La Cour des comptes consacre, en septembre 2025, un rapport thématique à la transition écologique : les engagements internationaux de la France impliquent, selon la Cour, un bilan annuel de leur mise en œuvre, de leurs résultats et de leurs coûts, bilan périodique auquel l’institution entend désormais participer.
Toute une partie du rapport n’est nullement surprenant.
La Cour rappelle ainsi les travaux du GIEC et de la plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services éco-systémiques (IPBES), qui concluent au lien entre les activités humaines, le rythme sans précédent de l’augmentation des températures planétaires et la détérioration de la nature. La Cour note leurs rapports alarmistes et la demande pressante d’intensifier les efforts de lutte contre ces phénomènes. Elle mesure les enjeux de la politique menée en France, en termes de lisibilité (des stratégies diverses ont été élaborées sur le changement climatique, la gestion de l’eau, la biodiversité, les déchets…), de bouleversement des modes de production et de consommation, de justice sociale et de coût budgétaire. Elle rappelle les traités et engagements internationaux auxquels la France a adhéré et la politique européenne qui a défini, lors du Green deal, six axes : réduction des émissions de GES pour atténuer les effets du changement climatique, protection et restauration de la biodiversité, utilisation durable des ressources en eau, adaptation au changement climatique, prévention et réduction de la pollution, transition vers une économie circulaire.
S’agissant de la France, la Cour reste critique : elle souligne la multiplicité des plans sectoriels (transports, énergie, bâtiments, nitrates…), pas toujours bien articulés entre eux. Elle rappelle que les deux principaux documents prospectifs, la troisième Stratégie nationale bas carbone (SNBC 3) et la troisième Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 3), qui auraient dû être adoptés en 2023, ne sont attendus aujourd’hui que fin 2025. Elle note que la transmission à la Commission européenne de l’actualisation du Plan national énergie-climat a donné lieu à des réactions négatives de celle-ci, qui juge que la France est en retard sur le déploiement des énergies renouvelables et sur l’effort d’efficacité énergétique.
En ce qui concerne les résultats obtenus, le rapport de la Cour n’est pas non plus surprenant : sur la lutte contre le changement climatique, la France a respecté les plafonds d’émissions de GES de la 2e SNBC (2019-2023). Mais, aujourd’hui, les tendances ne sont pas compatibles avec les objectifs de baisse programmés pour 2030, sauf à doubler le rythme de baisse constaté en 2024. La capacité d’absorption des puits de carbone se dégrade. L’empreinte carbone de la France diminue mais reste très supérieure aux émissions intérieures. Quant aux résultats sur les autres aspects de la transition, ils sont soit impossibles à mesurer faute de cible bien définie (c’est le cas pour la politique d’adaptation au changement climatique), soit mauvais (biodiversité et qualité de l’environnement) : déclin des populations d’oiseaux et d’insectes, maintien entre 2015 et 2022, malgré les annonces, du rythme de l’artificialisation des sols, médiocre qualité des eaux, augmentation des déchets quand c’est une réduction qui était annoncée, préoccupations persistantes sur la pollution de l’air et des sols.
Ces données sont largement connues : l’intérêt du document sur ces points est d’en faire la synthèse.
Ce qui est plus surprenant dans ce rapport, c’est qu’il cherche à construire une politique publique de transition écologique alors que celle-ci n’est aujourd’hui qu’esquissée, sans encore s’inscrire dans les priorités de manière déterminante. La Cour des comptes, censée être un organisme de contrôle de la qualité de la dépense publique, a décidé, sur ce thème, d’aller au-delà de son rôle traditionnel : elle propose une démarche et des outils.
Le rapport plaide ardemment pour la nécessité de cette politique : les investissements consentis, dont on sait qu’ils seront croissants s’ils répondent aux besoins, sont, dit-il, rentables, d’autant que le coût des dommages environnementaux ira lui aussi croissant, avec des inquiétudes à termes sur la solvabilité des assureurs.
Quels outils ? En terme institutionnels, le rapport souligne l’apport essentiel, jusqu’en 2023, du Secrétariat général à la planification écologique placé auprès du Premier ministre : sont mentionnés ses travaux sur les divers leviers de décarbonation à utiliser pour atteindre les objectifs visés en 2030, l’effort pour fiabiliser les données indispensables au pilotage et surtout la volonté d’assurer une cohérence (jusqu’ici inexistante) entre les objectifs quantitatifs et les politiques publiques censées permettre de les atteindre. Il faut, dit la Cour, reprendre ces travaux.
Le rapport étudie également le moyen de mettre en cohérence les stratégies nationales et locales, engage une réflexion sur l’efficacité comparée, pour atteindre les objectifs, des subventions, de la fiscalité, des marchés « carbone », de la réglementation, de la réduction des dépenses dommageables et du travail sur l’efficacité énergétique.
Il entend par ailleurs consolider et améliorer la trajectoire financière pluriannuelle de transition telle que publiée en 2024, encore trop partielle et qui ne porte que sur le court terme. Sur la lutte contre le réchauffement climatique, des études chiffrent les besoins, alors que les dépenses d’adaptation sont mal évaluées, tout comme le coût de la lutte contre la dégradation des écosystèmes. La Cour rappelle en tout cas que les financements actuels (100 à 110 Mds de 2022 à 2024) sont très insuffisants. L’objectif de neutralité carbone en 2050 impose de les doubler. Reste en plus à financer les autres domaines de la transition, protection des ressources hydriques, biodiversité, lutte contre les pollutions, économie circulaire.
Enfin, le rapport consacre un premier travail sur la mobilisation des financements, sur l’impact des cofinancements État /ménages et sur celui des aides au secteur privé, à condition de bien les cibler.
La voix de la Cour n’est pas totalement isolée : juste avant sa chute, le gouvernement Bayrou a commandé à trois économistes du CAE (Conseil d’analyse économique) un travail de quantification des conséquences économiques de la « fracture écologique » (impact du changement climatique sur les revenus professionnels ou les bénéfices des entreprises, impact sur la santé de la pollution et de la chute de la biodiversité, impact sur les ménages du coût de l’énergie et de la mauvaise isolation des logements…). Restent bien évidemment des interrogations sur l’utilisation qui sera faite de ce travail, qui devrait être remis à l’été 2026.
En annonçant qu’elle consacrera tous les ans un rapport à dresser le bilan de la politique de transition écologique, la Cour veut manifestement forcer l’attention. Elle y a du mérite, dans un contexte où le Secrétariat général à la planification mis en place en 2022 est en déshérence depuis 2023, où la droite et l’extrême droite combattent toutes les normes de protection de la nature ainsi que les énergies renouvelables et où les agriculteurs réclament toujours davantage de pesticides. Il est au demeurant probable que c’est l’indifférence des hommes aujourd’hui au pouvoir qui l’a convaincue de rédiger ce rapport fouillé, technique mais déterminé. En concluant que « chaque euro investi dans la prévention et dans une transition écologique ordonnée aura un impact économique et social positif, et ce d’autant plus que ces investissements auront été réalisés tôt », la Cour s’inscrit comme un acteur d’un chantier essentiel.