Les mineurs ne sont pas des adultes

Trois nouvelles fiches concours sur l’emploi
13 juin 2025
La gauche sombre, malheureuse et sans stratégie
23 juin 2025

Les mineurs ne sont pas des adultes

Par décision du 2025- 886 du 19 juin 2025, le Conseil a censuré 5 articles essentiels de la loi « visant à renforcer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents », qui avait été portée par G. Attal, un autre article ayant été jugé anticonstitutionnel parce qu’il était étranger à l’objet de la loi. De la loi initiale, il ne reste quasiment rien, que l’aggravation, dans certains cas, des peines infligées aux parents pour soustraction à leurs obligations légales.

Les 5 articles censurés sur le fond portaient sur des modifications décisives de la justice des mineurs.

Pour comprendre l’annulation des articles 4 et 5 de la loi, il faut savoir que la loi du 26 février 2021 portant réforme de la justice des mineurs a institué pour les mineurs, dans le souci  de ne pas prononcer de sanctions  éducatives ni de peines sans avoir une connaissance suffisante de la personnalité et de sa situation du mineur, une procédure en deux temps, avec une dissociation entre la reconnaissance de la culpabilité, qui doit avoir lieu  dans un délai de trois mois après la fin de l’enquête, et la sanction prononcée plus tard, lors d’une seconde audience, après un deuxième délai compris entre 6 et 9 mois, mis à profit pour suivre le mineur et prendre des mesures éducatives temporaires. Ce n’est que par exception, dans certains cas particuliers, que le mineur peut être jugé en « audience unique » et dans un délai rapide, mais à condition que le tribunal dispose sur lui d’informations récentes.

Sur ce point, la loi du 26 février 2021 s’inscrivait dans le respect des principes de la justice des mineurs, procédure spécifique et recherche de sanctions personnalisées qui ne soient pas seulement punitives.

Or, l’article 4 de la loi Attal instituait la possibilité « en audience unique » et en comparution immédiate devant le tribunal pour enfants, si le mineur avait déjà fait l’objet, dans l’année écoulée, d’une mesure éducative ou judiciaire, d’une mesure de sûreté, d’une déclaration de culpabilité ou d’une peine dans le cadre d’une autre procédure (donc s’il avait déjà été suivi par la justice des mineurs mais pas nécessairement pour une infraction grave) et à condition qu’il encoure 3 ans de prison, sans que pour autant l’affaire justifiant de cette comparution immédiate ait été instruite.

Le Conseil constitutionnel reproche au texte d’avoir durci la procédure de l’audience unique (qui devait être, en théorie, exceptionnelle) en prévoyant en sus une comparution immédiate, sans réserver de telles procédures à des cas graves, sans spécifier qu’il fallait vérifier auparavant que les charges étaient suffisantes et que l’affaire était en état d’être jugée. Implicitement, cela signifie qu’une justice punitive immédiate sans réelle instruction préalable (telle qu’elle est appliquée aux majeurs et qui est critiquée comme une justice expéditive et propice à l’emprisonnement) ne peut pas relever de la justice des mineurs : les procédures dérogatoires doivent être réservées aux cas grave et le juge ne peut se prononcer sur le cas d’un mineur sans disposer sur lui d’un dossier de suivi.

Le second article censuré (article 5) abaissait le niveau des peines susceptibles de permettre l’audience unique telle qu’elle était déjà prévue dans les textes, sans comparution immédiate. Or, comme on vient de le voir, cette procédure d’audience rapide déroge à la procédure ordinaire qui prévoit, avant le jugement, un suivi, pour mieux connaître l’enfant et adapter les sanctions prises. Le Conseil considère qu’un élargissement des peines qui permettent le recours à l’audience unique soumettrait des mineurs à des procédures qui ne sont pas appropriées à la recherche de leur « relèvement éducatif et moral ». La dérogation doit rester une dérogation, le principe est de définir une sanction adaptée au mineur, après suivi.

Le troisième article sanctionné (article 6 de la loi) allongeait à un an la durée possible de la détention préventive des mineurs de moins de 16 ans poursuivis pour certains délits (jusqu’alors une telle durée correspondait à la durée maximale en matière criminelle), sachant que les textes prévoient déjà que le recours à la détention des mineurs ne doit avoir lieu que si la mesure est jugée indispensable et ne peut être remplacée par une autre. Le conseil considère que, surtout compte tenu de l’âge des mineurs concernés, la mesure était contraire aux principes fondamentaux de la justice des mineurs.

Le quatrième article censuré (article 7 de la loi) renversait le principe d’atténuation des peines applicable aux mineurs : déjà, les textes prévoient des possibilités de dérogation à ce principe pour les mineurs de plus de 16 ans récidivistes ayant commis un crime ou un délit grave (susceptible de 5 ans de détention) mais avec une obligation de motivation. Le texte censuré disposait que l’atténuation des peines n’était plus appliquée à de tels mineurs sauf de manière dérogatoire et motivée. C’était considérer qu’un des éléments fondamentaux de la justice des mineurs était, dans certains cas, devenait l’exception et non la règle. Le Conseil a censuré pour méconnaissance de l’exigence constitutionnelle du principe d’atténuation des peines applicable aux mineurs.

Le dernier article censuré (article 12) prévoyait qu’un officier de police judiciaire pouvait placer en rétention, pour 12 heures au maximum, un mineur qui n’aurait pas respecté une interdiction figurant dans une mesure éducative judiciaire décidée à son endroit. Cette mesure aurait dû être soumise, en vertu des principes de la justice des mineurs, à l’aval d’une juridiction spécialisée.

La décision du Conseil constitutionnel est un rappel sévère de la nécessité de respecter le principe fondamental reconnu par les lois de la République d’adaptation de la réponse pénale à la situation particulière des mineurs, qui sont des êtres en devenir. Ce principe, dégagé par la décision du Conseil constitutionnel 2002-461 du 9 août 2002, est fondé sur les dispositions de la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale, de la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et de l’ordonnance du 2 février 1945. Il en découle que les mesures prises à l’égard des mineurs doivent tendre en priorité à leur relèvement éducatif et moral, être adaptées à leur âge et à leur personnalité (sanctions éducatives, atténuation de la peine) et être prononcées par une juridiction spécialisée.

En l’occurrence, les mesures censurées ne tendaient pas au relèvement éducatif et moral (mais plutôt à la punition), n’étaient pas adaptées à leur âge ou à leur personnalité (comparution immédiate, détention provisoire) ou n’étaient pas soumises à une juridiction spécialisée (rétention).

A vrai dire, on a du mal à comprendre pourquoi G. Attal a voulu modifier, sans vraie raison autre que celle de répondre à des faits-divers sordides où des mineurs s’étaient distingués par leur cruauté, une réforme de la justice des mineurs adoptée pendant le premier mandat du Président (donc par son camp politique) et pourquoi il a jugé bon de revenir à la ligne de conduite qui n’avait pourtant guère réussi à N. Sarkozy, à savoir assimiler les mineurs et les majeurs délinquants, avec une obsession malsaine de punir, punir, punir, rapidement et brutalement. Ignorer volontairement le risque évident d’inconstitutionnalité est soit le signe d’un grand machiavélisme (on accusera les juges d’être « hors sol ») soit un signe de sottise imprudente.  Les stratégies politiques tendant à se donner une image de défenseur de l’ordre sont à courte vue.

Pergama, 23 juin 2025