En octobre 2024, Michel Barnier a annoncé, dans sa déclaration de politique générale, l’ouverture d’une réflexion sur le recours au scrutin proportionnel aux élections législatives, « pour davantage de représentativité ». Quelques mois plus tard, François Bayrou a repris le projet (il avait l’intention de déposer à l’automne un projet de loi en ce sens) malgré l’opposition des partis de son gouvernement, que ce soit Les Républicains, attachés à une tradition gaulliste datant de 1958, ou les macronistes, qui, portés par le regret des majorités absolues, préfèreraient garder le mode de scrutin actuel. Le projet n’a pour l’instant pas eu de suite. Depuis l’évocation, début septembre, avant la nomination du nouveau Premier ministre, d’une possible dissolution de l’Assemblée, la proportionnelle revient dans les préoccupations et, à lire les articles sur ce sujet, on comprend très bien pourquoi.
Traditionnellement, les partisans du scrutin proportionnel insistent sur son équité : il reflète mieux les choix politiques du pays et établit une meilleure égalité entre les électeurs, à la différence d’un scrutin uninominal majoritaire qui, au moins dans certaines configurations partisanes, déforme les résultats en faveur du parti dominant. Dans ce type de scrutin, les voix d’un candidat éliminé au premier tour sont, en quelque sorte, « perdues ». De plus, parce qu’il s’exerce par circonscriptions d’importance démographique inégale, le scrutin actuel conduit les parlementaires à représenter un nombre très inégal d’électeurs. Les constitutionnalistes (cf. Le mode de scrutin proportionnel, entre promesses et défis, Benjamin Morel, note du Haut-commissariat au plan, mai 2025) insistent sur le lien entre cette représentation plus équitable et une meilleure participation (une étude l’université Yale portant sur 36 démocraties occidentales pour la période 1945-1996 montre, après élimination des autres facteurs, une baisse de 7,5 points de l’abstention si le scrutin est proportionnel). La proportionnelle s’accompagne en définitive d’une adhésion plus grande aux institutions, voire d’une meilleure stabilité des politiques publiques quand les coalitions entre mêmes partis se répètent.
On sait par ailleurs que l’application du scrutin proportionnel présente plusieurs modalités, ce qui permet de « corriger » ou de modifier son impact. L’application de la proportionnelle au niveau national, régional ou départemental a des effets différents (plus la « circonscription » est large, plus les effets de proportionnalité sont forts, avec l’inconvénient, dans les départements ruraux avec peu d’élus, d’un choix limité au parti dominant). De même, les effets sont différents selon la fixation d’un seuil, plus ou moins élevé, dit de « représentation », à partir duquel les listes sont prises en compte, ou s’il y a ou non institution d’une prime majoritaire là aussi plus ou moins élevée (prime qui, comme actuellement aux élections régionales ou municipales, donne un avantage à la liste arrivée en tête, ce qui peut largement « fausser » la proportionnalité) : ainsi, sous la IV République, la proportionnelle n’était pas pure puisque les listes pouvaient « s’apparenter » et, si elles obtenaient à elles toutes la majorité, se voyaient attribuer tous les sièges. Le choix entre ces options est fondamental : l’institution éventuelle d’une proportionnelle de tel ou tel type implique que les Français en comprennent bien la logique, avantages et inconvénients, et l’acceptent. F. Bayrou avait ainsi fixé son choix sur un scrutin proportionnel par listes départementales, ce qui en atténuait assez fortement les effets.
Que disent les opposants à la proportionnelle ? Que l’on va revenir au régime des partis et à l’instabilité systématique de la IVe République (système où, toutefois, les institutions étaient fondamentalement différentes, notamment en ce qui concerne l’exécutif et ses pouvoirs) et que la proportionnelle fragilise l’ancrage local et rompt le lien personnel qu’établit le scrutin uninominal entre le votant et l’élu (l’établissement de la liste dépend davantage des partis).
Que répondent les partisans ? Que le mode de scrutin est moins important que le système partisan : l’obtention d’une majorité absolue, garantie quand il existe deux grands partis, devient impossible quand trois ou quatre se partagent l’électorat, comme le montrent les résultats des législatives de 2022 et surtout de 2024, obtenus avec un scrutin uninominal majoritaire mais un électorat fractionné ; que le désordre auquel on assiste depuis plus d’un an est la résultante de « l’impossible deuil de la majorité absolue » par le monde politique (termes utilisés par la journaliste Anne Chemin), alors qu’il faudrait plutôt organiser ce paysage éparpillé ; que l’évolution de l’électorat témoigne, au demeurant, du rejet d’un pouvoir présidentiel qui, très dépendant d’une majorité présidentielle, concentrait sur un seul homme des pouvoirs excessifs, et, à ce titre, était de plus en plus mal supporté ; que la proportionnelle permettrait de mieux équilibrer le fonctionnement des institutions entre un président qui garderait les pouvoirs que lui confie la Constitution (mais eux seulement), un premier ministre qui cesserait d’être un exécutant et un Parlement qui recouvrerait une certaine dignité au lieu d’être passivement au service des exigences présidentielles ; surtout, qu’il rendrait libre les candidats de leurs alliances ou de la recherche des reports de voix : avec un scrutin proportionnel, la nécessité d’une alliance LFI-socialistes pour que la gauche soit représentée s’estompe et un candidat de droite n’a plus autant besoin de ménager le Rassemblement national pour espérer être élu ; enfin, la proportionnelle oblige à chercher des alliances si l’on veut gouverner.
Certes, les bienfaits de la proportionnelle, telle qu’elle fonctionne dans la plupart des pays européens, ne sont constatés que lorsque les partis acceptent une règle du jeu particulière, annoncent un programme, négocient des alliances. Non seulement, en France, cette habitude n’est pas prise mais le paysage actuel, avec le poids des partis extrêmes, rend prudent. Pour être pragmatique, force est de reconnaître que, surtout si l’on choisit certains types de proportionnelle (avec une prime majoritaire forte par exemple), le Rassemblement national représentera sans doute encore davantage la force politique dominante du Parlement : aux autres partis alors de décider s’ils l’acceptent ou s’unissent pour s’y opposer, alors même que certains d’entre eux ont la tentation de s’y allier. La proportionnelle peut donc faire partie de la solution mais, pour qu’elle contribue au retour d’une démocratie constructive, il reste du chemin à faire.