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Conseil constitutionnel : une indispensable réforme

Le Président de la République a proposé, pour occuper le poste de Président du Conseil constitutionnel prochainement vacant, Richard Ferrand, son ami et fidèle compagnon d’En marche, le parti qu’il a créé en 2016, alors qu’il était ministre de F. Hollande, pour faciliter son accession au pouvoir. Cette semaine, les Commissions des lois des deux Assemblées, Sénat et Assemblée nationale, doivent se prononcer sur cette nomination, qui ne sera validée que si « l’addition des votes négatifs dans chaque commission ne représente pas au moins 3/5e des suffrages exprimés au sein des deux Commissions » (article 13 de la Constitution). Les deux commissions comportant 122 membres, il faudrait, si tout le monde vote, 74 voix contre pour que la nomination soit rejetée.  Il n’est pas impossible que les votes négatifs l’emportent mais il faudrait que les partis alliés au gouvernement (la droite en particulier) joignent leurs voix à celles de la gauche, voire du Rassemblement national.

Les opposants à cette nomination font trois reproches à R. Ferrand : l’affaire des Mutuelles de Bretagne, où il a été mis en examen pour prise illégale d’intérêt avant que la Cour de cassation ne reconnaisse que l’action était prescrite ; son incompétence juridique : il n’a obtenu qu’un « Deug » de droit, soit 2 ans d’études supérieures seulement et n’a donc même pas de licence en droit; surtout, critique majeure, sa grande proximité avec le Président, qui l’expose à des soupçons de partialité.

A vrai dire, le problème posé par la composition et le fonctionnement du Conseil constitutionnel va au-delà du cas de Richard Ferrand, même si sa candidature est une bonne illustration de dérives souvent dénoncées, mentionnées dans la fiche-concours de Pergama sur le Conseil constitutionnel qui date de décembre 2024 (cf. fiches étudiants, catégorie Institutions et vie politique).

La Constitution de 1958 prévoit un Conseil constitutionnel de 9 membres nommés pour 9 ans, non renouvelables, dont 3 sont nommés par le Président de la République, 3 par le Président du Sénat et 3 par le Président de l’Assemblée nationale, avec un renouvellement par tiers tous les trois ans. Le Président de la République nomme le Président du Conseil constitutionnel, dont la voix est prépondérante en cas de partage. Les anciens Présidents de la République sont membres de droit.

C’est la composition toute entière du Conseil qui est sa principale faiblesse.

Si la présence des anciens présidents de la République est tombée en désuétude, rien n’empêche formellement tel ou tel ancien président de revenir, ce qui est particulièrement choquant dès lors que le Conseil peut se prononcer, grâce aux QPC (questions prioritaires de constitutionnalité) sur des textes de lois qu’ils ont portés.

S’agissant des autres membres, leur formation est parfois en cause et on se demande quand certains d’entre eux ont eu le temps de se pencher sur un droit constitutionnel compliqué, subtil et surtout discuté. L’ancienne ministre Mme Gourault-Montagne a une licence d’histoire géographie, matière qu’elle a enseignée pendant sa vie active. D’autres ont fait du droit, mais souvent du droit privé (François Pillet est avocat de droit privé, comme J. Mézard, ancien ministre) ou du droit pénal ou civil (V. Malbec est magistrate). D’autres sont anciens élèves de l’ENA : ils connaissent sans doute le droit constitutionnel, au moins les grands principes, mais n’en sont pas nécessairement spécialistes.

Surtout, les nominations se font sur critères politiques : en 2024 siégeaient au Conseil constitutionnel 2 anciens premiers ministres, 2 anciens ministres, 2 anciens membres de cabinets ministériels, 1 ancien parlementaire et 2 anciens hauts fonctionnaires. Tous ont participé à des décisions politiques, tous ont des attaches politiques, tous appartiennent à des réseaux politique et tous sont susceptibles d’en être influencés lors de leur prises de décision au Conseil.

De ce fait, un article de la revue Questions constitutionnelles du 4 janvier 2024, L’impartialité du Conseil constitutionnel en question, rédigé par trois juristes (L. Fontaine, T. Perroud, D. Rousseau) met en cause la capacité du Conseil à juger en équité. La pratique du déport existe (un membre du Conseil qui a connu de l’affaire en jugement quand il exerçait d’autres fonctions doit s’abstenir de participer aux débats) mais ne semble pas systématiquement appliquée.  L’article cite le cas de la décision 2010-25 QPC relative au fichier national des empreintes génétiques, où 5 membres du Conseil sur 9 avaient eu à connaître précédemment du texte attaqué, soit pour avoir participé à sa rédaction, soit pour avoir participé au vote d’adoption, sans pour autant se déporter. Il cite également la décision 2012-240 QPC où la décision d’abroger la plus grande partie d’une loi sur le harcèlement sexuel qui fondait la mise en cause d’un homme politique a été prise avec la participation de deux membres du Conseil qui connaissaient le demandeur. De même, s’agissant d’une décision 2022-986 QPC par laquelle le Conseil a jugé conforme à la Constitution une disposition privant les associations constituées depuis moins d’un an de la possibilité d’exercer un recours contre les permis de construire, deux anciens ministres qui avaient participé à l’élaboration de la loi mise en cause ont participé à la décision sur sa conformité à la Constitution.

Très récemment, la décision du 14 avril 2023 validant, à quelques détails près, le projet de loi retraite, présenté faussement comme étant une loi de financement de la sécurité sociale pour pouvoir bénéficier de certaines procédures d’adoption, a choqué, au point que les partis de gauche ont rédigé ensuite une proposition de loi sénatoriale modifiant la composition du Conseil.

En outre, selon un article du Club des juristes L’indispensable mue du Conseil constitutionnel (A. Robot-Troisier, 2023), les pratiques du Conseil ne sont pas celles que devrait adopter une juridiction : si le « contradictoire » s’est renforcé depuis l’origine, notamment s’agissant des QPC, il reste imparfaitement assuré pour le contrôle a priori, puisque le gouvernement est très présent auprès du Conseil alors que les parlementaires auteurs de la saisine ne sont pas entendus.

Nombre d’articles critiques citent les dispositions différentes auxquelles obéissent les Cours constitutionnelles à l’étranger : certes, certains systèmes sont pires que le nôtre, comme le système américain où les juges sont nommées par le pouvoir politique, pour des raisons politiques et, de plus, à vie. Mais nombre de pays émettent des exigences sur la formation des membres des Cours suprêmes, les désignent pour une durée donnée et confient leur choix à des instances plus larges : aux Assemblées (Allemagne) ou à une décision mixte, pour partie le Roi avec validation du Congrès, pour partie le gouvernement, pour partie un Conseil général du pouvoir judiciaire (Espagne).

La proposition de loi déposée en janvier 2024 après la décision sur la loi retraites prévoyait 10 membres, 2 nommés par le Président de la République, 1 élu par la Sénat et 1 élu par l’assemblée nationale à la majorité des 3/5e, 3 élu par la Cour de Cassation et 3 par le Conseil d’État.

Un des articles mentionnés ci-dessus est d’avis, si la composition du Conseil et ses pratiques n’évoluaient pas, de confier aux juges ordinaires le contrôle des lois en vigueur (ils le font déjà s’agissant des lois contraires aux traités), avec l’inconvénient (il est fort) de supprimer le contrôle de constitutionnalité a priori.

Aucune réforme ne verra cependant  le jour à brève échéance : paradoxalement, si la candidature de Richard Ferrand au Conseil constitutionnel n’est pas acceptée par les Commissions parlementaires, ce sera d’abord pour des raisons politiques (il est trop proche d’E. Macron qu’une grande part des parlementaires abhorre), bien plus que par souci général d’impartialité.

Enfin, il ne faudrait pas oublier que les critiques sur le Conseil constitutionnel ne portent pas que sur sa composition. Ses méthodes et ses choix sont aussi critiqués : grande faiblesse des motivations, souvent tautologiques, stéréotypées ou dépourvues de tout raisonnement, refus de contrôler la sincérité des lois financières ou la qualité des études d’impact (c’est trop compliqué), refus de reconnaître que le gouvernement utilise des détournements de procédures (c’est bien ce refus qui est en cause dans la validation de la loi retraites comme dans d’autres décisions), refus enfin de contraindre le gouvernement à appliquer réellement les droits économiques et sociaux prévus par la Constitution, au motif que le Conseil n’a pas d’ordre à donner au gouvernement sur sa politique.

On le voit, il y a beaucoup à dire sur le Conseil constitutionnel, que G. Ferrand y soit nommé (ce serait dommage) ou pas (ce serait mieux).