L’IDDRI-Sciences-po, Institut du développement durable et des relations internationales, publie en novembre 2025 une étude sur les facteurs qui risquent de peser sur l’évolution des prix alimentaires. L’étude craint que ne soit mis à mal un « Pacte alimentaire » tacite, composante essentielle, selon l’Institut, du pacte social : selon cet idéal, chacun devrait disposer d’une alimentation abordable, sûre et conforme à ses préférences. L’étude s’inscrit dans un contexte où l’inflation des prix alimentaires a été très forte en 2022-2023, avant de ralentir fortement, sans pour autant que les prix retrouvent leur niveau antérieur.
L’étude rappelle le constat effectué sur la durée : la part de l’alimentation dans le budget des ménages a baissé depuis les années 1960, où elle représentait un quart de la consommation, et son poids reste différent selon les catégories sociales même si dépuis 50 ans, l’écart s’est fortement réduit. Certains postes de dépenses du budget des ménages ont depuis lors augmenté (logement, transports, loisirs), d’autres sont apparus (internet, abonnements divers). L’alimentation s’est donc « secondarisée », en partie du fait de l’augmentation des dépenses contraintes (plus de 30 % des budgets en moyenne), en partie par choix. En 2019 (source : France, Portrait social), avant les évolutions plus chaotiques qui ont suivi, l’alimentation représentait 12,1 % de la consommation des ménages (13,2 % avec les boissons non alcoolisées). De ce fait, le « consentement à payer » l’alimentation s’est réduit, notamment pour les catégories peu favorisées au budget contraint.
Autre tendance lourde, l’externalisation des tâches alimentaires, qui se traduit par l’achat de plats tout faits, par contrainte de temps, volonté de privilégier les loisirs et à cause de l’augmentation du travail féminin : la création de valeur a glissé de l’agriculture vers l’industrie agro-alimentaire. La question se complexifie alors avec une dualisation croissante de l’offre, entre produits sains et hauts de gamme (ainsi des produits bio ou non transformés) et une offre alimentaire de faible qualité, à petits prix mais porteuse de risque. L’IDDRI à juste titre note qu’il serait sans doute vain de recommander « un retour à la cuisine » pour accommoder des produits frais : l’évolution des emplois du temps ne le permet pas.
La crise inflationniste récente des années 2022-2023 (presque la moitié des produits ont vu leur prix augmenter d’au moins 10 %) s’est traduit par une baisse des achats alimentaires : l’Insee a noté que, lorsque les prix ont augmenté de 1 %, la consommation du produit a baissé de 0,6%, moins pour les produits de première nécessité mais davantage pour les produits « non essentiels » et chers. Cette baisse de la consommation s’est accompagnée souvent d’une descente en gamme des produits achetés. L’inflation est revenue ensuite à un niveau plus faible mais les achats ont continué à baisser, la relative stabilisation des prix s’étant opérée à un niveau élevé, bien plus élevé en tout cas qu’avant la COVID.
La note met surtout l’accent sur les facteurs qui pourraient, à l’avenir, de contribuer à une nouvelle augmentation des prix alimentaires, alors même que les ménages ne sont pas prêts à augmenter la part de leur budget consacrée à l’alimentation : augmentation du prix de l’énergie et des engrais, baisse des rendements, impact du changement climatique, crises sanitaires, restriction des échanges commerciaux, sans mentionner une augmentation des prix liée à d’éventuels changements des pratiques agricoles ou à des évolutions qualitatives exigées par les pouvoirs publics dans les filières agro-alimentaires. Certes, cette augmentation est incertaine : d’autres facteurs (augmentation de la productivité, ouverture aux importations) pourraient jouer à la baisse, au moins sur certaines productions. L’évolution du pouvoir d’achat des ménages jouera également sur leur capacité d’achat.
Dans ce contexte, la dualisation de la consommation alimentaire peut s’accentuer, avec un égard grandissant entre le bien et le mal manger.
Les réponses envisagées (inciter à modifier les régimes alimentaires en diminuant la consommation des produits carnés, inciter la grande distribution à promouvoir les produits de meilleure qualité, exiger une meilleure qualité environnementale des produits) sont intéressantes mais semblent quelque peu volontaristes (irréalistes?) dans le contexte actuel. La note se termine sur une tonalité floue : en définitive, les prix alimentaires risquent d’augmenter, les écarts entre ménages sur la qualité des produits achetés peuvent s’accroître et il n’existe pas de politique publique qui réponde à ce constat.