Jugement Sarkozy: l’exemplarité, exigence légitime

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Jugement Sarkozy: l’exemplarité, exigence légitime

Après la condamnation de l’ancien Président de la République N. Sarkozy, le 15 septembre 2025, à 5 ans de prison pour association de malfaiteurs, un analyste politique, J. Jaffré, d’ordinaire mieux inspiré, a soutenu dans un débat sur France-Inter que le jugement avait « débordé » en se fondant sur une « exigence d’exemplarité » : l’injustice du jugement aurait été de considérer que les élus ne sont pas des justiciables comme les autres mais doivent être sanctionnés plus sévèrement.

Il n’est donc pas question ici de contester la condamnation de N. Sarkozy pour « association de malfaiteurs » mais plutôt de s’offusquer du quantum de sa peine et de son exécution immédiate, disposition appliquée pourtant couramment à des condamnés à la détention en première instance sans que quiconque s’en émeuve.

Il ne s’agit pas non plus de débattre de la caractéristique principale du jugement, qui a écarté les incriminations de « recel de détournement de fonds publics » (comprendre « fonds publics libyens »), de « corruption passive » et de « financement illicite de campagne électorale », pour ne retenir que l’incrimination d’association de malfaiteurs. Gageons que les juges ont été persuadés que ces incriminations étaient pourtant fondées : il existe d’ailleurs, ils le disent, des éléments matériels et des faits précis, graves et concordants qui montrent que les libyens ont versé des fonds et ce ne peut guère être pour une autre raison que le financement de la campagne présidentielle de 2007. Toutefois, parce que la somme versée n’a pas été retrouvée dans le financement de la campagne présidentielle (hormis une somme assez modique en cash d’origine non expliquée), les juges ont, par prudence, écarté certaines accusations. Selon le jugement, les envoyés de N. Sarkozy ont bien obtenu un versement, ce versement est arrivé en France, a été retiré par l’intermédiaire Takieddine mais on ne sait pas où il a atterri ensuite.

Sans remettre en cause le jugement sur le fond ni revenir sur les incriminations retenues ou rejetées, J. Jaffré critique les juges  parce que leur l’exigence d’exemplarité à l’égard d’un élu serait une injustice.

De fait, le jugement repose sur cette exigence. Sans prononcer ce terme, du moins pas dans les extraits publiés par la presse, c’est bien l’exemplarité qu’il invoque quand il justifie la peine de 5 ans de prison et de 100 000 euros d’amende, sachant qu’il ne s’agit pas toutefois de la peine maximale, (10 ans de prison et 150 000 euros d’amende en cas d’association de malfaiteurs) : « Il s’agit donc de faits d’une gravité exceptionnelle, de nature à altérer la confiance des citoyens dans ceux qui les représentent et sont censés agir dans le sens de l’intérêt général, mais aussi dans les institutions de la République ». La peine a été définie en relation étroite avec les fonctions auxquelles N. Sarkozy aspirait à l’époque et qu’il a exercées ensuite : « L’association de malfaiteurs qu’il a constituée avec Claude Guéant, Brice Hortefeux et Ziad Takieddine avait pour objectif de préparer une corruption au plus haut niveau possible lorsqu’il serait élu président de la République, chargé de veiller au respect de la Constitution et garant de l’indépendance nationale. Cette association a ainsi porté sur l’agrément d’un financement en provenance d’un État étranger en contrepartie du suivi du dossier pénal d’un homme condamné pour terrorisme et du maintien des relations avec la Libye ». C’est bien parce qu’il était candidat à la présidence de la République quand il a cherché à obtenir un financement de la part d’un État étranger et c’est bien parce qu’il a demandé à son entourage de négocier avec un assassin terroriste qu’il a été condamné avec sévérité. Le jugement met en avant des exigences de déontologie qu’il n’aurait à l’évidence pas exprimées envers un autre justiciable.

Les jugements précédents concernant N. Sarkozy mentionnent la même exigence : ainsi, dans l’affaire des écoutes, le jugement du 1er mars 2021, qui condamnait N. Sarkozy à 3 ans de prison, disait : « Les délits dont les prévenus sont déclarés coupables ont porté gravement atteinte à la confiance publique » et « Ce dévoiement portant lourdement atteinte à l’État de droit et à la sécurité juridique exige une réponse ferme sanctionnant de manière adaptée cette atteinte à la confiance publique ». Le jugement sur l’affaire Bygmalion du 30 septembre 2021 contient des attendus très proches sur l’atteinte à la confiance dans le système électoral et à l’autorité de organismes de contrôle des campagnes électorales.

Cette exigence d’exemplarité à l’égard d’un élu est-elle juridiquement infondée ?

Non, et pour plusieurs raisons : pour fixer leurs peines, la justice a toujours tenu compte des fonctions et des responsabilités exercées par les prévenus, élus ou pas, et, au demeurant, dans les « affaires Sarkozy », des personnes non élues ont été sévèrement sanctionnées dès lors qu’elles avaient profité de leurs fonctions, y compris en tant qu’auxiliaire privé de la justice, pour commettre un délit ; en outre, le droit pénal prévoit des obligations et des sanctions spécifiques à l’égard des responsables publics responsables de crimes et de délits et, notamment des élus et des membres du gouvernement, exigeant d’eux, implicitement, qu’ils appliquent des principes déontologiques, du moins quand ils ont agi dans le cadre de leurs fonctions ; enfin, si le terme d’exemplarité n’apparaît pas dans la loi, le Conseil constitutionnel y a recours pour valider des dispositions s’appliquant aux responsables publics.

Première justification, au pénal, l’individualisation des peines impose aux juges d’apprécier la gravité d’une faute en fonction de la position de celui qui l’a commise. Si La loi établit des « quantum » de peine, c’est précisément parce que les tribunaux ne jugent pas un acte (il n’y aurait pas besoin de juges) mais une personne, dont la peine peut et doit être modulée, notamment selon sa place : quand un détenteur de l’autorité parentale maltraite son enfant, quand un supérieur hiérarchique abuse de ses fonctions pour imposer à ses subordonnés des réflexions salaces ou des attouchements, il est jugé plus sévèrement qu’un autre.

Au demeurant, dans les affaires Sarkozy, cette exigence déontologique n’a pas touché que des élus : dans l’affaire des écoutes, les juges ont motivé en ces termes la sévérité de leur condamnation envers T. Herzog, avocat du prévenu qui l’a aidé dans sa tentative de corruption : « Les faits dont s’est rendu coupable T. Herzog sont d’une particulière gravité s’agissant d’actes délictueux commis par un avocat, auxiliaire de justice ». Leur attitude a été la même à l’égard d’un autre prévenu, magistrat : « Les faits dont s’est rendu coupable Gilbert Azibert sont d’une particulière gravité, ayant été commis par un magistrat dont la mission était de servir avec honnêteté, loyauté, dignité et impartialité l’institution judiciaire. Les délits de corruption et de trafic d’influence commis par un magistrat dans l’exercice de ses fonctions sont de nature à jeter le discrédit sur une profession dont la fonction est essentielle au fonctionnement de la démocratie ».

 Dans l’affaire du financement libyen, la sévère condamnation de Claude Guéant, qui n’était pas élu en 2007 mais qui, ancien préfet, occupait une fonction publique (directeur de cabinet de N. Sarkozy), est expliquée par le fait qu’il a systématiquement utilisé ses fonctions à des postes clefs de l’appareil d’État pour s’enrichir. Notons bien que ces responsables ont tiré profit de leurs fonctions publiques pour servir leurs intérêts propres et que c’est cela qui aggrave leur cas. Le petit malfaiteur vole et doit être sanctionné. Le magistrat corrompu qui utilise son statut pour obtenir des avantages doit l’être davantage.

Deuxième justification, le droit pénal, s’agissant des atteintes à la probité, prévoit effectivement des sanctions plus lourdes pour les personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public lorsqu’elles utilisent leurs fonctions dans commettre ce délit (cf. les articles 432-10 et sq. du Code pénal). Il ne s’agit alors pas d’une exigence d’exemplarité générale : elle ne joue que lorsqu’un prévenu a manqué à la probité dans le cadre de ses fonctions, ce qui est exactement le cas de Nicolas Sarkozy.  Le montrent également les sanctions pénales qui frappent les élus et responsables publics qui ne satisfont pas aux exigences de déclaration exacte de patrimoine et d’intérêt imposées par les lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique. Le montre enfin la teneur de l’article 131-26-1 du Code pénal qui double la durée de la peine d’inéligibilité encourue par les prévenus qui étaient, au moment des faits, membres du gouvernement ou exerçaient un mandat électif.

Enfin, le Conseil constitutionnel, saisi en 2017 de la teneur de l’article Ier  de la loi  de 2017 sur la confiance dans la vie politique, devenu l’article 131-26-2 du Code pénal , qui instituait une peine obligatoire d’inéligibilité pour les auteurs de certains crimes ou délits (dont les délits d’atteinte à la probité de personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public lorsqu’elles utilisent leurs fonctions dans commettre ce délit), a validé cette disposition, au nom de l’exigence de probité et d’exemplarité  : selon le Conseil, en instituant une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité, « le législateur a entendu renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants. Parmi les infractions impliquant le prononcé d’une telle peine complémentaire, il a ainsi retenu, d’une part, l’ensemble des crimes et certains délits d’une particulière gravité et, d’autre part, des délits révélant des manquements à l’exigence de probité ou portant atteinte à la confiance publique ou au bon fonctionnement du système électoral ». Le jugement Libyen reprend ces termes presque mot à mot.

 De même, saisi d’une QPC sur la disposition de loi prévoyant l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité, le Conseil constitutionnel a indiqué (décision QPC 2025-1129) que ces dispositions « contribuent à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants. Ainsi, elles mettent en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public ».

 En définitive, contrairement à ce que soutient J. Jaffré, quand N. Sarkozy est reconnu coupable, en utilisant son statut de ministre et en tant que candidat à la présidence de la République, d’avoir conclu un accord clandestin pour obtenir de l’argent d’un dictateur libyen criminel, il est normal que sa peine soit plus sévère que celle d’un escroc ordinaire qui soutire de l’argent à un particulier en lui promettant de l’aider dans une affaire douteuse. Juridiquement, l’élu, ou plus largement le responsable public (parlementaire, élu local, fonctionnaire) n’est pas un justiciable comme les autres quand le délit ou le crime qu’on lui reproche a été commis dans le cadre de ces fonctions. Au demeurant, de telles dispositions, fondées en droit, s’imposent de manière lumineuse aux yeux de tout défenseur de la morale publique.