Décentralisation, déconcentration, quelle crédibilité pour les projets du premier ministre?

Améliorer la fiscalité du patrimoine
8 décembre 2025

Décentralisation, déconcentration, quelle crédibilité pour les projets du premier ministre?

Le 14 octobre dernier, dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a déclaré : Je proposerai en décembre un projet de loi pour renforcer le pouvoir local, un nouvel acte de décentralisation. Lui seul permettra de réformer l’État de manière globale et d’améliorer le fonctionnement de tous nos services publics. Qu’est-ce que l’on attend de l’État ? C’est la question centrale (…) Je proposerai un principe simple, celui de l’identification d’un seul responsable par politique publique. Il s’agira soit d’un ministre, soit d’un préfet, soit d’un élu. Il ne faut pas décentraliser des compétences. Il faut décentraliser des responsabilités, avec des moyens budgétaires et fiscaux et des libertés, y compris normatives (…).

 L’ambition du projet, qualifiée parfois de pharaonique, avait alors été relevée : tel que présenté, le projet devait refonder les compétences de l’État et redistribuer une part de ses compétences aux collectivités territoriales, modifier également la répartition entre collectivités en insistant sur la « responsabilité » complète de cette attribution, avec, à la clef, une redistribution des moyens et l’attribution de pouvoirs « normatifs » aux collectivités (augmentation de leur pouvoir réglementaire).

Le projet au départ a également été jugé flou. Il a pris de la consistance avec l’organisation d’une concertation avec les élus, qui ont fait remonter des propositions qualifiées de foisonnantes, puis avec l’engagement d’un calendrier et la promesse de soumettre au Conseil des ministres, le 17 décembre prochain, un document présentant les grands axes d’un projet de loi, pour un vote fixé au printemps. Le Premier ministre a évoqué certaines orientations s’agissant des compétences déléguées aux collectivités, sur l’accès aux soins, le médico-social, le transport ou le logement, inégalement accueillies. D’autres déclarations, celles de la ministre de l’Aménagement du territoire (« pas de grand soir, des clarifications ») semblent annoncer des projets plus raisonnables que bouleversants.

En attendant la présentation du projet, trois constats sont peu contestables : le contexte actuel se prête mal à l’adoption de réformes fondamentales ; si la répartition des compétences entre collectivités et avec l’État est un vrai problème, c’est une question si difficile et qui présente tant de pièges qu’il faut sans doute borner au départ ses ambitions plutôt que de les élargir ; enfin, certaines questions devraient sans doute être traitées en amont pour laisser plus de chances au projet d’aboutir et de convaincre.

Tout d’abord, le contexte politique actuel est peu favorable : les parlementaires  semblent aujourd’hui incapables de construire collectivement des politiques cohérentes en accord avec les attentes du pays. Le Premier ministre ne dispose lui-même que d’une légitimité fragile (le « bloc central » ne le suit pas toujours et son propre parti connaît de profondes divisions) : les attentes à son égard sont d’abord l’adoption d’un budget, ce qui n’est pas assuré. Or, en ce qui concerne le projet de décentralisation, il évoque, dans ses réunions avec les départements ou avec les régions, des changements fondamentaux dans les missions de l’État, indiquant que ce dossier est, à ses yeux, premier : « La décentralisation sera la conséquence de la réforme de l’État », dit-il.

Ainsi, dans le domaine social, il n’est plus question de recentraliser le RSA mais de construire une « allocation sociale unique » réunissant RSA, prime d’activité, aides au logement.  Cette réforme, inscrite dans le plan Pauvreté de 2018 pendant le premier quinquennat Macron sans avoir abouti, avait soulevé de grandes inquiétudes sur ses objectifs : simplifier ? inciter au travail pour « lutter contre l’assistanat » ? Diminuer les droits sociaux ? Comment porter une réforme aussi ambiguë dans la période actuelle ?

La famille politique d’origine du Premier ministre va, au demeurant, plus loin : à l’État le régalien, aux collectivités la vie des Français, avec la santé, la pauvreté, le développement économique, l’éducation. Xavier Bertrand propose même que les programmes scolaires ne soient plus intégralement nationaux. Le caractère clivant de tels projets, l’ampleur des changements à opérer relativisent bien évidemment la portée de ces déclarations. Il n’en sortira sans doute que des projets d’ambition plus limitée. Mais un Premier ministre ne doit-il pas rechercher sinon un consensus, du moins une majorité avant d’envisager de telles ambitions ? Déjà, le projet encore incertain (mais clairement évoqué par le premier ministre) d’attribuer aux départements une part des compétences des ARS soulève des protestations, qui arguent, avec un certain bon sens, que, si l’on veut arrêter l’émiettement des compétences entre les différentes collectivités et l’État, il ne faut pas commencer par démanteler une structure globale, qui réunit tous les aspects de la politique de santé.

Deuxième constat, la répartition des compétences est d’une complexité sans nom. Elle a fait l’objet, dans la période récente, de plusieurs rapports, notamment celui de la Cour des comptes de 2023, La décentralisation 40 ans après, un élan à retrouver, et celui d’Éric Woerth de 2024 Décentralisation, le temps de la confiance. Le rapport de la Cour expose la confusion :   parmi les 24 compétences identifiées, 19 sont exercées, de manière concurrente ou complémentaire, par les 4 niveaux possibles, bloc communal (communes et EPCI), départements, régions, État, les autres étant partagées entre 2 ou 3 niveaux. Habitat, logement, politiques sociales, emploi, formation, transports, voirie, tout est partagé. Or, dit la Cour, aucun échelon ne veut se laisser déposséder de sa part de pouvoir et chacun veut s’occuper, à sa manière, de son territoire (par malheur, c’est le même que celui d’autres collectivités) et de sa population, la même parfois que celle dont l’État a aussi la charge. La Cour renonce donc à proposer une répartition « rationnelle ». Elle explique en revanche qu’il faut continuer à cheminer sur la réduction des communes et le renforcement des intercommunalités, mieux préciser et conforter les attributions des collectivités « chefs de file » pour que cette coordination devienne réelle, mieux utiliser enfin le droit à différenciation pour permettre, dans certains cas, de confier aux métropoles, sur leur territoire, les compétences du département, comme dans le Rhône, voire de confier aux départements ruraux le rôle des EPCI. Bref, rationnaliser par le bas.

De même, tout intéressant qu’il soit, le rapport Woerth privilégie les simplifications : un seul scrutin pour départements et régions et insistance sur le rôle des collectivités chefs de file. La clarification des compétences pour les départements est modeste (plus de compétences économiques et un contrat avec l’État sur le domaine social) comme pour les régions (compétence sur la transition écologique et le développement économique). Il ne touche pas à la compétence générale des communes tout en leur confiant le sport et le logement. L’ambition est modérée : pourtant, les métropoles ont à l’époque vivement témoigné de leur mécontentement et il n’est franchement pas certain que les autres collectivités accepteraient de ne plus exercer librement certaines compétences, notamment dans le domaine économique.

Enfin, troisième remarque, la clarification des compétences est-elle la première urgence ? d’autres questions ne devraient-elles pas été traitées auparavant?

En France, la question des petites communes et de l’articulation entre les maires et les intercommunalités reste sensible et c’est sans doute, structurellement, y compris sur le plan démocratique (les intercommunalités sont des EPCI et non des collectivités) la plus grave, jamais clairement solutionnée.

Vient ensuite celle de l’intervention de l’État dans la fiscalité locale : les réformes du premier quinquennat Macron ont affaibli l’autonomie et les ressources des collectivités. Aujourd’hui, les élus rappellent qu’il est sans doute déraisonnable d’évoquer une nouvelle répartition des compétences sans traiter au préalable la question financière et les modalités de relation avec l’État : or, le budget 2026 prévoit que les collectivités contribuent au rééquilibrage budgétaire à hauteur de près de 5 Mds, somme que le Premier ministre aurait ramenée à 2 Mds. Le rapport Woerth traitait au demeurant longuement ce thème, tandis qu’aujourd’hui, la ministre de l’Aménagement du territoire reconnaît mollement qu’il faudra bien, un jour ou l’autre, en parler.

Enfin, si l’on veut que le débat n’intéresse pas que les élus territoriaux, ne faudrait-il pas s’atteler, avant de procéder à d’autres transferts de compétences, à un bilan quant à la gestion des compétences actuelles ? Quid, pour les départements, de la qualité de l’aide sociale à l’enfance, de la gestion du RSA, de la réussite de la lutte contre la pauvreté, de la qualité des établissements pour personnes âgées ? Quid pour les régions, des actions de développement économique ou de formation ? Quelles causes expliquent la médiocrité des résultats obtenus, raisons financières, désintérêt politique, insuffisance des leviers à disposition ?

Au-delà, dans une récente chronique, le géographe Daniel Behar soutenait que la volonté de spécialisation des collectivités se trompait de cible, tant les enjeux sont mêlés : tout projet d’aménagement a, dit-il, une dimension urbanistique, économique, d’habitat et renvoie à des questions écologiques. Tous les projets importants ont des facettes multiples…Et surtout, ce ne sont pas les compétences de la collectivité qui comptent mais le service rendu aux habitants et le projet qu’elle a pour eux.