Aide sociale à l’enfance, un service public en perdition

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Aide sociale à l’enfance, un service public en perdition

 Rien que des chiffres, et rien n’inquiétant, dans le dossier de la DREES de juin 2025 sur l’aide sociale à l’enfance en 2023. On y lit que le nombre des enfants et jeunes pris en charge ne cesse de croître (la pente est en fait ascendante depuis le début des années 2000 et plus nettement dans les années 2010) : fin 2023, ils étaient 396 900, répartis entre 221 000 jeunes « accueillis » (ce sont ceux dont le nombre augmente le plus) et 175 800 bénéficiaires de mesures éducatives, c’est-à- dire d’un suivi par un éducateur, dans un but pour l’essentiel préventif. Plus de 79 % des mesures d’accueil et 71 % des mesures éducatives sont décidées par un juge, dans un cadre contraignant pour la famille et le jeune parce que le jeune est considéré comme en danger (délinquance, négligence ou maltraitance). Enfin, plus de 20 % des jeunes accueillis sont des mineurs étrangers non accompagnés dont le nombre a stagné de 2019 à 2022 mais augmente à nouveau depuis deux ans.

Depuis quelques années, les rapports s’empilent, de plus en plus critiques à l’égard d’une politique publique qui ne parvient plus à assurer ses missions.

En 2023, un rapport sénatorial fait le bilan des objectifs poursuivis par les lois récentes. Les dispositifs destinés à favoriser la remontée rapide aux décideurs des « informations préoccupantes » concernant des enfants en danger se sont mis en place, mais les délais de traitement peuvent dépasser le maximum de 3 mois prévu par les textes ; la « déjudiciarisation » des entrées grâce à une meilleure prévention des services  départementaux n’a pas eu lieu ; les dispositions facilitant l’accueil de l’enfant par un membre de sa famille sont restées lettre morte ; la non séparation des fratries est un vœu pieux ; le « projet pour l’enfant », pourtant obligatoire,  est rarement mis en œuvre ; l’accompagnement de la sortie de l’ASE à 18 ans est très en deçà de ce qu’espérait le législateur ; les départements ne respectent pas toujours leurs obligations de prise en charge des jeunes majeurs ; toutefois, l’hébergement hôtelier offert aux adolescents et notamment aux mineurs non accompagnés se réduit depuis que la loi de 2022 les interdit.

En octobre 2024, à son tour, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) indique que, faute de moyens, le délai de mise en œuvre d’une action éducative décidée par un juge est de 6 mois, alors que celles-ci sont souvent urgentes. Il montre que les besoins d’intervention ne cessent de croître, tandis que les services de l’ASE se heurtent à des difficultés de fonctionnement : le nombre des emplois vacants s’amplifie (le social et le médico-social n’attirent plus), les familles d’accueil se raréfient et des milliers d’enfants, qui devraient quitter leur famille, sont en attente d’une place.

En janvier 2025, la Défenseur des droits a adressé une « décision-cadre » au premier ministre et à tous les ministres en charge de la jeunesse, de la santé et de la solidarité : les défaillances du système deviennent très lourdes et pèsent sur la situation des enfants. Elle enjoint les autorités de l’État et des départements de respecter les droits des enfants et de répondre à leurs besoins fondamentaux.

Dernier en date, le rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance, publié le 1er avril 2025, évoque un système qui craque de toutes parts : carences de la prévention, délais de traitement très longs des « informations préoccupantes », conditions d’accueil parfois indignes, établissements saturés, pouponnières surchargées qui s’occupent mal des tout-petits, violence institutionnelle et MNA, oubliés des oubliés.

Les pouvoirs publics ne pouvaient plus ne pas réagir. La ministre en charge des solidarités, C. Vautrin, a élaboré en avril un « Plan de refondation », avec l’ambition de prévenir les placements, de garantir un cadre familial stable, en tout cas un accueil adapté aux besoins, de garantir une éducation de qualité, de réformer la gouvernance en instituant un pilotage conjoint État-départements… Les objectifs sont les bons. Mais comment revenir sur des décennies de carences, des manques de personnel partout, une faible attractivité des métiers, les délais d’attente interminables en pédopsychiatrie voire chez un psychologue, une acceptation de toutes les dérives ou des politiques départementales qui refusent parfois de s’occuper des MNA ? Non sans justesse, le dernier rapport d’enquête indique que l’ASE est devenue un outil de reproduction de la pauvreté. Des enfants qui grandiront mal risquent de ne pas être des adultes heureux et bien insérés….