L’Insee, la pauvreté et les inégalités de revenu

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L’Insee, la pauvreté et les inégalités de revenu

L’Insee a publié (avec retard, comme toujours) son étude annuelle sur l’évolution de la pauvreté, en l’occurrence celle de 2023. Le taux de pauvreté monétaire augmente de 0,9 point, passant à 15,4 %, le taux le plus élevé atteint depuis les débuts de la série en 1994, soit 9,8 millions de personnes.

Il est loisible de penser que le seuil de pauvreté utilisé pour ce calcul (60 % du niveau de vie médian, soit 1228 euros par mois pour le premier adulte du foyer, les autres membres « valant » la moitié et les enfants de moins de 14 ans 0,3) n’a, avec la véritable pauvreté, qu’un rapport assez distendu. Pour mesurer la pauvreté, il est plus approprié de mesurer les conditions de vie, ce que l’Insee fait au demeurant, en déterminant la part des personnes qui, sur une liste de 13 éléments de la vie courante (chauffer correctement son logement, faire un repas avec des protéines au moins tous les deux jours, pouvoir s’acheter des vêtements neufs, avoir deux paires de chaussures, partir en vacances au moins une semaine, disposer d’internet à domicile…) en cochent au moins 5. En 2023, 12,3 % de la population sont dans ce cas, chiffre en augmentation depuis quelques années.

Au-delà des outils de mesure, le paradoxe est que nombre de pauvres sont exclus des études de l’Insee : ne sont décomptés ni les SDF, ni les ménages dont la personne de référence est étudiante, ni les personnes vivant en habitation mobile ou en institution (foyers, prisons, hôpitaux…) ni la population Outre-mer. Une évaluation (ancienne) des exclus statistiques (Centre d’observation de la société, 2021) en estimait le nombre à 1,6 million.

L’étude de l’Insee sur « Niveaux de vie et pauvreté » de juillet 2025 présente toutefois deux intérêts.

Elle rappelle d’abord que le taux de pauvreté global recouvre de grandes disparités : le taux des demandeurs d’emploi (36 %) et celui des familles monoparentales (34,3 %) se situent toujours au sommet.

Par ailleurs, précisément parce qu’elle est construite sur le fondement du niveau de vie médian, l’étude mesure plutôt mal la pauvreté mais plutôt bien l’évolution des inégalités : l’Insee ne s’y trompe pas, qui adjoint à son étude de 2025 mention de l’évolution depuis 1996 des niveaux de vie, en base 100 2008, avant et après redistribution, en euros constants, pour le 1erdécile, le revenu médian et le 9e décile. Cet élargissement de la focale permet de donner tort aux commentateurs selon lequel le taux de pauvreté élevé de 2023 ne ferait que traduire les conséquences ponctuelles d’un épisode inflationniste aujourd’hui dominé.

En réalité, sur le long terme, ce sont bien les Français modestes qui ont perdu. Le niveau de vie médian des Français de métropole, en euros constants et après redistribution, est en 2023 supérieur de 6 % à celui de 2008 ; le niveau de vie du décile le plus défavorisé n’a augmenté que de 1,2 % et a baissé de 2022 à 2023 (-1 %) ; celui du décile le plus favorisé a, quant à lui, augmenté de 4,6 % depuis 2008 et connu une hausse en 2023 (+ 2,1 %).  Les inégalités se sont accrues sur le long terme. Le ratio dit 20/20 (rapport entre la part de niveaux de vie des 20 % les plus aisés et les 20 % les moins aisés) est passé de 4,08 en 1996 à 4,53 en 2023.

La croissance des inégalités est ancienne : avec d’autres indicateurs, la Banque de France montrait récemment (L’éco en bref, Les inégalités de revenu, février 2025) que la part des 10 % les plus riches dans le revenu national augmente depuis 1980, passant de 28 à 35 % aujourd’hui. L’article mentionne avec pudeur « qu’un certain nombre de chercheurs, institutions et pouvoirs publics estiment de nos jours que de trop fortes inégalités de revenus nuisent à la cohésion sociale et, par conséquent à la croissance économique ». Un temps, en 2017 et 2018, le macronisme plaidait pour l’égalité des chances et la lutte contre les inégalités de destin, question qui dépasse (mais englobe) celle des revenus. Depuis lors, le mouvement a viré à droite et les inégalités sont reparties à la hausse, obérant ainsi notre futur. Ce n’est pas l’année blanche des prestations sociales qui, en 2026, y mettra un terme.