rassemblement national ». Sur l’immigration, B. Retailleau pourrait même être classé parmi les extrémistes de ce mouvement, tant ce thème est obsessionnel chez lui et tant il met de violence à le traiter.
Les citations de B. Retailleau
Il y a longtemps, en 1997, une vidéo montre le jeune député qui affirme, pour expliquer pourquoi il considère l’immigration comme une menace, qu’une société ne peut pas être pluriculturelle, sauf à multiplier les conflits et à s’autodétruire. « Les gens qui viennent et notamment l’immigration africaine, ce sont des gens qui n’ont pas la même culture que nous, ce sont des gens qui viennent non pas pour être français, mais souvent pour profiter des droits sociaux français. Donc le problème est que ces gens ne souhaitent pas s’assimiler. ». Il y reviendra plus clairement encore en 2025 en parlant de Mayotte : « Aucune société, quelle que soit la culture, ne peut supporter une proportion où il y a, comme le dit le Premier ministre, une submersion ». « L’immigration n’est pas une chance » répétait-il récemment. Que veut-il dire dans toutes ces assertions ? Eh bien que les étrangers sont tout simplement inassimilables et que toute différence est à rejeter. B. Retailleau défend l’image d’une France immobile dont la « culture » est figée de toujours, sans se mêler à aucune autre, quoi que disent l’histoire, la sociologie, l’art ou la philosophie. Quelle meilleure définition de la xénophobie, voire du racisme ?
De même que la culture d’un pays est une référence immobile, de même, selon B. Retailleau, « l’ethnie » à laquelle on appartient vous colle à la peau, peu importe le pays dans lequel vous avez grandi, peu importe la distance temporelle qui vous sépare de vos origines étrangères. Évoquant en juin 2023 les violences urbaines qui ont suivi la mort d’un jeune d’origine immigrée à Nanterre, B. Retailleau affirmera que « pour la deuxième, la troisième génération (c’est-à-dire les enfants et les petits enfants d’immigrés), il y a comme une sorte de régression vers les origines ethniques ». On aura beau être né et avoir grandi en France, on aura beau en avoir la nationalité, B. Retailleau est convaincu que l’on reviendra, si l’on est noir ou arabe (c’est bien « l’ethnie » évoquée), vers la violence, voire la barbarie supposée de ceux dont on est lointainement issu. Les gènes parlent…Cette déclaration effarante n’a pas choqué son électorat et n’a donné lieu à aucune plainte.
Quant à l’islam, B. Retailleau reconnaît qu’il a le droit d’être pratiqué mais utilise constamment le terme d’islamisme (en ajoutant parfois « radical »), c’est-à-dire de convictions religieuses qui portent également un projet politique menaçant la République. « A bas le voile ! » déclare-t-il en avril dernier, niant s’attaquer à un signe religieux. Puis, dans une interview où on lui demande si cette exclamation est bien digne d’un ministre de l’Intérieur responsable des cultes, il répond : « Tous les islamistes, je dis bien tous, veulent que toutes les femmes soient violées…euh voilées ». Le retour du barbare d’orient est tapi dans le lapsus. L’étranger « islamiste » est, dans sa constitution même, un violeur et nous autres civilisés, nous allons nous défendre.
Le barbare revient aussi dans la lecture que B. Retailleau a du rapport commandé par G. Darmanin en 2024 sur les frères musulmans et qui a fait l’objet d’un Conseil de Défense il y a quelques jours. L’on sait ce qu’est en France ce mouvement minoritaire qui prône une pratique rigoriste et conservatrice de l’islam. L’on sait qu’il profite du malaise des musulmans pour plaider une forme de séparatisme par rapport aux pratiques occidentales. Pour autant, en faire un mouvement politique unifié dont l’objectif dissimulé est de subvertir et d’asservir la République reste une manipulation. C’est le message que faisait déjà passer le politologue H. Seniguer (Les Frères musulmans veulent-ils conquérir le Monde ? revue Esprit, mai 2023) qui fustigeait les conclusions de l’ouvrage, jugé truffé d’erreurs et imprégné de complotisme, d’une anthropologue, F. Bergeaud-Blackler, Le frérisme et ses réseaux, l’enquête. Déjà en effet, en 2023, certains « intellectuels » français, s’appuyant sur des déclarations souvent anciennes de leaders fanatiques du Proche-Orient, soutenaient la thèse d’un projet politico-religieux souterrain visant, en France et dans le reste le monde, l’instauration d’une société islamique mondiale, parlant de « secret », de « tactique », de « stratégie », de « dissimulation », comme aujourd’hui B. Retailleau parle d’entrisme, de réseaux, de subversion et du danger pour la République que représenterait l’association Les musulmans de France.
Pourtant, le rapport sur les frères musulmans chiffre à 7 % des lieux de culte en France ceux qui adhèrent à l’association incriminée et entre 400 et 1000 le nombre de personnes assermentées aux Frères musulmans. En outre, nombre de spécialistes souligne le caractère hétérogène des adhérents au « frérisme » et le caractère distendu de leurs liens avec la souche originelle des Frères musulmans d’Égypte, certains indiquant qu’il s’agit d’un mouvement conservateur en déclin. Le rapport n’accuse nullement Les musulmans de France de comploter contre la République : « Aucun document récent, dit-il, ne démontre la volonté de Musulmans de France d’établir un État islamique en France ou d’y faire appliquer la charia ». C’est pourtant le message qu’y a lu le ministre, incapable de sortir des thèses complotistes qu’il présente à l’opinion. Une telle attitude est porteuse de risques forts : la communauté musulmane, sans cesse suspectée et discriminée, en conclut qu’elle n’est pas acceptée dans la communauté nationale et que c’est bien l’Islam en tant que tel qui est rejeté. Par pure démagogie et volonté de se faire mousser, G. Attal rajoute un peu d’huile sur le feu en parlant d’interdire le voile dans l’espace public pour les petites filles. Voilà la France qui se referme une fois de plus sur des problèmes imaginaires.
Le constat est encore plus inquiétant : à la lecture d’un discours qu’il a prononcé à Londres le 31 mars dernier lors d’une conférence devant un think-tank conservateur, B. Retailleau montre non seulement qu’il croit dur comme fer à un complot en cours tendant à renverser la République mais que celui-ci profite de notre malheureux attachement à la liberté et de notre naïveté pour s’épanouir : « Aujourd’hui, un nouveau prédateur vient en ennemi et s’attaque depuis l’intérieur à nos nations libres : je veux parler de l’ennemi islamiste. Comme les fauves des années sombres, il s’est fait une place dans l’enclos de nos libertés, pour mieux les subvertir, pour mieux les anéantir ». B. Retailleau considère d’ailleurs qu’il existe une convergence entre l’islamisme et le wokisme, une « convergence des haines qui fait la jonction entre les territoires gagnés par l’islamisme et la cancel culture ». Attaquons la gauche, jugée gangrénée par le « mélanchonisme », en la caricaturant.
B. Retailleau met donc en cause, sans retenue aucune, l’égalité des droits humains, qui nous interdirait de « nous défendre », alors que c’est l’urgence. Dans un discours prononcé à Dijon en avril 2025, il déclarait : « L’état de droit ne peut pas être le prétexte de ne pas changer la loi quand la loi ne protège pas les Français. Le peuple français nous demande cette protection au moment où la société est ensauvagée. Une jurisprudence m’interdit d’expulser en Tchétchénie un type qui a commis un crime en France parce qu’il n’est pas sûr qu’il ait un procès équitable. Choisit-on de protéger des individus extrêmement dangereux ou de protéger la société française ?
Est-ce qu’on veut que ceux qui décident de ceux qui viennent chez nous, ce soient les mafieux, les trafiquants, les esclavagistes des temps modernes ? Ou est-ce qu’on veut que ce soit nous qui possédions ce pouvoir dire qui est en mesure d’être accueilli ou pas accueilli chez nous ? »
La conclusion ? Rendons les réfugiés à leurs bourreaux et restons protégés sur une terre qui est « à nous », haro sur la Convention de Genève et sur la Convention européenne des droits de l’homme qui nous oblige à accueillir des étrangers persécutés, non pas seulement parce qu’il s’agit de textes qui s’imposeraient indûment aux décideurs nationaux mais parce que la valeur suprême, c’est la protection du peuple français : je préfère ma famille à mes amis, mes amis à mes voisins, mes voisins à mes compatriotes, mes compatriotes aux européens, disait déjà J-M Le Pen, avant que le Vice-Président Vance ne reprenne cette préférence concentrique. La référence aux droits humains perd tout sens dans ce contexte de préférence de proximité. D’où la proposition de B. Retailleau d’organiser un référendum sur l’immigration (« il faut mettre les Français à même de choisir ceux qu’ils souhaitent accueillir ou pas dans la communauté nationale ») et de développer les places de rétention : « Je préfère les avoir en rétention (les barbares) plutôt qu’ils tuent, qu’ils violent des Françaises ou des Français », disait-il encore à Dijon. Les étrangers violent, c’est dans leur nature !
Au-delà de ce rejet absolu de l’étranger, au-delà de l’affirmation d’un complot en cours pour mettre à bas la société française, le catholique B. Retailleau milite contre toutes les réformes sociétales qui ont donné des droits nouveaux, contre le mariage pour tous, contre l’inscription du droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, contre le projet de loi sur l’aide à mourir, accusé d’être une légalisation de l’euthanasie. Un pays figé dans sa foi catholique…
Quelles actions ?
B. Retailleau s’est targué, dans la campagne pour la présidence du parti, d’avoir déjà agi pour inscrire ses idées dans la réalité.
Dans son bilan figure en premier le projet de loi « Pour contrôler l’immigration et améliorer l’insertion », tel que voté puis soumis en janvier 2024 au Conseil constitutionnel, qui en a censuré plus du tiers des articles, dont ceux qui avaient été ajoutés par les parlementaires LR. La plupart ont été rejetés au motif qu’ils s’agissait de cavaliers législatifs sans rapport avec l’objet initial de la loi (exigence d’une durée de séjour d’étrangers en situation régulière pour toucher certaines allocations, durcissement du regroupement familial, restriction au séjour des étrangers malades, rétablissement des amendes pour délit de séjour irrégulier, caution de retour demandée aux étudiants étrangers…), d’autres pour méconnaissance des prérogatives de l’exécutif (instauration de quotas migratoires). En ce mois de mai 2025, le Conseil, saisi par QPC, vient de juger inconstitutionnelle une autre disposition de la loi intégrée par amendement, la mise en rétention des demandeurs d’asile dont le comportement « menace l’ordre public » ou qui risquent de fuir : le Conseil a considéré d’une part que, en l’absence de décision d’éloignement et de caractérisation de la gravité de la menace pour l’ordre public, la mise en rétention n’était pas justifiée et, d’autre part, que les conditions édictées pour identifier le risque de fuite ne permettaient pas, en réalité, de l’établir. Implicitement, le Conseil conseille au gouvernement de ne plus justifier des mesures coercitives contre des personnes protégées par le droit international en s’appuyant sur « une menace à l’ordre public » insuffisamment étayée.
B. Retailleau savait parfaitement que la plupart des amendements qu’il a soutenus lors du vote de la loi étaient inconstitutionnels (pas seulement parce qu’il s’agissait de « cavaliers » mais parce qu’ils ne respectaient pas les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen). Il n’en a pas moins tenté de forcer le passage, ne serait-ce que pour montrer à l’opinion publique que les juges sont des gêneurs. Il refuse un état de droit qui protège aussi bien les étrangers que les nationaux… L’ironie est que, du fait des rejets opérés par le Conseil constitutionnel, la principale disposition de la loi promulguée est devenue la possibilité de régularisation des étrangers en situation irrégulière travaillant dans les métiers en tension, disposition à laquelle B. Retailleau était et reste hostile.
Devenu ministre, B. Retailleau a fait paraître deux circulaires concernant l’immigration : la première modifie la circulaire Valls de 2012 sur l’admission exceptionnelle au séjour d’étrangers, possible après une présence de 5 ans sur le territoire, pour raisons familiales (enfant scolarisé en France, mineur devenu majeur) ou économiques (les étrangers ayant un contrat de travail). La circulaire Retailleau, quant à elle, ne fait qu’insister sur le caractère dérogatoire et exceptionnel des régularisations, sur l’exigence d’un certain niveau d’intégration et sur la maîtrise de la langue. Hors application de la régularisation au titre de la loi immigration de 2024, elle allonge à 7 ans la durée de séjour préalable pour déposer une demande, ce qui maintiendra dans la clandestinité les étrangers présents et qui cherchent à s’intégrer. Les Préfets ont compris : le moins possible de régularisations.
Pour ce qui est de l’application de la récente loi sur l’immigration, la nouvelle circulaire en rappelle les conditions, 3 ans de présence en France, 12 mois de travail dans les deux ans qui viennent de s’écouler dans un métier en tension figurant sur une liste établie en application de la loi, exigence d’intégration sociale et familiale et de respect de l’ordre public. La circulaire demande au préfet de faire jouer leur pouvoir d’appréciation sur ces dernières exigences : le ministre souhaite manifestement que la régularisation liée à l’exercice d’un métier en tension soit loin d’être automatique : là encore, les préfets, habitués à obéir, comprendront pleinement le message. De plus, l’on aurait pu souhaiter que la liste des métiers en tension reflète les besoins ressentis par les employeurs et offre aux étrangers qui y répondent l’opportunité qui leur était promise. Or, cette liste a été publiée tardivement, en mai 2025, plus d’un an après le vote de la loi, et n’a guère évolué par rapport au projet de février dernier jugé insatisfaisant par les représentants des employeurs. La Confédération des PME demande au ministre « d’arrêter de faire de la politique avec ce sujet » et le MEDEF regrette que la liste soit « trop resserrée ». La loi n’est pas appliquée de bonne foi.
Ce qui est frappant, c’est que le ministre, en agissant ainsi, ne cherche pas seulement à freiner l’immigration : il refuse d’aider l’insertion des immigrés qui sont déjà présents, quels que soient les besoins d’emploi non satisfaits du pays.
Il suit cette même ligne de conduite dans une seconde circulaire du 2 mai 2025 sur les critères de naturalisation : il y rappelle la nécessité d’une « assimilation » du demandeur, augmente le niveau requis de maîtrise de la langue, met en place un examen civique spécifique pour vérifier l’adhésion du demandeur aux valeurs de la République, exige « un parcours exemplaire (tout renseignement défavorable doit conduire au rejet de la demande, toute personne qui a connu une période de séjour irrégulier ne peut être naturalisée), « une insertion professionnelle avérée et durable » et des ressources « stables et suffisantes ». Le ministre se range ainsi parmi ceux qui font de l’assimilation culturelle une condition de l’insertion dans la communauté alors que l’inverse serait probablement plus efficace : un accueil bienveillant de la communauté nationale d’un étranger avec ses différences faciliterait le rapprochement culturel. Des études allemandes portant sur les flux d’immigration des années 2015 et 2016 montre que cesser de se focaliser sur l’assimilation culturelle et d’exprimer sa méfiance de principe envers les étrangers permet de gagner en efficacité économique, notamment en leur offrant plus rapidement des emplois qui répondent à leurs compétences, ce qui par contrecoup, facilite leur assimilation.
Le ministre semble en tout cas méconnaître les constats établis dans deux parutions récentes du cercle de réflexion Terra Nova.
La première (Enquête sur les représentations à l’égard de l’immigration de travail, enquête CREDOC pour Terra Nova) montre d’abord la grande méconnaissance des réalités chiffrées de l’immigration (73 % des sondés surestiment, parfois très fortement, le nombre des immigrés présents et 70 % sous-estiment nettement leur taux d’emploi). Pour autant, la population, au-delà d’un avis globalement défavorable à l’immigration, se prononce, à 58 %, en faveur d’une immigration « choisie » en fonction des besoins économiques du pays. L’étranger utile est accepté.
Le second constat (Les travailleurs immigrés, avec ou sans eux, étude rédigée par le chercheur Hakim El Karoui) montre que les travailleurs immigrés occupent aujourd’hui une place décisive dans certains secteurs en tension, et pas nécessairement des emplois non qualifiés : aides à la personne, nettoyage, BTP, mais aussi santé (un médecin sur 5) et informatique. Les discriminations qu’ils subissent (faible reconnaissance de leurs diplômes, maintien dans des emplois peu qualifiés, difficulté pour accéder à un emploi stable ou être promu) représentent une pénalisation pour l’économie. Surtout, si la France veut maintenir le ratio actifs /inactifs actuel, elle doit accueillir environ 300 000 immigrés par an, moins qu’en 2022 (331 000) mais plus que la moyenne des années 2010 (245 000), en fléchant les entrées en fonction des besoins dans les secteurs économiques. Ces réalités échappent à un ministre obnubilé par son rejet de tout ce qui lui est étranger.
Le bilan du ministre ne s’arrêtera sans doute pas là : il projette d’interdire le collectif Urgence Palestine pour incitation à la haine envers les juifs et envers la communauté française (le ministre dit vouloir « taper sur l’islamisme ») et il a l’intention de soutenir une proposition de loi tendant à aligner la durée de rétention maximale pour les étrangers dangereux sur celle déjà prévue pour les étrangers terroristes (180 voire 210 jours contre 90 pour le droit commun). Il faut espérer que le premier projet échouera, sauf à démontrer qu’il est désormais interdit d’attaquer Israël et de soutenir les Gazaouis. Quant au deuxième, il n’est nullement démontré qu’il permette d’obtenir l’accord des pays de retour et son utilité est sujette à caution.
Dans un article de la revue Esprit de mai 2025 (Frères musulmans et réactionnaire européen), la philosophe Stéphanie Roza rapproche un fondamentaliste islamiste, Sayyid Qutb, mort en 1966, des fondamentalistes du monde occidental, notamment chrétiens, au XIXe siècle Joseph de Mestre ou, au XXe, tous ceux qui déploreront « le déclin de l’occident » : même rejet de la modernité, même opposition manichéenne entre la barbarie (la civilisation de l’autre) et le bien. Le rapprochement ne peut sans doute être poussé trop loin mais les deux fondamentalismes ont un point commun : ils refusent les valeurs qui ne sont pas les leurs, pensent que leur propre civilisation doit dominer et ne reconnaissent pas aux hommes des droits universels. C’est bien en ce sens que B. Retailleau, pourtant ministre, ne respecte pas les valeurs de notre République.
Pergama, le 26 mai 2025