Actualisation de la Revue nationale stratégique, pourquoi?

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Actualisation de la Revue nationale stratégique, pourquoi?

Le 14 juillet dernier a été publiée l’actualisation de la Revue nationale stratégique, dont la précédente version datait de 2022.

Jusqu’en 2013, les pouvoirs publics ont publié tous les 5 ans, en début de quinquennat, des « Livres blancs » pour définir la doctrine de défense de la France. Le document analysait l’état du monde et la place que la France y tenait. Il définissait sur ce fondement une stratégie de défense et les moyens afférents. Mais les ratages de l’exercice de prédiction ont amoindri l’intérêt de l’exercice : faute d’avoir prévu la crise financière de 2008, l’explosion des printemps arabes et l’intervention en Lybie, le livre blanc de 2008 apparaît rétrospectivement comme mal articulé avec l’évolution du monde. Celui de 2013, qui a réduit les moyens de la défense compte tenu des difficultés budgétaires du pays, n’avait pas anticipé la dégradation de la situation au Sahel ou au Proche-Orient ni l’ampleur du terrorisme : il a fallu faire, en partie, marche arrière. L’exercice apparaît dès lors à la fois lourd et trop rapidement obsolète.

En 2017, le document a évolué, prenant le titre de Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, devenu, en 2022, Revue nationale stratégique. Désormais centré sur l’analyse des évolutions du « contexte stratégique », conflits, menaces, fragilités, il élargit le champ aux questions de sécurité et définit les grandes orientations du pays pour répondre aux enjeux. Les moyens sont précisés dans une loi de programmation militaire (LPM), d’abord celle de 2019-2025 puis celle de 2024-2030. L’objectif des deux lois était de mettre fin à la dégradation de l’effort de défense des quinquennats précédents et de doubler sur la période 2017-2030 l’effort financier.

Pourquoi le Président de la République a-t-il demandé, en janvier 2025, dans son discours de vœux aux armées, une « actualisation » de la Revue 2022 ?

En principe, à cause de l’alourdissement des conflits et des menaces, il est vrai évidente.

De fait, la première partie de la Revue, qui porte sur les évolutions survenues depuis 2022, s’étoffe : la Revue 2022 évoquait « un monde de tensions », mettant l’accent sur les menaces agressives de la Russie depuis les débuts de la guerre en Ukraine, le risque de confrontation avec Moscou, la convergence stratégique entre Russie et de la Chine, ainsi que sur le développement de guerres hybrides ».

L’analyse de 2025 est plus nette, plus alarmiste et beaucoup plus complète  : elle insiste sur la dégradation de l’environnement sécuritaire mondial, la responsabilité centrale de la Russie dans cette évolution, l’extension de son influence dans le monde, le rôle de la Chine, son alliée, poussée par des ambitions économiques extrêmes ; elle met l’accent sur la centralité de la préoccupation nucléaire, la multiplication et l’extension géographique des conflits, le développement inquiétants des opérations « hybrides ». Certes, la Revue, rédigée ce printemps, grossit le danger iranien et ne montre pas assez le risque de chaos créé par Israël, enivré de ses réussites guerrières à courte vue (la lucidité est parfois hors d’atteinte). Mais, à l’inverse de la précédente Revue, elle évoque des facteurs d’instabilité qui n’étaient pas ou peu mentionnés en 2022 : augmentation des migrations, diminution des aides internationales au développement, changement climatique et effondrement d’une biodiversité qui affectent la sécurité et la santé des populations, contexte économique et basculement technologique qui révèlent les faiblesses européennes, guerre commerciale, questions énergétiques… Surtout, elle évoque sans trop de retenue « la mise à l’épreuve des solidarités transatlantiques » et l’effondrement du droit et des institutions internationales, pudiquement dénommé « délitement des cadres de sécurité » : on est bien là au cœur des menaces pour l’Europe, qui sont loin d’être seulement militaires.

Commentant l’ampleur de cette énumération des menaces, l’Institut Montaigne dit redouter une « mithridisation » de l’alerte : à trop décrire la noirceur des évolutions, la revue stratégique perdrait de sa capacité de mobiliser. Il faut s’inscrire en faux contre cette assertion : en liant les questions de défense à celle des conflits économiques, aux perspectives énergétiques, climatiques ou environnementales et à l’étude des alliances formelles et informelles des différents pays, le message final accroît sa crédibilité.

Surtout, la conclusion de cette première partie semble très lucide : elle note que l’Europe doit faire face à la fois à un risque de conflit sur son territoire et à un isolement stratégique ; que, dans l’évolution du monde, les démocraties courent désormais des risques particuliers ; que l’OTAN doit se transformer et reposer bien davantage sur l’Europe. Elle dit également qu’il faut penser la guerre de manière plus réaliste qu’en 2022, en tenant compte, sur le fondement des enseignements de la guerre en Ukraine,  de la robustesse des moyens que l’on peut aligner (munitions, défense  anti-missiles…) ; qu’il faut alors maîtriser la gamme des armements allant du bon marché efficace (drones) aux armes dites « technologiques » ; qu’il faut aussi sécuriser ses ressources de tous ordres, numérique, accès satellitaire, base industrielle, ressources minières, base de données…

La mauvaise surprise de la Revue vient ensuite : après ce constat clair et complet, les orientations stratégiques sont les mêmes qu’en 2022, à l’exception du rajout d’une onzième qui porte sur l’excellence académique, scientifique et technologique au service de la souveraineté et qui, à vrai dire, n’est pas la plus convaincante. Les autres (« Une dissuasion nucléaire robuste et crédible », « Une France unie et résiliente », « Une économie qui se prépare à la guerre », « Une résilience cyber de premier rang », « Une France allié fiable dans l’espace nord-Atlantique » et « moteur de l’autonomie stratégique européenne »…) sont quasiment les mêmes.

Rien n’a donc changé sauf les menaces ?

Le jugement paraîtra sévère : les 10 grandes orientations sont bien plus développées qu’en 2022 et précédées d’un bilan des actions réalisées depuis lors, lequel dit chaque fois « il faut faire mieux ». Certains termes ont été modifiés : l’orientation 3 (qui préconisait « une économie de guerre », dont la France a toujours été très éloignée) recommande désormais une économie « qui se prépare à la guerre ». Surtout le titre de l’orientation 10, qui voulait en 2022 que la France puisse « conduire des opérations militaires de haute intensité dans tous les champs et dans tous les lieux » a été remplacé par un objectif moins ronflant et, à vrai dire, qui en devient presque ridicule : « La capacité d’emporter la décision dans les opérations militaires ». La France ne s’engage plus à être en mesure d’intervenir partout et dans tous les contextes mais simplement à gagner la guerre quand elle la fait…

Il faut dire qu’il était difficile, après le rapport de la Cour des comptes de mai 2022 sur les capacités de l’armée française, après les analyses concordantes de parlementaires spécialistes de la Défense et après l’ouvrage de J-D. Merchet de janvier 2024 « Sommes-nous prêts pour la guerre ? » (la réponse était non), de défendre un modèle d’armée qui sait tout faire, peut couvrir tout le spectre des interventions matérielles et immatérielles, avec une dissuasion nucléaire, des forces terrestres, maritimes et aériennes, des satellites, des moyens cyber et la capacité à mener des expéditions partout dans le monde où ses intérêts seraient menacés. On s’est aperçu alors de la « faible épaisseur » du dispositif (traduction : les forces armées ne tiendraient ni sur la durée ni sur des opérations militaires d’ampleur), puis on a compris que les équipements étaient vétustes voire manquaient, puis que les munitions disponibles étaient tragiquement insuffisantes. Bref, l’armée, qui dispose depuis 2017 de davantage de moyens, ne pourrait pas mener une guerre « de haute intensité ».

Or, la lecture des orientations de la revue 2025 ne permet pas de répondre à deux questions fondamentales et légitimes : est-ce que nos forces armées ont pu ou pourront d’ici 2030 corriger les manques et les défaillances désormais connus, sachant que la Cour des comptes s’effrayait du coût à venir d’une remise à niveau ? Quel modèle d’armée est désormais privilégié ? Quelles sont les perspectives puisque la France s’est engagée, comme tous les membres de l’OTAN, à consacrer 3,5 % de son PIB à l’effort de Défense en 2035 ? Surtout, quelles sont les conditions à réunir pour modifier le fonctionnement de l’OTAN et développer une Europe de la Défense ? Comment articuler aujourd’hui tous les efforts ?

La Revue affirme tout tranquillement, sans plus de précisions, que « en 2030, la France est réarmée, matériellement et moralement, pour prévenir, faire face et gagner avec ses alliés et partenaires une guerre majeure de haute intensité dans le voisinage de l’Europe » (en 2024, tout le monde l’en jugeait incapable) ; qu’elle a les moyens économiques nécessaires, alors que toute l’Europe la juge faible ; qu’elle est un des moteurs d’une Europe prête à se protéger, alors que l’Europe ne parvient précisément pas à s’engager de manière décisive dans une défense européenne ; que le pilier européen est renforcé au sein de l’OTAN, alors que la dernière réunion de l’Alliance atlantique a montré, à l’inverse, l’absence de front européen face à l’arrogance et au mépris américain.

Les documents stratégiques ont le droit au volontarisme mais pas à l’incantation. La Revue dresse un constat important et lucide mais ses orientations stratégiques n’ont rien de neuf et on les a entendus 100 fois. On peut dès lors soupçonner que l’actualisation 2025 n’est due qu’à la volonté tenace du Président de la République d’arracher de nouveaux moyens financiers pour le budget de la Défense en jouant sur un sombre contexte. C’est bien ainsi au demeurant que l’opération s’est terminée : en pleine période de restrictions budgétaires, la loi de programmation militaire va être modifiée à l’automne pour avancer à 2027 le doublement des moyens accordés en 2017 et passer à une dotation de 64 Mds dès cette année-là (soit 6 Mds de plus en 2026 et 6 Mds encore en 2027). Sera-t-il alors possible d’évaluer les capacités d’une armée si onéreuse ? Comment agira-t-elle au sein d’une défense européenne ? Quelle efficacité de cet objectif ? Comment reconquérir une autonomie stratégique dans le domaine numérique ou dans celui des satellites ? Quels moyens et quels délais ? Comment affronter ou au moins contourner un pouvoir américain qui se moque d’appauvrir l’Europe et de l’affaiblir face à la Russie et à la Chine ? Ce n’est pas la Revue stratégique qui répondra, pour l’instant, à ces questions.