Le dérapage des finances publiques américaine : Trump, mais pas seulement

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Le dérapage des finances publiques américaine : Trump, mais pas seulement

Le 16 mai dernier, l’agence Moody’s a dégradé la note des États-Unis : tout en reconnaissant la puissance de l’économie américaine, la force de sa croissance potentielle et sa capacité à innover, elle motive cette décision par l’incapacité des décideurs à endiguer l’augmentation des déficits publics et par les perspectives de la loi budgétaire actuellement en discussion au Congrès. Elle a raison de ne pas incriminer seulement les choix actuels de D. Trump mais aussi le passé récent.

De fait, les différents indicateurs de finances publiques témoignent, en 2023 et 2024, après la dégradation due à la crise COVID, d’un profond déséquilibre : fin 2024, la dette atteint 121 % du PIB et le déficit public 7 %, un niveau spectaculairement élevé en période de croissance économique, du fait des cadeaux fiscaux en vigueur depuis les décisions de l’administration Trump en 2017 mais aussi de l’augmentation des dépenses budgétaires et du poids des charges de la dette. Tout se passe alors comme si les autorités publiques, qui dépensent sans barguigner, n’accordaient pas d’importance au déficit public : sous le mandat Biden, l’adoption d’une loi comme le IRA qui encourage très massivement les investissements (on évoque un coût de 1000 Mds), en particulier dans les énergies renouvelables, en témoigne.

Les perspectives de la « Grande et belle loi » financière en cours d’adoption au Congrès renforcent ce constat. La loi traduit les promesses électorales de Trump (du moins les promesses fiscales car il s’était engagé à ne pas toucher les dispositifs d’assurance maladie), tout en s’inscrivant dans un horizon de 10 ans, jusqu’en 2034.

La loi comporte trois grands choix stratégiques. Le premier est fiscal : la loi prolonge les allègements fiscaux accordés, en 2017, pour l’essentiel aux contribuables aisés, qui devaient prendre fin en 2025 ;  elle les améliore même, allant jusqu’à augmenter les possibilités de déduction des impôts locaux sur les impôts fédéraux, y compris pour les ménages riches ; en revanche, les avantages fiscaux décidés par Biden pour favoriser les énergies vertes sont supprimés et une taxe frappe les envois d’argent à l’étranger (elle vise les immigrés) ; deuxième axe, la loi engage des dépenses supplémentaires en faveur des armées (y compris pour le Dôme d’or, bouclier anti-missiles promis par le Président), de la sécurité et de la lutte contre l’immigration (mur le long du Mexique, construction de lieux de détention, renforcement des moyens humains chargés des arrestations) ; troisième orientation, elle procède à des coupes claires dans les budgets de l’Éducation, de la recherche, de la santé et de l’aide alimentaire aux plus démunis : les aides aux étudiants sont réduites, le système des prêts étudiants est refondu, les impôts des universités augmentent, les conditions pour accéder à Medicaid sont durcies (l’estimation du CBO, Congressional Budget Office, indique que 8,6 millions de personne risquent d’être privées d’assurance maladie), de même que le sont les conditions pour avoir droit à l’aide alimentaire.

Entre les 3670 Mds de dépenses supplémentaires et les 1253 Mds d’économies, le CBO a calculé que le déficit allait s’accroître de 2416 Mds à horizon 2034, somme qu’un autre Comité budgétaire, le Comité pour un budget fédéral responsable, porte à 3300 Mds avec l’augmentation des taux d’intérêt. Un déficit à 9 % du PIB et une dette à 130 % du PIB, voire davantage, deviennent possibles (probables ?) à cette échéance.

La loi, si elle est votée (certains sénateurs ont sans doute envie de la refuser mais ils vont hésiter à braver le Président) aura des conséquences politiques : de manière criante, elle sacrifie les droits sociaux des personnes pauvres et modestes pour améliorer encore les avantages fiscaux des ménages aisés. Elle attaque la recherche et l’éducation au bénéfice de la chasse aux immigrés ou du renforcement de la première armée du monde. Elle risque aussi d’avoir des conséquences financières. L’équipe du Président, irritée par les calculs du CBO, affirme, contre l’évidence, que les déficits publics se réduiront du fait de la croissance et des rentrées fiscales liées au droit de douane. Mais la croissance risque d’être affectée par la politique économique en cours et l’augmentation des droits de douane est encore dans le flou. Le déficit risque plutôt de se creuser et la dette d’augmenter, au point de paraître hors de contrôle. La loi prévoit d’ailleurs une augmentation du plafond de la dette de 5000 Mds pour ne pas avoir à solliciter aussi fréquemment le Congrès pour qu’il autorise la reprise des dépenses…

Au-delà, le risque est bien sûr que le placement de la dette coûte plus cher à l’État fédéral parce que l’achat des obligations du Trésor américain sera jugé plus risqué. Le dollar est encore un investissement recherché mais il subit depuis un moment comme une lente désaffection…D. Trump, décidément, marque des buts contre son pays. Quant aux conséquences qu’une crise financière américaine aurait sur le reste du monde, nous ne parvenons pas encore à en percevoir l’ampleur.