Améliorer la fiscalité du patrimoine

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Améliorer la fiscalité du patrimoine

Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), présidé par le premier président de la Cour des comptes, composé de 16 membres, magistrats, hauts fonctionnaires et personnalités qualifiées, a pour mission d’étudier « l’impact économique, social et budgétaire des prélèvements obligatoires » et d’émettre des propositions pour l’améliorer.  Le rapport publié le 3 décembre 2025 Corriger les principales distorsions de l’imposition sur le patrimoine tombe à pic dans un débat public où, ces derniers mois, l’absence d’équité de l’impôt en ce domaine a été continûment évoquée.

Le rapport établit d’abord un constat. Le patrimoine français (14,4 Mds en 2024) a augmenté depuis 1995 bien plus vite que le PIB et que le revenu des ménages. Il représente aujourd’hui plus de 6 fois le revenu disponible contre 4,5 fois en 2000. La France est devenue un des pays où il est le plus concentré. 1 % des ménages détient 27 % du patrimoine et les 10 % les plus riches en détiennent 60 % : on n’est pas si loin des États-Unis, où les pourcentages sont respectivement de 35 et de 70 %. Le patrimoine professionnel est essentiellement concentré dans le dernier décile. L’augmentation et la concentration des richesses sont liées à la hausse du prix des actifs financiers et des logements et à l’augmentation des héritages, source croissante d’enrichissement des déjà riches.

L’imposition du patrimoine représente 113 Mds en 2024, dont 43 % frappe le revenu du capital et les plus-values, 31 % les transactions, dons et successions et 25 % la détention, taxe foncière pour l’essentiel, le produit de l’Impôt sur la fortune immobilière étant faible. Le Conseil considère que cette fiscalité est plutôt élevée mais complexe, inégalitaire et source de distorsions, notamment parce qu’elle oriente excessivement l’épargne vers certains dispositifs ou certains secteurs. Les règles d’imposition ne permettent pas en tout cas de répondre à la concentration des fortunes : elles creusent les inégalités. Sont en cause la plus faible imposition des revenus du capital par rapport à ceux du travail et les défaillances de l’imposition sur la détention du capital (la taxe foncière pèse plus lourdement sur les ménages modestes et, depuis la suppression de l’ISF, seule la fortune immobilière est taxée, pas les autres actifs, encore est-ce faiblement). Sont en cause également les facilités d’optimisation fiscale, qui permettent d’éviter l’imposition sur le revenu des biens financiers et d’alléger fortement la fiscalité des successions.

Pour autant, le rapport n’est pas seulement centré sur l’équité de l’impôt. Les propositions portent sur bien d’autres points. Ainsi, le CPO fait de la neutralité de l’impôt un mantra, pour éviter que la fiscalité oriente excessivement les choix.  D’où une multiplicité de propositions plutôt convaincantes : taxation des plus-values immobilières sur les résidences secondaires non pas en fonction des années de détention mais plutôt en fonction d’un coefficient d’érosion monétaire, pour éviter les rétentions de propriété ; baisse des droits de mutation à titre onéreux pour améliorer la fluidité du marché immobilier ; rapprochement des fiscalités sur les différents types de locations immobilières ; diminution des avantages liés au barème fiscal appliqué à l’assurance vie lors des successions, pour éviter de favoriser les grosses successions, voire alignement du régime fiscal de l’assurance vie sur celui des successions ; encadrement de l’âge de liquidation des plans d’épargne retraite pour éviter l’exonération de la transmission en cas de décès ; enfin, proposition qui a soulevé bien davantage de critiques, baisse des plafonds de l’épargne réglementée (livrets A…) dont on sait qu’elle profite aux petits épargnants, le CPO considérant qu’il faut éviter l’excès d’une épargne de précaution qui se transforme en placements. La plupart de ces propositions occasionnent des pertes de recettes publiques : les propositions de compensation paraissent souvent hésitantes et, de fait, poseraient question. Ainsi, pour compenser la baisse des DTMO, ni l’augmentation des taxes foncières (injustes) ni l’imposition de plus-values sur les résidences principales ne paraissent socialement équitables. De même, s’agissant de la transmission des sommes d’assurance-vie, on a du mal à comprendre pourquoi la préférence du CPO semble porter sur le « resserrement » du barème (ce qui ne compense pas complètement le coût fiscal du dispositif) et pas, tout simplement, sur l’alignement de la fiscalité sur celle des successions.

Sur l’amélioration de l’équité et de l’acceptabilité de l’impôt, les propositions se veulent sérieuses : il ne s’agit pas de propositions en trompe l’œil et il existe une volonté de remise à plat de la fiscalité du patrimoine. Le rapport considère comme une « exigence » de « renforcer l’acceptabilité et l’équité de l’impôt », de « corriger le caractère régressif de l’imposition des hauts patrimoines » et, en particulier, de réformer l’imposition des successions, trop favorable aux très hauts patrimoines.

Néanmoins, les recommandations se veulent également très prudentes, examinent les objections juridiques et le risque d’effets pervers et, sans le dire, refusent la brutalité. Aux réformes trop strictes, elles préfèrent, sur des dispositifs d’optimisation fiscale reconnus comme très inéquitables, des propositions qui « réduisent » les avantages. L’ensemble y perd en cohérence politique mais y gagne peut-être en faisabilité. Ces compromis techniquement complexes et parfois alambiqués expliquent sans doute que, sur les 15 membres du CPO présents lors de l’adoption du rapport, 2 aient voté contre et 2 se soient abstenus, dont on aurait aimé que le rapport explicite les motivations.

Ainsi, s’agissant de l’imposition des revenus du capital, le rapport ne revient pas sur la réforme de 2018 instituant un prélèvement forfaitaire unique de 30 %, au motif qu’elle s’est auto-financée (elle a fait cesser la rétention de la distribution de dividendes et, de ce fait, n’a pas été couteuse pour les finances publiques). La réforme proposée récemment par le CAE (imposer le flux des héritages tout au long de la vie) qui visait explicitement à freiner la constitution de très hauts patrimoines par héritage successifs, est balayée parce que trop compliquée. S’agissant des successions, l’objectif du CPO ne concerne pas la seule équité : il veut certes limiter les mécanismes dérogatoires, donc améliorer l’efficacité et la transparence, mais aussi assurer la fluidité des procédures et accélérer le traitement des héritages, baisser les taux de la fiscalité applicable en élargissant l’assiette.

Restent, pour atteindre l’objectif d’équité stricto sensu, plusieurs propositions importantes, qui s’ajoutent à celle, mentionnée ci-dessus, concernant l’assurance-vie : réformer les valeurs à la base du calcul de taxes foncières jugées contre-redistributives ; repenser le régime fiscal du démembrement de propriété, technique permettant de limiter les droits de succession en faisant don de son vivant de la nue-propriété des biens à ses héritiers (mais le CPO écarte les solutions radicales pour un « resserrement » du dispositif) ; mieux encadrer les dispositifs d’apport-cession qui permettent d’échapper à l’imposition des plus-values du capital financier en cas de cession (il s’agit d’un dispositif d’évitement fiscal massif, qui concerne aujourd’hui 127 Mds de titres), en renforçant les conditions qui permettent l’effacement de la plus-value ; mettre fin à la dégressivité de l’imposition des hauts patrimoines, soit en taxant les liquidités mises à l’abri dans des holdings contrôlées par quelques personnes physiques (artifice très utilisé), soit en créant un impôt différentiel à taux réduit sur la détention des fortunes personnelles, mais en excluant les biens professionnels : ce dernier dispositif, précisément parce que les biens professionnels sont exclus, ne parvient pas, le CPO le reconnaît, à rétablir une réelle progressivité de la taxation du patrimoine les plus fortunés ;  pour améliorer le dispositif, le CPO propose alors de mieux imposer les très hautes successions, soit en utilisant la technique, là aussi, de l’impôt différentiel minimum (il resterait à en définir le niveau), soit en réduisant le champ et le taux du dispositif Dutreil (qui diminue de 75 % l’assiette taxable par les droits de mutation des parts et actions d’une société ou les biens d’une entreprise individuelle).

 Le rapport a plusieurs mérites : la mise en œuvre de ses propositions améliorerait l’équité par rapport à une situation actuelle qui est insupportable ; il montre que le taux de l’impôt n’a qu’une valeur d’affichage si l’assiette est « mitée », avec des exonérations dans tous les sens massivement favorables aux grandes fortunes. Il a également des défauts : il est complexe et parfois hésitant, choisissant des solutions intermédiaires difficiles à porter, refusant, sauf exception, des solutions plus radicales. Il appelle de ce fait (pourrait-on l’éviter ?) des discussions supplémentaires, à la fois techniques et politiques. En définitive, malheureusement, rien de tout cela n’aura sans doute lieu. Malgré l’aspiration des contribuables à plus d’équité, le risque actuel est plutôt le statu quo. Peut-être des démonstrations et des solutions plus simples et plus claires auraient-elles été, dans un premier temps, préférables à cet imbroglio technique difficile à décoder.