Réforme de la justice pénale : enfermer et punir

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Réforme de la justice pénale : enfermer et punir

G. Darmanin, ministre de la justice, a présenté en juillet une réforme de la justice pénale, qui s’inspire de très près d’une proposition de loi du député L. Kervran visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme (mars 2025). Le texte, envoyé aux syndicats de magistrats, est disponible sur leur site. Les mesures sont simples à résumer et simples à comprendre, le plus intéressant étant la présentation du ministre.

Les mesures

L’objectif du projet est de simplifier l’échelle des peines, ce qui permettra d’échapper à une recherche d’individualisation considérée comme excessive, de diminuer fortement les alternatives à la détention, voire d’amener à leur suppression, d’augmenter le recours à la détention et d’accélérer le processus de condamnation des crimes.

Le projet de loi commence par supprimer deux mesures, la dispense et l’ajournement de peine. Ce sont des mesures d’ampleur mineure (quelques dizaines de dispenses de peine ont été prononcées en 2023 et 2800 ajournements sur 544 000 condamnations pénales, toutes juridictions confondues), qui permettaient aux juges soit de dispenser de peine une personne reconnue coupable mais réinsérée, lorsque le dommage créé avait été réparé, soit de différer l’exécution de la peine si un tel processus était en cours. Cette adaptation de la peine à des délinquants repentis relève de la dentelle : on supprime.

Le sursis est ensuite supprimé pour les peines de plus de 2 ans et, pour les autres, ne peut bénéficier qu’aux primo-délinquants au casier judiciaire vierge.

La loi n’obligera plus à aménager les petites peines de prison ferme : rappelons que, entre un et 6 mois, les peines de prison doivent être aménagées (sauf décision exprès du juge), remplacées le plus souvent, sur intervention du juge d’application des peines (JAP), par une détention à domicile ou une semi-liberté. Entre 6 mois et un an, la peine peut l’être. Le projet de loi laisse désormais la décision à la main des juges, pour les peines allant jusqu’à 2 ans. L’aménagement de peines impliquera toutefois des conditions de logement et d’emploi et les étrangers faisant l’objet d’une interdiction du territoire n’y auront pas accès.

La loi du 23 mars 2029 avait supprimé les peines de prison de moins d’un mois. Le projet les rétablit.

Dès aujourd’hui, en cas de « jour-amende » non payé, le condamné encourt la détention, à l’appréciation du JAP. Le projet de loi rend cette conséquence automatique.

Il n’est pas possible aujourd’hui qu’un magistrat mette en détention provisoire une personne incriminée pour « trouble à l’ordre public ». Le projet de loi le permet.

L’échelle des peines sera revue et simplifiée par ordonnance : 4 peines seront instituées, emprisonnement, sanction financière, probation, obligation /interdiction. Une peine minimale sera définie pour chaque catégorie de peine. Le code pénal va mincir.

Enfin, si un crime est reconnu par son auteur, on ne va pas s’embêter à organiser un procès. La procédure du « plaider-coupable » pourra s’appliquer, le procureur proposant une peine avalisée ensuite par un juge.

Le plaidoyer du ministre

Le ministre s’appuie sur la crise de confiance de la population dans l’effectivité des peines, qu’il juge fondée. Selon lui, les peines alternatives ne sont pas de vraies peines : il affirme ainsi que, dès lors que 41 % des peines de prison donne lieu à aménagement, « une peine de prison ferme sur deux n’est pas exécutée en prison ». Admirons l’éloquence : on retient que la peine n’est pas exécutée du tout et c’est d’ailleurs ainsi que la phrase a été reprise par certains journalistes. Cette carence dans l’exécution des peines aurait « contraint » les juges à augmenter le quantum de peines (la lourdeur des peines infligées) pour s’assurer qu’il y aura sanction : de fait le quantum n’a cessé de s’alourdir, passant de 2014 à 2023, de 8 à 10,3 mois, soit + 29 %, sans qu’aucune étude explique ce phénomène, évolution de la délinquance ou lassitude devant l’accumulation des affaires. Le ministre, quant à lui, est certain (après le parlementaire L. Kervran) que les magistrats veulent « échapper » à l’aménagement des peines en ayant la main plus lourde, ce qui justifierait pleinement de supprimer cet aménagement.

Après avoir montré que les juges prononçaient des condamnations de plus en plus lourdes, le ministre, sans grande cohérence, conclut, s’appuyant sur un taux de récidive à 5 ans de 60 % après incarcération, que la justice a un problème de « fermeté ». Or, la seule étude du ministère de la justice sur Les déterminants de la récidive sur les sortants de prison (2021) soulignait plutôt l’impact des aménagements de peine et d’un accompagnement adapté sur la récidive. Elle demandait que l’on s’interroge sur les peines courtes infligées à de petits délinquants, surtout jeunes, avec le risque accru de désinsertion sociale et de sorties sèches.

Une étude plus générale réalisée au niveau européen (La prévention de la délinquance, EUCPN, 2024) souligne quant à elle la multiplicité des causes de la récidive, âge et surtout âge de l’entrée dans la délinquance, absence d’éducation, difficultés d’insertion, drogues, problèmes de santé mentale. Elle affirmait clairement que les peines privatives de liberté n’avaient aucune efficacité et suggérait de recourir à un suivi très individualisé en termes de logement, d’insertion professionnelle et de soins. Le ministre, lui, n’a pas de doute : la récidive diminuera si la détention progresse. Il étend donc celle-ci à la petite délinquance ce qui augmentera la désocialisation des personnes (tous les pays qui ont mis en place des peines d’emprisonnement de moins d’un mois y ont renoncé), à ceux qui jusqu’alors bénéficiaient d’un sursis et aux fauteurs de trouble à l’ordre public.  Punir devient l’obsession.

Quant au plaider-coupable en matière criminelle, l’institution d’une procédure expéditive destinée uniquement à prononcer une peine est déshonorante pour la justice : imagine-t-on l’affaire Pénicot ou Le Scouarnec confiée à l’appréciation d’un procureur ?

Les lois simplistes sont malheureusement celles qui peuvent avoir  le plus d’écho : si celle-ci  est débattue, elle en aura.