A l’exception peut-être de quelques thèmes encore en cours ou qui mettront du temps à se décanter (droit à mourir, réforme des retraites, lutte contre les déserts médicaux, défense française et européenne), les sujets qui ont animé le débat public depuis un an sont quasiment tous des thèmes chers à la droite : horizon zéro d’immigration, diminution des dépenses publiques pour réduire la dette, refus des énergies renouvelables, défense de l’agriculture productive, politique carcérale de sécurité, durcissement de la justice des mineurs, simplification des normes, surtout écologiques, tri des élèves par niveaux, encadrement de l’audiovisuel public. Certes, là aussi, les décisions sont en suspens, mais ce sont elles qui ont surtout occupé les esprits.
Lors d’une étude sur les mesures proposées par les partis lors des élections législatives de 2024, l’Institut Montaigne a noté que les services publics avaient été peu évoqués et que, quand ils l’avaient été, c’était pour évoquer leur accessibilité et non pas des mesures structurelles de remise à niveau. Le 25 juillet dernier (Les services publics, l’impensé de la gauche), le journal Le Monde soulignait également la place marginale que les services publics tiennent dans le discours politique et dans les programmes, souvent dans une perspective défensive : au printemps 2025, lorsque les syndicats et associations ont lancé, avec un faible d’écho, « le printemps des services publics », l’objectif prioritaire était de contrer de nouvelles menaces qui viendraient accroître la dégradation constatée, pas de faire évoluer les objectifs.
Les services publics sont dans une situation telle que tout projet politique cohérent devrait s’en préoccuper, pour protéger les objectifs de solidarité et de redistribution de notre société. Mais, dans un contexte financier contraint, il faut aussi mieux les adapter aux besoins de la population : cela pose des questions difficiles, tant, aujourd’hui, le conservatisme règne.
Délitement : l’exemple de la santé, de l’éducation, de la justice
Dans le domaine de la santé, les données inquiétantes abondent : 12 % de la population sont sans médecin traitant mais 18 % à Paris et 26 % à Dreux. La part de la population qui réside dans un territoire où l’accessibilité aux soins est difficile est passée de 6,6 % en 2015 à 24,7 % en 2023. En 2024, la densité des généralistes varie de 1 à 3 selon les départements. La répartition des spécialistes, qui se concentrent dans les grandes villes, est encore plus inégale, et 57 % d’entre eux (contre 38 % il y a 20 ans) pratiquent des honoraires libres. Enfin, un récent rapport de la Cour des comptes sur L’organisation territoriale des soins de premier recours constate que l’accès aux soins infirmiers ou de kinésithérapie est encore plus difficile que l’accès aux soins médicaux dans les territoires déshérités.
Quant aux hôpitaux publics, soumis à des contraintes financières depuis 40 ans, ils sont en déficit depuis 2005 (2,3 Mds en 2023), et leur dette atteint au total 30 Mds, soit 30 % de leurs recettes. Les tarifs hospitaliers ont été pendant des années fixés sur le fondement d’un pari irréaliste d’augmentation de la productivité des établissements. De ce fait, l’effort d’investissement hospitalier a baissé tendanciellement, même s’il a un peu augmenté après le « Ségur de la santé », plan des pouvoirs publics d’après COVID destiné à l’encourager. La pression financière explique pour une part la fuite des médecins hospitaliers publics vers les établissements de santé privés (35 % des postes de praticiens hospitaliers sont vacants en 2024) où ils bénéficient surtout de bien meilleures conditions de rémunération. Autres signes de dysfonctionnement, les temps d’attente qui augmentent dans les services d’urgence[1] (le temps médian est de 3 heures, bien davantage s’il faut trouver un lit pour hospitaliser la personne) et leurs fermetures périodiques faute de personnel suffisant. Enfin, un secteur de soins, la psychiatrie, est sinistré : la situation a peu évolué depuis le rapport de la Cour des comptes qui dénonçait en 2021 les inégalités régionales de l’offre, une orientation déficiente, les parcours erratiques des malades, les délais interminables de rendez-vous dans les centres de consultation pour enfants et adolescents et des malades non suivis, notamment en sortie d’hospitalisation.
De manière plus structurelle, la dépense en santé, qui est de bon niveau en termes de comparaisons internationales, (325 Mds en 2023, soit 11,8 % du PIB) n’a jamais permis de mettre fin aux fortes inégalités sociales de santé : selon l’Insee (Portrait social, édition 2023), les personnes les plus modestes sont davantage concernées par les maladies chroniques : les 10 % de personnes ayant le niveau de vie le plus bas développent plus fréquemment une maladie chronique que les 10 % les plus aisés, 2,8 fois plus de diabète, 2,2 fois plus de maladies du foie ou du pancréas et 1,4 fois plus de maladies cardio‑neuro‑vasculaires.
Pour ce qui est du service public de l’éducation, le Haut-commissariat à la stratégie et au plan a raison de voir dans les difficultés de recrutement des enseignants, qui deviennent chroniques, le signe d’une crise structurelle[2] : rémunérations jugées trop basses, ce que confirment les comparaisons internationales, sentiment de déclassement, interrogations sur le sens du métier, plaintes sur un soutien hiérarchique insuffisant et sur la multiplicité de réformes jugées peu appropriées.
La mission principale de l’Éducation, rétablir une égalité des chances pour tous les jeunes, n’est pas remplie : un rapport de 2025 de la Cour des comptes sur l’Éducation prioritaire[3] rappelle une énième fois que les inégalités sociales pèsent sur les destins scolaires : à l’entrée en sixième, les performances des élèves en français et en mathématiques sont directement corrélées à la position sociale de leurs parents. A l’écrit du brevet, en 2022, 32 % des élèves de l’éducation prioritaire ont obtenu plus de la moyenne contre 52 % de ceux du secteur public hors éducation prioritaire.
La litanie des mauvais ou médiocres résultats des élèves français aux épreuves de tests internationaux (en CM1, Pirls et Timms, respectivement évaluation des compétences en français et en mathématiques, enquête Timms en 4e et, en fin de premier cycle de l’enseignement secondaire, l’enquête PISA) complète le tableau. En français, la dernière enquête Pirls (2021) montre que la France a enrayé sa chute et stabilisé ses résultats par rapport à l’enquête précédente mais qu’elle reste très mal classée, 16e sur les 19 pays qui ont participé à l’évaluation. En mathématiques (enquête Timms CE1 2023), la France est à la dernière place de l’Union européenne et à l’avant dernière place au niveau de l’OCDE. En 4e (Timms mathématiques), la France est en bas de classement, très en dessous de la moyenne européenne. Les résultats de PISA 2022 sont à peine honorables : la performance est en baisse en culture scientifique et en compréhension de l’écrit même si, dans les deux cas, la France est proche de la moyenne de l’OCDE.
Enfin, pour ce qui est de la justice, la France y consacre en 2022, hors prisons, selon le rapport 2024 de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, 0,20 % de son PIB alors que la médiane des pays du Conseil de l’Europe se situe à 0,28 %, soit 77,2€ par habitant loin derrière ses voisins. Le nombre de juges est faible (11,3 pour 100 000 habitants contre 17 pour la médiane européenne) et surtout celui des procureurs (3,2 une médiane européenne à 11,2). S’agissant des délais de jugement en France, le seul disponible fourni par le rapport est celui des affaires civiles : il est bien plus long en première instance (333 jours contre une médiane européenne à 239 jours), plus du double en appel et plus du triple en cassation. Il est vrai que, depuis lors, la France a fait un effort budgétaire et que les indicateurs peuvent s’améliorer : le retard à rattraper reste toutefois énorme.
S’ajoute à ce tableau la situation dans les lieux de détention, dont la suroccupation (presque 130 % d’occupation des places au 1er janvier 2025, 156 % en maison d’arrêt) altère les droits des détenus, d’autant que les conditions d’accueil sont parfois indignes. Là aussi la mission même de la justice n’est pas remplie : selon l’article 130-1 du Code pénal, le sens de la peine est de sanctionner mais aussi de favoriser l’amendement et la réinsertion du condamné, ce qui est impossible dans les conditions actuelles de détention.
Des politiques erratiques, ponctuelles et jamais vraiment évaluées
Il est vrai que les contraintes financières se sont récemment quelque peu relâchées. Dans le domaine de la santé, l’objectif national de dépenses de l’assurance maladie (ONDAM) a augmenté, de 2019 à 2025, hors dépenses liées au COVID, de 4,8 % en moyenne annuelle, contre une moyenne de 2,4 % les années précédentes : cela a permis d’absorber une bonne part des revalorisations salariales des personnels hospitaliers résultant du Ségur de la santé ainsi que de financer des mesures en faveur de la médecine de ville. La situation s’est améliorée : l’activité hospitalière a connu un rebond en 2024, les vacances de postes de personnels soignants à l’hôpital ont baissé, comme le nombre de lits fermés faute de personnel. Pour autant, les difficultés structurelles sont loin d’être dominées, d’autant que 2026 verra probablement le retour aux économies contraintes. Pour les enseignants, des mesures, certes limitées, d’amélioration des rémunérations ont été décidées en 2023. En ce qui concerne la justice, l’effort budgétaire est net depuis la loi de 2018-2022 et la programmation 2023-2027.
Cependant, s’agissant des services publics, la question des emplois, des rémunérations et des moyens reste essentielle. Le déficit récurrent des hôpitaux montre que les difficultés ne sont pas réglées. La Cour des comptes a beau juger que les moyens accordés à l’Éducation prioritaire sont conséquents, ils sont dérisoires par rapport aux besoins : 2,6 Mds en 2023 sur un budget de 82 Mds pour l’enseignement scolaire. Quant à la justice, elle ne parvient pas à se remettre à flot.
Surtout, ces améliorations se font sous pression ponctuelle, sans plan d’ensemble, sans visibilité sur l’avenir. Inévitablement, le déficit croissant de l’assurance maladie va conduire à resserrer à nouveau l’ONDAM, les améliorations de la rémunération des enseignants risquent d’être stoppés et les engagements envers le service public de la justice de ne plus être intégralement tenus.
Quant aux réformes de fond, la multiplicité, sur les 20 ans passés, des réformes, stratégies, feuilles de route ou plans d’action destinés à remettre à niveau la santé, l’éducation, la justice est frappante. Sur les déserts médicaux, les plans inefficaces se sont succédés depuis les années 2010, qui ont tous misé sur des dispositifs financiers incitatifs à l’installation des médecins ou sur le développement de structures collectives d’exercice médical. La Cour des comptes, dans son rapport cité ci-dessus sur le « premier recours », qualifie cette politique d’instable, mal ciblée, jamais évaluée et, en définitive, impuissante à enrayer l’extension des difficultés. Ainsi, E. Macron tablait-il en 2017 sur le doublement du nombre de maisons de santé : l’objectif a été atteint et la situation a pourtant empiré. Quant à la réforme du système de santé dans son ensemble, de la loi Hôpital patients santé territoires du 21 janvier 2009 à celle du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé, à la Stratégie nationale de santé de 2017 puis à la loi du 24 juillet 2019 de Transformation du système de santé, l’on ne compte plus les textes au titre ronflant qui prétendaient remettre à plat le dispositif et réparer ses manques, et dont la portée a été minime : parfois, il s’agissait de déclaration d’intentions vertueuses sans déclinaison opérationnelle (Stratégie nationale de santé), souvent les textes se sont focalisés sur une problématique spécifique, la coordination entre le secteur ambulatoire et l’hôpital, prévoyant des systèmes facultatifs de coopération entre les deux secteur, sans impact majeur.
Toutefois, il est vrai que le projet de refondation de l’école de 2012-2013, le dédoublement des petites classes en 2017, le Ségur de la santé en 2020 ou la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice ont porté des ambitions intéressantes. Leurs résultats n’en ont pas moins été décevants. Le rapport de concertation préparatoire à la refondation de l’école proposait de réformer l’éducation prioritaire en lui accordant davantage de moyens, de mieux former les enseignants, de moduler les emplois du temps en fonction du projet pédagogique de l’établissement, de faire évoluer les méthodes en travaillant davantage en groupes et par projets, de pratiquer une évaluation différente des élèves. L’organisation de l’éducation prioritaire a été réformée mais l’affectation de moyens supplémentaires modestes n’a pas conduit à des évolutions significatives. La formation initiale des enseignants, rétablie dès 2013, a continué à privilégier les acquis académiques sur les compétences pédagogiques et peu de choses ont changé dans les classes. Faute sans doute d’une modification des méthodes d’enseignement, le dédoublement des petites classes n’a que des effets limités et éphémères. Le Ségur de la santé a eu des effets positifs sur l’attractivité des métiers mais les projets plus structurels de changement du mode de construction de l’ONDAM (qui n’est pas devenu pluriannuel) ont été remisés. La loi de 2019 sur la justice, qualifiée de « rustine » lors des États généraux de la justice de 2021-2022, n’a pas suffisamment mesuré que la dégradation du fonctionnement s’est trop polarisée sur la gestion des flux, avec un « déficit de vision » : elle n’a pas mesuré qu’au-delà des moyens et de l’accélération des décisions, étaient aussi en cause la complexité du droit, les méthodes de travail, les défaillances managériales, l’allocation des ressources entre les juridictions.
En définitive, depuis des années, la décision publique est souvent myope, soit par intérêt politique (elle ne peut faire mieux), soit par méconnaissance de l’ampleur des chantiers. Comme elle est rarement évaluée, les décideurs publics avancent dans le brouillard, avec quelques éclairs de lumière quand il existe un vrai travail de mise à plat. Aujourd’hui, la lassitude et le désintérêt prévalent.
Refuser le conservatisme, réformer
Le conservatisme prend d’abord la forme de questions taboues : ainsi, ce n’est qu’en 2025 qu’une proposition de loi, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, entend imposer une contrainte d’installation aux médecins libéraux et une obligation de participer à la permanence de soins, proposition que le gouvernement s’efforce de contrer au profit d’un nouveau pacte purement incitatif. Le contrôle de la pertinence des prescriptions médicales reste, quant à lui, un tabou quasi absolu, même si une disposition du Code de la sécurité sociale oblige le praticien, dans certains cas, à déclarer que sa prescription respecte bien les indications prévues. Or, certaines estimations évaluent les actes inutiles à 20 ou 30 % de la dépense. Resterait à définir les modalités les plus adaptées de ces réformes : obligation d’installation médicale permanente ou de « consultations avancées », nouvelle mission donnée aux établissements hospitaliers de créer des centres de santé dans certaines zones, formation des médecins à la qualité des soins, contrôles accrus des médecins-conseils de l’assurance maladie…
De même, dans le domaine éducatif, il paraît impossible de remettre en cause les obligations de service des enseignants, même si le « Pacte enseignant » de 2023 prévoit, au demeurant sans grand succès, une rémunération spécifique contre l’acceptation volontaire de missions complémentaires. L’on continue également d’affecter les enseignants qui sortent de formation aux postes les plus difficiles. Autre tabou, celui du modèle de classe : l’on admet des groupes de niveaux permanents, dont on connaît la nocivité, mais pas le recours à des groupes de rattrapage ponctuel sur une question précise, plus efficace et moins stigmatisant.
Pour les magistrats, la ligne rouge est leur indépendance, comprise de manière extensive, avec une réticence à évaluer la portée des jugements, comme le montrent les échanges de 2021 entre le Président de la République et le Conseil supérieur de la magistrature sur le très faible nombre de procédures disciplinaires à l’encontre des magistrats (les plaintes du public ne sont pas correctement traitées) ou, en 2022, les attaques de l’USM, principal syndicat des magistrats, contre la Défenseur des droits qui critiquait le recours trop systématique des juges à la détention. Les magistrats peinent à abandonner leur entre-soi, même si le rapport des États généraux de la justice ne refuserait pas d’augmenter, au Conseil supérieur de la magistrature, la part des non magistrats : encore faudrait-il que le choix s’oriente vers de vrais représentants de la société civile et que le Conseil soit une instance de réflexion sur le fonctionnement de la justice.
Par ailleurs, les réformes tendant à améliorer les résultats sont évoquées, sans suite, de peur de soulever des résistances. La régionalisation de l’ONDAM répondrait mieux aux besoins des régions dont les indicateurs de morbidité et de mortalité sont mauvais ; un dispositif de participation financière aux soins en fonction des revenus, comme c’est le cas en Allemagne, permettrait de lutter contre le renoncement aux soins, sachant que la pauvreté en conditions de vie multiplie ce risque par trois (DREES, 2021) ; enfin, tous les plans d’action dans le domaine de la santé donnent la priorité à la prévention, mais par des actions d’éducation ou d’information dont on sait qu’elles ne touchent pas les publics cibles : il faudrait se préoccuper de certains produits alimentaires vendus dans les grandes surfaces, trop riches en graisse et en sucres, lutter contre les pesticides et les polluants. Or, très peu de mesures ont été prises sur ce champ et, malgré l’augmentation des cancers touchant des personnes jeunes, la santé n’investit pas ce domaine.
Quant à l’éducation, les rapports de l’OCDE indiquent que les performances sont plombées par l’incapacité de l’école à contrer les déterminismes sociaux mais aussi à stimuler, parmi les compétences des élèves, la créativité, le travail en commun, la prise d’initiatives, la curiosité. Pour les élèves de l’éducation prioritaire, la taille des classes, le bruit, l’inexpérience de l’enseignant et l’absence de mixité sociale freinent les acquisitions. Globalement, les pratiques des enseignants sont en cause : les enquêtes de l’IEA (association internationale pour l’évaluation de l’efficacité scolaire) montrent que, si la France consacre plus de temps à l’apprentissage de la lecture, elle en consacre moins à la compréhension des textes, à leur structure et à leur style, moins de temps aussi à des activités favorisant l’autonomie des élèves.
Depuis 15 ans le débat public met en valeur l’importance des alternatives à la détention pour la prévention de la récidive. La Cour des comptes a évalué, en 2025, l’utilisation de deux peines alternatives, les travaux d’intérêt général (TIG) et la détention à domicile sous bracelet électronique. Si ces peines se sont développées (surtout les détentions à domicile), c’est du fait des aménagements de peines postérieurs aux condamnations : les magistrats n’y ont guère recours. Entre 2014 et 2023, le pourcentage des condamnations à la prison ferme n’a que peu baissé[4].
Enfin, des changements organisationnels indispensables peinent à s’imposer. Depuis les années 2000, le pays est conscient que la pénurie de médecins devrait appeler une nouvelle répartition des rôles avec le personnel infirmier, comme c’est le cas dans de très nombreux pays. Depuis 2009, les décideurs ont monté une usine à gaz, la sélection d’infirmiers en « pratique avancée » (IPA), avec des exigences d’études accrues mais sans véritable autonomie. 15 ans après, un décret de 2025 leur donne enfin une certaine autonomie par rapport aux médecins. En 16 ans, le nombre d’IPA est ridicule (2365, dont 419 en libéral, sur une profession de 570 000 personnes). Aujourd’hui, une proposition de loi entend modifier les règles mêmes de la profession, définie désormais par des missions et non par une liste d’actes, à permettre des consultations infirmières et un droit à prescription. Si la loi est votée malgré les freins des médecins, il faudra des années avant que le dispositif devienne opérationnel et répondent aux carences actuelles.
Dans le domaine éducatif, l’OCDE a toujours prôné, pour une meilleure réussite des élèves, un modèle d’établissement disposant d’une certaine autonomie, où les chefs d’établissement ont des responsabilités dans la gouvernance de l’établissement et la définition d’un projet pédagogique. Or, nombre d’enseignants français considèrent la centralisation de l’Éducation nationale comme un gage d’égalité : rien n’a bougé, que quelques expérimentations. Par ailleurs des notes d’experts[5] prônent une réorientation de la dépense éducative, possible à l’occasion d’une baisse du nombre d’élèves dans les années à venir : des classes moins chargées, surtout en primaire, des groupes de niveaux transitoires et flexibles, la mise en place de tutorats, le développement d’une formation continue des enseignants aujourd’hui très insuffisante, l’association des parents aux efforts…Il faudrait agir.
Quant à la justice, elle ne doit pas s’intéresser qu’aux magistrats et aux condamnations. Le rapport de la Cour des comptes mentionné ci-dessus souligne la faiblesse du suivi et de l’accompagnement des peines alternatives, qui n’atteignent pas de ce fait leur objectif de réinsertion. Moins de surveillants, plus de personnels d’insertion et de probation, tout un système à réorienter.
Reconnaître que, si ces questions ne sont pas abordées, c’est parce qu’elles sont conflictuelles est une lapalissade. La France est un pays conservateur, nostalgique, à droite comme à gauche, d’un passé où les solutions étaient simples. Il est certes irréaliste de vouloir que le changement soit rapide : du moins sa nécessité doit-elle être reconnue, des plans d’action élaborés et négociés avec les parties prenantes, puis progressivement appliqués. La France agit aujourd’hui au jour le jour, dans un cadre instable où les incohérences se multiplient. Sans vision de long terme de ses services publics, elle s’en tiendra à des mesures superficielles. La cohésion sociale en souffrira comme les plus démunis, pourtant aujourd’hui bien mal défendus.
Pergama, le 4 août 2025
[1] Urgences, la moitié des patients y restent plus de 3 heures en 2023, 45 minutes de plus qu’en 2013, DREES, mars 2025
[2] Enseigner : une vocation à reconstruire, un équilibre à restaurer, juin 2025
[3] L’éducation prioritaire, Une politique publique à repenser, Cour des comptes, mai 2025
[4] Cf. Évaluation de deux peines alternatives à la détention, Cour des comptes mars 2025 et Dix ans de traitement des affaires pénales par la justice, Infostat Justice, avril 2025
[5] Mieux orienter la dépense publique d’enseignement, Conseil d’analyse économique, mai 2025