La valeur des forêts

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La valeur des forêts

Le Conseil d’analyse économique a publié en septembre 2025 une note demandant que les comptes nationaux valorisent les services rendus par la forêt, afin de sensibiliser les décideurs et l’opinion publique aux bénéfices des actions menées en leur faveur. L’exercice pourrait être mené sur d’autres écosystèmes (zones humides, sols agricoles…) : si le choix du CAE s’est porté sur les forêts, c’est parce qu’elles jouent un rôle particulier dans l’effort pour atteindre la neutralité carbone (elles représentent un puits de carbone qui absorbent une part des émissions totales, naguère jusqu’à 10 %) et parce que les constats récents indiquent que leur capacité de stockage est en forte diminution, ce qui est très inquiétant. La crainte est que, si la crise que subissent aujourd’hui les forêts se poursuit et s’aggrave, les forêts ne deviennent émettrices de carbone en 2050.  Outre la captation du carbone, les forêts procurent d’autres services, protection de la biodiversité, régulation des crues, amélioration de la qualité de l’air et services récréatifs.

Aujourd’hui les comptes nationaux ne mentionnent que la valeur ajoutée brute de la sylviculture, soit 3,14 Mds en 2018. Y intégrer la valeur globale des services rendus par la forêt permettrait de mesurer le coût des altérations subies (liées notamment aux sécheresses, aux crises sanitaires, au ralentissement du rythme de croissance des arbres et à la moindre protection de la biodiversité) et inciterait à protéger davantage ce bien.

Le CAE souligne l’insuffisance des données dont il dispose pour calculer la valeur des services forestiers, notamment en ce qui concerne la captation du carbone : les stocks de bois et de carbone dans les forêts qui ne sont pas exploitées sont mal connus, de même que l’ampleur des massifs d’arbres et des taillis hors forêts. S’agissant de mesurer la valeur de la tonne de carbone « retenue » ou restant dans l’atmosphère, des estimations existent, qui obéissent à différentes méthodes : le CAE choisit de retenir l’approche par le « coût social » des dommages évités par la société grâce à une réduction des émissions, qui permet d’évaluer le prix d’une tonne de carbone absorbée. La  valeur ajoutée des forêts françaises passe de 3,14 à 5,82 Mds en 2018 quand y est intégré le service de séquestration. Pour ce qui est des autres services, les méthodes sont rares et discutées : sur le fondement des calculs menés au Royaume-Uni, la note du CAE ajoute aux 5,82 Mds précédents une somme de 5,39 Mds pour parvenir à une valeur ajoutée élargie totale de 11,2 Mds en 2018.  En termes patrimonial, l’estimation de la valeur des forêts dépasse alors 600 Mds.

La note ne vise pas seulement à faire prendre conscience de la valeur économique des forêts mais à éclairer les choix de politique publique sur les forêts. Que faut-il faire ? Faut-il continuer, comme aujourd’hui, à favoriser l’usage du bois-énergie pour éviter de recourir à d’autres sources plus émettrices de carbone ? Faut-il planter et réduire les coupes pour augmenter la taille des forêts ? Faut-il éviter de replanter après coupe rase, en remplaçant une forêt vieillie par une forêt jeune mais, au départ, peu performante ? Le CAE préconise de ne plus recourir aux coupes rases et de privilégier les usages longs du bois (construction, mobilier), moins le bois énergie. D’autres spécialistes vont plus loin : le site The conversation a publié le 2 octobre dernier une note de deux experts (une universitaire, M. Charru, et un directeur de recherches de l’INRAE, L. Augusto) recommandant de choisir les espèces à planter en fonction du contexte, plutôt des espèces « acquisitives » (rapides) dans les sols fertiles et les climats favorables, plutôt des espèces « conservatives », plus lentes mais plus résistantes, dans des sols pauvres et des climats difficiles.

Reste à exploiter ces données et à construire les politiques publiques qui s’en inspireront : c’est bien évidemment sur ce point que les recommandations du CAE (mesurer en valeur la baisse de la capacité de captation du carbone ou prendre en compte la diminution de la valeur de préservation de la biodiversité pour élaborer des politiques publiques correctrices) sont les plus fragiles. La démarche du CAE est rationnelle et se veut démonstratrice : mais elle est impuissante si elle ne représente qu’un flash ponctuel. C’est sur la durée qu’il faudrait la conduire et en tirer les conclusions. Dans le contexte actuel, la note du CAE risque d’être un coup d’épée dans l’eau, mais un coup d’épée bienvenu et sympathique, à suivre en tout cas.