L’année 2025 verra-t-elle le début de prise de conscience de l’importance du management sur la qualité de vie au travail et les résultats des entreprises françaises ? Et du retard pris en ce domaine par la France ?
Trois événements ont marqué l’année 2025 en ce sens.
Le premier est la parution, en mars 2025, d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), Pratiques managériales dans les entreprises et politiques sociales en France. Le second est, en septembre 2025, la parution de l’ouvrage de Bruno Palier et Christine Erhel, Travailler mieux (PUF). Le troisième est, en octobre, la remise du prix Penser le travail, cofondé par Sciences-po et le journal Le Monde, à trois essais, La frustration salariale, A quoi servent les primes ? (É. Penalva-Icher), Le travail migrant, l’autre délocalisation (D. Péron), et Le dialogue social sous contrôle (B. Giraud et J. Pélisse), tous trois très critiques sur les pratiques actuelles.
L’IGAS a choisi d’étudier le rapport entre les politiques managériales et les politiques sociales. Le lien est clair, puisque le management a un impact sur la qualité de vie au travail mais aussi sur les performances des entreprises, notamment l’absentéisme, l’emploi, le turn-over, le sens du travail. L’IGAS a voulu procéder sur ce sujet à des comparaisons internationales. Il ressort du rapport plusieurs conclusions : la première est que, entre les pays, les critères « d’un management de qualité » sont convergents, à savoir participation des salariés et reconnaissance du travail accompli, grandes lignes qui se déclinent en respect de l’autonomie, clarté des rôles et décentralisation des décisions. La seconde conclusion est qu’un management de qualité a des effets sur la performance des entreprises (de nombreuses études le démontrent, notamment sur la santé des travailleurs et surtout leur engagement), même si ceux-ci sont difficiles à quantifier. La France est enfin dans une position peu favorable par rapport aux autres pays auxquels le rapport la compare (Allemagne, Irlande, Italie, Suède), comme en témoignent les enquêtes d’Eurofound et nombre d’études françaises. Le management y est excessivement vertical et hiérarchique et la reconnaissance du travail faible. La réglementation des relations sociales est pourtant riche, qui ne parvient pas à modifier le mode de management. En fait, c’est la place donnée au dialogue social qui fonde les différences constatées : ailleurs, ce dialogue permet la proximité et la collaboration, pas vraiment en France. En définitive, le rapport insiste sur la nécessité d’un management plus décentralisé et participatif, avec éventuellement l’inscription d’un débat sur ce point dans les obligations du dialogue social, et sur la réévaluation de la représentation des salariés dans les instances de direction.
L’ouvrage Travailler mieux entre en résonnance avec ces conclusions. Les auteurs jugent également que le management français est spécifique et que, par rapport à des pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou les pays nordiques, l’insatisfaction au travail est plus importante en France, y compris sur les conditions de travail, horaires, pénibilité, ou sur l’aptitude au dialogue… Le dialogue social porte trop peu sur l’organisation du travail et l’autonomie des travailleurs et la volonté de baisser les coûts nuit à la bonne prise en compte des besoins des salariés. Ceux-ci doivent être davantage écoutés et davantage d’attention doit être portée à la qualité des emplois.
Enfin, les trois ouvrages finalistes du prix Penser le travail illustrent les dégâts du management actuel.
L’individualisation à outrance des rémunérations produit un sentiment d’opacité, une perte de repères et un ressentiment lié à l’augmentation des inégalités et au sentiment d’injustice. Loin de permettre d’affiner les politiques salariales, les primes augmentent les tensions. Comment dans ce contexte les règles de transparence salariale qui doivent se mettre en place au printemps 2026 dans la plupart des entreprises seront-elles reçues ?
L’essai sur l’emploi des immigrés, en particulier des clandestins, qui concerne surtout certains secteurs, révèle combien le poids de l’employeur et de ses exigences pèse lourd sur ces salariés vulnérables. Ces travailleurs sont exposés à la privation de leurs droits syndicaux, à des licenciements expéditifs, au temps partiel subi, à l’ubérisation contrainte et, surtout, à la précarité.
Enfin, l’essai sur le dialogue social est un bilan des modifications apportées par les Ordonnances travail de 2017, avec deux conséquences essentielles : prévalence du dialogue social dans l’entreprise sur celui des branches, qui a perdu de sa force, ce qui a enfermé les syndicats dans la logique managériale des employeurs ; réduction des moyens des représentants du personnel avec la mise en place de l’instance unique qu’est le Comité social et économique, qui a de plus alourdi leur travail sans que cela profite à leurs mandants.