Le 30 octobre dernier, le journal Le Monde s’est fait l’écho de la protestation de quatre experts, membres du Conseil scientifique en charge de superviser une étude du Haut-Commissariat à la stratégie et au plan sur Les politiques publiques de santé environnementale, étude répondant à une demande de l’Assemblée nationale.
Les critiques des experts portent sur le chapitre consacré aux pesticides : celui-ci a été soumis au cabinet de la ministre de l’agriculture (pourquoi ?), lequel en a modifié les termes et édulcoré les conclusions, ce qui, on peut le comprendre, a été mal accepté.
L’incident est surprenant, pour plusieurs raisons.
D’abord, mieux vaudrait ne pas nommer de Conseil scientifique quand on veut raconter des craques sur un sujet sensible. Pour bénéficier d’une caution scientifique, les responsables du Haut-Commissariat ont en effet utilisé des méthodes douteuses, dont se plaignent les experts protestataires : demande périodique de relecture dans un délai rapide sans signaler les modifications apportées (cela décourage ou au moins complique la relecture) et, dans certains cas, ajouts de paragraphes qui ne figuraient pas dans la version finale soumise au Conseil scientifique et qu’il a découverts après la parution du rapport : ça fait désordre.
En second lieu, le Haut-Commissariat n’a pas été très habile quand il a voulu dissimuler la contestation des experts. Une phrase de l’introduction attire l’œil : « Le rapport a bénéficié de l’expertise d’un comité scientifique dont la composition est précisée en annexe. Cependant, les recommandations formulées dans le rapport n’engagent pas ses membres ». Des conclusions qui n’engagent pas les scientifiques nommés pour les superviser, cela fait désordre également.
La maladresse finale du Haut-Commissariat est d’avoir publié deux versions du rapport. L’une, sans doute la plus ancienne, comporte une annexe 3 où les quatre membres du Conseil scientifique expliquent leurs désaccords. Dans la publication officielle, l’annexe n’est plus là. On trouvera la version complète du rapport à l’adresse suivante :
Quels sont les points du rapport que les experts contestent ?
Les experts auraient voulu insister sur le fait que les évaluations réalisées aujourd’hui (qu’elles soient a priori, sans tenir compte de la vie réelle, ou a posteriori, avec exposition réelle) sous-estiment systématiquement le risque. Pour les premières, parce qu’elles prennent mal en compte la littérature scientifique, pour les secondes, parce qu’elles ne sont que des estimations très imparfaites.
Ils auraient également voulu que le rapport souligne la vertu du principe de précaution : dès lors qu’un produit a pour objectif reconnu de produire un effet délétère, il est probable qu’il le produira au-delà même de sa cible stricte, alors que couramment, il est évalué comme « sans effet sur… (les abeilles, les insectes, les humains…)».
Le rapport estime à 2 Mds les aides de la PAC concourant à réduire l’utilisation des pesticides. Cette estimation (qui ne figurait pas dans la version relue par le conseil scientifique) est, disent-ils, dénuée de tout fondement et contraire à l’analyse de la PAC faite dans tous les documents d’expertise. Elle est au demeurant contradictoire avec d’autres pages du rapport. Les experts contestent enfin la présentation faite de certaines mesures de la PAC, sur les rotations de culture ou les haies, dont ils nient l’incidence sur la réduction des pesticides.
Selon eux, la rédaction du rapport sur les défaillances des procédures d’autorisation des pesticides manque de clarté. La vérité est que les procédures sont très peu transparentes et permettent de laisser de côté la littérature scientifique, peu prise en compte de ce fait par les agences en charge de l’évaluation. Les méthodes d’évaluation des risques sont imprécises. En réalité, on s’aperçoit que les démonstrations de non-nocivité sont toujours acceptées, même quand elles sont incomplètes ou équivoques, et que les démonstrations de nocivité font à l’inverse l’objet d’un examen critique poussé et sont souvent écartées. Il faudrait, selon les experts, refonder entièrement le système de « preuves » de toxicité, en s’inspirant de la littérature scientifique qui existe sur ce sujet.
Le rapport du Haut-Commissariat affirme en outre que l’étude Mancini et al, de 2023, qui met en relation la densité des vignes autour des résidences et l’augmentation des leucémies infantiles, est « peu robuste » au niveau régional et, de ce fait, « pose question », ce qui semble jeter un sérieux doute sur ses conclusions. Cette appréciation, selon les experts, n’est ni exacte ni loyale : les auteurs de l’étude Mancini relèvent certes des disparités des résultats obtenus selon les régions et proposent des pistes d’explication. Pour autant, dans nombre de régions, leurs conclusions restent très étayées et, de ce fait, inquiétantes. Jeter le doute sur une telle étude n’est pas honnête.
Les experts critiquent également le doute jeté par le rapport du Haut-Commissariat sur l’étude Nutrinet, qui relevait un lien entre l’alimentation biologique et la baisse du risque de cancer. Ils dénoncent également des citations trompeuses du Haut conseil de la santé publique sur ce même sujet. De même, ils contestent la qualification d’infox qui aurait été donnée par l’INCA sur le lien entre alimentation bio et réduction des risques de cancer.
Au final, les protestataires notent que le rapport minimise les impacts des pesticides, se centre sur la santé humaine là où la vision devrait être plus large (biodiversité et paysages), exagère l’impact de la PAC sur la réduction de l’usage des pesticides, ne relève pas correctement les failles du système d’autorisation et rend compte de certaines études scientifiques de manière peu fiable, sinon malhonnête. Ce n’est pas rien.
La leçon de l’incident est claire : quand le Parlement voudra un rapport honnête, qu’il s’adresse à la Cour des comptes ou aux grands organismes scientifiques compétents, dont l’indépendance est mieux garantie.
Relevons enfin, pour sourire, l’hommage du vice à la vertu qui figure dans la synthèse officielle du rapport : « La santé environnementale », dit ce texte un peu ronflant, « interroge directement nos choix de société. Face aux effets majeurs de la pollution sur la santé et aux attentes citoyennes en matière de protection, elle exige une refondation des politiques publiques concernées. Structurer l’action publique, donner à l’expertise scientifique indépendance et moyens, appliquer davantage le principe de précaution et renforcer le contrôle sont des conditions essentielles pour protéger durablement la santé des générations présentes et futures ». Oui, ce sont bien des conditions essentielles, le Haut-Commissariat est dans le vrai…Décidément, sur les pesticides, la parole publique n’a pas de pudeur.