La Cour des comptes a publié en janvier 2025 un rapport sur La situation des finances publiques en 2025. Elle y souligne un paradoxe : une dégradation exceptionnelle des indicateurs des finances publiques (un déficit de 4,7 points de PIB en 2022, de 5,5 en 2023, de 6 en 2024 ; une dette de 2954 Mds en 2022, 3101 en 2023, 3300 en 2024 ; une charge annuelle de la dette pour le budget de l’État de 50,9 Mds en 2022, de 52,8 en 2023, de 58,8 en 2024) survenue dans une période de croissance, en tout cas hors période de crise économique. La France est le seul pays en Europe à connaître une telle dégradation.
Les causes sont différentes selon les années.
La dégradation de 2023 s’explique en grande partie par la faible croissance des impôts (on parle de faible élasticité par rapport à la croissance). Le constat n’avait pas été anticipé à la hauteur de ce qui s’est produit, puisque le PLF 2024 anticipait encore, en fin d’année 2023, un déficit 2023 à 4,4 points de PIB, alors que la réalité s’est établie à 5,5 points.
La dégradation du déficit 2024, passant des 4,4 points de PIB prévus dans le PLF 2024 aux 6 points constatés en fin d’année, s’explique surtout (en réalité, presque exclusivement) par un effet base 2023 (le report sur la base de 2024 de la dégradation surprise des rentrées d’impôts), par une croissance moindre qu’anticipé dans le PLF (dès les premiers mois de 2024, la prévision de croissance officielle a dû être rectifiée) et par le renouvellement en 2024, même atténué, du phénomène constaté en 2023 de moindre élasticité des impôts par rapport à la croissance. L’ensemble de ces constats a représenté un coût de 1,5 point de PIB, ce qui d’office portait à 5,9 le déficit 2024 prévu originellement à 4,4 points. D’autres facteurs en plus ou en moins (en plus : les dépenses publiques, en moins, l’évolution de la fiscalité) ont finalement conduit à un déficit de 6 points de PIB en fin d’année.
Pour autant, la Cour met moins l’accent sur les causes principales de l’augmentation du déficit public en 2024 (la faible élasticité des prélèvements par rapport à la croissance en 2023 et 2024) que sur les causes adjacentes ou secondaires (l’évolution des dépenses publiques), sans doute parce que celles-ci relèvent davantage d’une décision des pouvoirs publics et, surtout parce qu’elles lui semblent faire peser un risque sur l’avenir.
En 2024 en effet, la dépense publique a augmenté de 1,7 %. Toutefois, si l’on enlève l’effet de la baisse des dépenses exceptionnelles de soutien dues à la crise sanitaire, l’augmentation de la dépense publique courante est de 2,7 %, soit un taux nettement supérieur à la moyenne des années d’avant crise sanitaire 2010-2019. Les dérives identifiées recouvrent l’augmentation des dépenses des collectivités territoriales, le dépassement de l’ONDAM et l’augmentation des dépenses de l’UNEDIC.
L’on comprend bien le raisonnement de la Cour : les causes principales de la dérive des comptes publics, la baisse d’élasticité des recettes ou l’effet d’une croissance moins forte que prévu correspondent à des erreurs de prévision et de suivi qui auraient certes pu être mieux maitrisées. Mais ce sont des phénomènes en large partie subis. Si, parallèlement, les pouvoirs publics n’agissent pas sur les facteurs sur lesquels leur pouvoir de décision est réel, voire ne repèrent pas la réelle dérive des dépenses courantes, la dégradation des finances publiques risque de perdurer.
De fait, la Cour souligne que l’inquiétude majeure désormais porte sur l’exécution des prévisions 2025, qui, selon l’avis du Haut conseil des finances publiques du 29 janvier 2025, sont fragiles : le Conseil s’interroge en effet sur la capacité des décideurs à freiner aussi fortement que prévu les dépenses publiques.
En effet, les lois de finances et de financement pour 2025, outre qu’elles reposent sur des hypothèses macroéconomiques plutôt optimistes, prévoient une nette décélération des dépenses publiques : hors crédits d’impôts et mesures exceptionnelles, celles-ci devraient passer d’un tendanciel de + 2,5 % en volume en 2024 à une croissance limitée à 0,8 %.
Le respect des objectifs fixés pour ce qui est de l’État (+ 1 % de dépenses en volume en 2025) suppose, compte tenu de la forte augmentation de la charge de la dette, une baisse de 1,6 % des autres dépenses, effort inédit après des années de hausse tendancielle : il est loisible de s’inquiéter de l’exécution, d’autant plus que la baisse inscrite au budget est générale (elle porte sur toutes les dépenses), non réfléchie et pour une part, franchement discutable.
S’agissant des dépenses des collectivités locales, les hypothèses retenues tablent sur une progression des dépenses de fonctionnement de 0,6 % en volume et de 5,4 % pour l’investissement, appelé, dans une année préélectorale, à rester élevé. L’avis du Haut Conseil des finances publiques juge qu’il n’est pas garanti que ce net ralentissement des dépenses demandé aux collectivités, même limité par le gouvernement Bayrou par rapport au précédent, soit atteint.
Dans la sphère des administrations de sécurité sociale, les dépenses ne devraient augmenter que de 1,5 % en volume, sachant que les dépenses de l’UNEDIC repartent à la hausse et que la progression de l’ONDAM votée pour 2025 implique un plan d’économies de plus de 4 Mds qui n’est pas documenté aujourd’hui.
En tout état de cause, la perspective de retour à un déficit public de 3 % s’éloigne et toutes les trajectoires prévisionnelles établies par la France depuis 2018 se sont révélées caduques. Celles établies à l’automne 2022 n’étaient déjà plus crédibles quelques mois plus tard. Tel qu’il est établi aujourd’hui, le plan structurel et budgétaire à moyen terme de la France (PSMT) transmis à la Commission européenne implique un « ajustement » des finances publiques de 110 Mds à l’horizon 2029. Si la France ne parvient qu’à réaliser la moitié de cet effort, elle va vers une dette égale à 125 points de PIB à la fin de la décennie et la charge annuelle de la dette risquerait de dépasser 100 Mds annuellement. L’ampleur de l’ajustement nécessaire impose donc un respect des prévisions 2025.
La Cour termine son rapport de janvier 2025 en indiquant que le rappel de cet objectif n’épuise pas la question du choix de la répartition des efforts ou celle de la préservation de la croissance : il faudrait donc que les pouvoirs publics soient à la fois stricts, capables de choix étayés, habiles et intelligents. Cela va être difficile. Surtout, l’équilibre de 2025 est artificiel puisqu’il repose essentiellement sur des hausses temporaires, ce qui reporte à 2026 la définition de mesures structurelles. Alerte rouge donc, pour la crédibilité du pays et pour éviter que l’alourdissement du poids de la dette dans le budget annuel n’obère peu à peu l’avenir.