La Cour des comptes a consacré, en 2020, un rapport à la filière nucléaire des EPR (Evolutionary Power Reactor), rapport qui, à l’époque, s’était intéressé aux retards et surcoûts des EPR en cours de construction, notamment celui de Flamanville.
Depuis lors, le contexte a évolué : en 2022, le Président de la République a annoncé un projet de construction de 3 paires de réacteurs dits EPR 2, complétés éventuellement ensuite par 4 autres paires. Plusieurs textes ont été adoptés depuis (notamment la loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires) et la gouvernance du nucléaire a été réformée (par la création en 2023 d’une « délégation interministérielle au nouveau nucléaire » et par la fusion en cours entre l’Autorité de sûreté nucléaire et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire).
La Cour a donc souhaité vérifier si les conditions de mise en œuvre du nouveau programme étaient réunies, sachant que les enjeux en ce domaine sont lourds, financièrement comme en termes industriels, environnementaux et énergétiques. Si la France s’engage dans ce programme, c’est pour longtemps et cela aura un prix.
La Cour constate d’abord ce qui a été fait pour préparer et mettre en œuvre le nouveau programme, même si, parfois, elle a quelques remarques sur la qualité des réalisations. Elle constate ainsi que les retours d’expérience sur la construction des EPR construits ou en cours de construction, procédure qu’elle avait préconisée en 2020, ont bien eu lieu. Ces retours ont conduit à des préconisations utiles pour la construction des EPR2, même si la Cour regrette que leur prise en compte soit insuffisamment systématique. De même, un travail s’est engagé sur l’évaluation des coûts des EPR 2 et des contraintes à respecter. Enfin, des programmes ont été engagés pour anticiper les recrutements massifs qui seront nécessaires (estimés à 100 000 emplois d’ici 2033).
La Cour met en revanche l’accent sur certains manques. S’agissant du réacteur de Flamanville, elle n’a jamais obtenu les calculs de rentabilité prévisionnelle, parce qu’EDF refuse d’établir ce calcul par unité de production : l’entreprise entend calculer seulement la rentabilité du système nucléaire d’ensemble, qui fonctionne de manière intégrée, en se répartissant la charge en fonction des moments. La rentabilité prévisionnelle que la Cour a calculée par elle-même pour Flamanville serait médiocre.
Pour les EPR2, qui sont passés, en 2024, avec un certain retard, de la phase de conception initiale à la phase de conception détaillée, les coûts initialement avancés en 2022 (51,7 Mds en dehors des coûts de financement) doivent être réestimés (une première réestimation évoque 67,4 Mds fin 2023). La rentabilité prévisionnelle n’est pas connue et ne pourra l’être tant que les conditions de financement ne seront pas arrêtées : elles ne le sont pas à ce jour. La Cour s’en inquiète et recommande de les définir rapidement, d’autant qu’une aide européenne est envisagée, ce qui allongera les délais de négociation, et qu’EDF n’est pas encore dégagé de projets internationaux aux conséquences financières encore incertaines.
La Cour insiste donc sur deux recommandations : ne pas prendre la décision finale d’investissement sur les EPR 2 avant d’avoir progressé dans les études de conception détaillée, avant d’en connaître les coûts et avant d’avoir défini les modes de financement ; ne pas prendre de nouveaux engagements internationaux si cela risque de retarder le programme EPR 2 ou de coûter de l’argent.
Enfin, la seconde partie du rapport met en valeur certaines carences ou risques. En premier lieu, elle souligne l’incertitude de la planification d’ensemble du système nucléaire. La mise en service des premiers EPR est prévue au plus tôt pour 2036-2037 et aujourd’hui la date de 2038 est plus vraisemblable. Or, la question se pose de la prolongation en 2040 de la durée de vie des vieux réacteurs et, en tout état de cause, dans la décennie 40, de la diminution de capacité de production aux 60 ans des vieilles centrales. Le relais des EPR 2 (même avec les 4 paires supplémentaires prévues après les 3 premières) ne suffira pas.
La Cour a d’autres inquiétudes, inspirées manifestement de l’histoire de Flamanville : elle insiste sur la nécessité de référentiels techniques stables et opérationnellement précis pour que les entreprises les respectent : il faut éviter les retards liés à une mauvaise exécution par les entreprises ; sur l’organisation interne d’EDF et la clarification des responsabilités entre directions, l’ensemble devant notamment permettre une claire séparation entre la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage pour éviter les confusions constatées dans le passé ; sur la bonne circulation de l’information entre EDF et la Direction interministérielle du nouveau nucléaire qui supervise et coordonne le projet. Beaucoup d’incertitudes, dit la Cour, restent à lever, en ce qui concerne le choix, la préparation et l’expertise des entreprises qui participeront à l’exécution du projet et, surtout, en ce qui concerne les recrutements. La filière a perdu de ses compétences et c’est préoccupant. En conclusion générale, c’est cependant sur l’avancement de la conception des EPR2 et sur l’absence de plan de financement que la Cour revient avec le plus d’insistance.