Nul ne sait trop si le projet de budget adopté par la Commission mixte paritaire (CMP), qui sera présenté à l’Assemblée nationale ce lundi 3 février, subira la censure (c’est possible mais peu probable) ou sera finalement adopté par défaut (une telle conclusion soulagerait tout le monde car la France sortirait de l’incertitude). Ce qui est sûr, c’est que, pour reprendre les termes de la sénatrice LR Christine Lavarde, il s’agit « du pire budget à l’exception de tous les autres ». Ce n’est pas tant le fond de tel ou tel choix qui est en cause. C’est l’inanité d’ensemble d’une loi financière censée répondre à une grave crise financière et aux besoins du pays et qui se révèle être un ensemble de mesures provisoires ou de petites économies sans signification, gratouillées partout où les décideurs ont pu les imposer sans trop de bruit. L’ensemble représente un effort de 50 Mds qui permet de diminuer le déficit public 2024, mais à peine : grande victoire, celui-ci passera de 6 à 5,4 %, par la magie d’un bric-à-brac de mesures temporaires dont personne n’est content et qui laisse entier le problème du pilotage des finances publiques.
Côté recettes (+ 32 Mds), la CMP a maintenu la contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises (gain : 8 Mds) et sur les ménages très aisés (2 Mds) mais pour un an seulement, ce qui renvoie tous les problèmes à 2026. La question d’une refonte des prélèvements, qui permettrait d’engager rapidement un redressement pérenne des finances publiques, reste donc à résoudre. S’ajoute à ces recettes provisoires une flopée de petites taxes ou augmentations diverses dont le seul mérite est de rapporter un peu d’argent, sans logique de fond : la taxe sur les transactions financières passe de 0,3 à 0,4 %, le malus est renforcé sur les voitures thermiques, la fiscalité sur les opérations de rachat d’actions augmente un peu, celle sur les chaudières à gaz aussi, la taxe sur les billets d’avion de même, un nouveau cadre est défini pour la tarification de l’énergie nucléaire, ce qui devrait permettre à EDF d’être mieux rémunéré. On chercherait en vain la moindre orientation structurelle qui permette d’enclencher des réformes équitables et durables.
Côté dépenses, le rabot s’exprime à plein, avec des coupes plus ou moins uniformes un peu partout : le total aboutit à 32 Mds d’économies et recouvre des dizaines de mesures de baisse ou d’augmentation moins forte que l’inflation, que l’on baptise « économies », même sur des dépenses indispensables dont l’utilité n’est pas niée.
Certains budgets diminuent mais pas les missions. L’exemple le plus ridicule est, après des débats interminables, le gel au niveau de 2024 des crédits de l’aide médicale d’État destinée à financer les soins délivrés aux immigrés en situation irrégulière : pour autant, le dispositif n’est pas modifié, ce qui logiquement conduira à un dépassement de budget qu’il faudra combler…mais plus tard, plus tard. L’essentiel est d’afficher une mesure anti-migratoire, même complètement vide de sens. De même, les socialistes ont obtenu que les 4000 postes d’enseignants supprimés dans le budget Barnier soient rétablis, mais la baisse des crédits de rémunération, qui était prévue en parallèle, est, quant à elle, maintenue : cela paraît absurde mais au fond c’est logique puisque ces postes auront de toute façon du mal à être pourvus. Les socialistes se battent pour un symbole : ouf, l’AME est maintenue, ouf, les 4000 postes le sont aussi, mais ils resteront vacants et l’Éducation nationale continuera à sombrer doucement.
Le projet tape pas mal sur les fonctionnaires : certes, on renonce à les humilier en expliquant qu’ils abusent des congés maladie et en allongeant à 3 jours le délai de carence en cas d’arrêt maladie (non-paiement de la rémunération) en cas de maladie. Mais le taux de rémunération des congés maladie courts passe de 100 à 90 %, la GIPA (une prime destinée à maintenir le pouvoir d’achat quand l’évolution de la rémunération du fonctionnaire ne permet pas de l’atteindre) est supprimée et, surtout, le point d’indice est gelé en 2025 alors même qu’aucune revalorisation des traitements n’a eu lieu en 2024. Le gel des rémunérations représente une mesure de court terme que l’État employeur ne pourra maintenir des années sans ruiner ses efforts de recrutement. En fait le mauvais signal est déjà envoyé et la catastrophe est déjà là…mais on verra plus tard, sans doute trop tard.
Le projet tape un peu aussi sur les collectivités (baisse de 2,2 Mds de leurs crédits au lieu de 5 prévus sous Barnier) mais, là aussi, c’est un « one shot ».
Nombre de budgets ministériels baissent, y compris ceux qui préparent l’avenir et dont tout le monde s’accorde à dire, quitte à rationaliser certaines mesures, qu’il faudrait les augmenter : recherche, éducation nationale, écologie, aide publique au développement. Il est vrai que le budget de l’Outre-mer augmente, que les crédits de l’Agence bio sont maintenus et que les budgets du logement, de la politique de la ville et de l’écologie, défendus par les socialistes, baissent moins que prévu. Quant aux coupes effectuées sur les crédits du sport (le secteur a protesté à temps), elles sont allégées et retrouvent le niveau prévu dans le budget Barnier (ce qui correspond toutefois à une baisse de 25 %).
Que dire ? Il s’agit d’un budget sans envergure, sans ambition, sans choix structurant, qui résulte de discussions de marchands de tapis dénuées d’intérêt. Même si elle rencontre l’assentiment des partis et sans doute des citoyens, soulagés au fond que la France ait un budget, une telle démarche est dangereuse. Le déficit n’est en effet réduit que par des mesures temporaires et il reprendra sa pente dès qu’elles cesseront de faire effet. Aucun travail de réflexion n’est engagé ni sur la fiscalité et la répartition des prélèvements, ni sur les dépenses, pour décider de celles qui doivent être préservées et de celles qu’il faut réduire. Pire encore, selon l’avis du Haut Conseil des finances publiques du 29 janvier 2025, le budget est construit sur une prévision de croissance jugée « optimiste » compte tenu de « l’atonie de la demande ». Certaines évolutions prévues sont sujettes à caution, comme le ralentissement des dépenses des collectivités et la maîtrise des dépenses d’assurance maladie. De plus, dit le Haut Conseil, il n’existe aucune marge en cas de dépenses imprévues. Enfin, malgré tous les efforts faits, la dette, dont la charge passera de 58,8 Mds à 67,2 Mds de 2024 à 2025, atteindra en 2025 son point le plus haut, à 115,4 points de PIB. Bref, la France se dote d’un budget 2025 dépourvu d’ambition stratégique, bâti sur des hypothèses optimistes, difficile à exécuter et qui se traduira par un niveau d’endettement record dont le Haut conseil craint même qu’il ne soit dépassé.