Plan d’adaptation au changement climatique, apports et limites

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Plan d’adaptation au changement climatique, apports et limites

Le gouvernement a présenté le 10 mars 2025 la version définitive du nouveau plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC 3), annoncé au printemps 2024 avec, déjà, un an de retard, différé lors de la dissolution de juin dernier, dont une version provisoire présentée à l’automne 2024 a été soumise à consultation publique et, pour avis, au Conseil national de la transition énergétique (CNTE).

Les écologistes ont mal accueilli le plan : liste à la Prévert qui ne fixe aucun cap, absence de priorités sociales, le plan aurait dû selon eux être adopté par la loi, proposer une politique plus ambitieuse dans le domaine agricole, les transports et la rénovation des logements et, surtout, être mieux financé, à hauteur de 5 Mds par an.

Tout en avançant eux aussi de nombreuses critiques, les organismes d’expertise sont plus nuancés : il est vrai que chacun a en mémoire les plans précédents, le PNACC 1 de 2011 et le PNACC 2 de 2018, documents dépourvus de tout intérêt. Selon l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales), le PNACC 2, rempli de généralités inutilisables sans mention des moyens à mettre en œuvre, était l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire.  En septembre 2024, l’IDDRI reconnaissait au contraire que le projet de PNACC 3 reposait sur « une vision de l’adaptation plus structurante que ses prédécesseurs ». L’I4CE (Institut de l’économie pour le climat) notait quant à lui avec satisfaction que le PNACC s’appuyait sur la trajectoire pour l’adaptation au changement climatique (TRACC), ce qui en faisait une référence commune, avec la perspective de lui donner une valeur normative. Le scénario choisi pour la TRACC part d’une France à 2° supplémentaires en 2030 par rapport à l’ère préindustrielle, parvient à + 2,7° en 2050 et à + 4° en 2100, avec une trajectoire différenciée selon les régions. Enfin, l’avis du CNTE sur le PNACC 3 est plutôt bienveillant, soulignant l’ambition du plan et sa volonté de déclinaison territoriale, même s’il mentionne aussi des carences et alerte  sur des risques qu’il juge insuffisamment pris en compte.

L’avis du Haut conseil pour le climat est, en revanche, plus acide : s’il considère que le document est important, il ne le voit, compte tenu de ses manques, que comme une première étape, qui ne suffit pas à préparer la France à affronter les conséquences du changement climatique.

De fait, la lecture du PNACC 3 produit une impression ambivalente.

Le plan est sérieux et structuré. Il distingue 5 axes : protéger la population, assurer la résilience des territoires, adapter les activités économiques, protéger les milieux naturels et le patrimoine culturel, mobiliser la population. Ces grandes orientations se décline ensuite en 52 actions souvent intéressantes : ainsi, la mesure 25 prévoit la création d’une mission « Adaptation » coordonnant les différentes administrations de l’État pour aider les collectivités territoriales en termes d’ingénierie ; autre exemple, la mesure 38 porte sur la résilience des forêts et prévoit des actions sur la diversification des essences ou la protection des sols forestiers.

Pour autant, de manière quasi-unanime, les experts formulent les critiques suivantes :

1° La question des moyens n’est pas, dans le PNACC 3, correctement traitée ;

2° Le document n’a pas de force juridique, la gouvernance est faible, le portage politique paraît quasi inexistant ;

3° Les actions prévues sont trop souvent timorées et insuffisamment stratégiques ;

4° Les politiques d’adaptation ne seront crédibles que si parallèlement, une politique nette et forte se fait jour pour infléchir la dégradation du climat : aujourd’hui ce n’est pas le cas ;

6° Enfin, les hypothèses de dégradation du climat sur lesquelles le plan repose seront très probablement obsolètes dans un avenir à déterminer.

1° La question des moyens n’est pas correctement traitée

Le PNACC 3 est annoncé comme financé aux environs de 600 millions, dont 300 Millions par le fonds Barnier (créé en 1995 pour financer les mesures de protection contre les risques naturels) et 260 millions par le « fonds vert », qui finance l’aide de l’État aux investissements écologiques des collectivités. En plus de ces montants, les agences de l’eau devront flécher 1 Mds sur l’enjeu de l’adaptation.

Ce financement, par son caractère ponctuel comme par son rattachement à un fonds vert en forte diminution en 2025 (son budget est passé de 2024 à 2025 de 2,5 à 1,5 Mds), montre clairement que le PNACC n’est, en réalité pas financé sur la durée : il ne le serait que par la définition d’un budget pluriannuel ne mordant pas uniquement sur des crédits existants. Nombre d’actions prévues ne sont d’ailleurs pas chiffrées, ce qui est de mauvais augure.

L’on est donc très loin des préconisations du récent rapport public de la Cour des comptes (chapitre L’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique, mars 2024) qui, tout en soulignant les priorités fondamentales de l’effort d’adaptation (réaliser des études sur la vulnérabilité, s’engager dans des politiques cohérentes et acceptées) insistait sur le caractère crucial de l’évaluation du montant du « mur d’investissements » nécessaire et sur sa répartition entre les secteurs publics et privés. De plus, comme le souligne le CNTE, les moyens humains et les compétences sont essentiels : comment fonctionnera l’indispensable mission « Adaptation » d’aide aux collectivités ? Comment financer les recherches et investigations qui restent à faire pour élaborer des feuilles de route précises, par secteurs économiques et par territoire ?  Comment suivre la réalisation d’un plan qui semble voué à la déshérence ? La désinvolture du gouvernement Bayrou est ici condamnable.

 2° Juridiquement, le PNACC n’a pas de valeur et il demeure sans gouvernance forte.

Dans l’affaire Grande Synthe du 14 janvier 2021, le rapporteur du Conseil d’État avait conclu à l’absence de portée juridique des PNACC, dont l’élaboration est certes prévue par la loi mais qui ne sont que des documents de planification et ne peuvent, de ce fait, imposer aucune obligation. Le PNACC 3 prévoit en revanche de donner une force juridique à la TRACC en imposant cette référence dans les documents de planification locaux : il ne dit rien sur son statut propre. Or, celui-ci affaiblit considérablement certaines des actions envisagées (l’institution de COP régionales, l’élaboration d’un plan d’adaptation par les entreprises) et l’on comprend pourquoi le plan adopte un profil bas, en « incitant » sans imposer, même sur des orientations essentielles à prendre sur le plan économique. La qualité de son suivi risque d’en pâtir, d’autant que, selon une pente très courante dans l’administration, beaucoup d’indicateurs prévus dans les fiches d’action ne sont pas des indicateurs de résultats mais de mise en œuvre administrative. Surtout, le PNACC 3 affirme le caractère interministériel des actions à mener mais il n’est porté que par la ministre en charge de l’écologie, qui paraît bien seule…le Premier ministre étant encore plus indifférent, si c’est possible, que son prédécesseur G. Attal, aux enjeux écologiques et au climat. Or, chacun en est d’accord, il reste un travail immense à fournir sur l’évaluation plus détaillée des risques, secteur par secteur et au niveau local, et des moyens pour les contrer : qui s’y lancera sur le fondement d’un plan indicatif de l’État non financé et sans portage politique ?

3° Les actions inscrites dans le Plan sont trop souvent timorées, insuffisamment stratégiques et visant trop le court terme

Certains sujets sont, selon les experts, négligés ou abordés de manière trop peu précise : il y est ainsi des aspects « sociaux » qui accroissent la vulnérabilité des personnes aux évolutions du climat, de la question du financement des investissements privés par recours aux banques, ou du risque que les assurances « désinvestissent » certains territoires.

Mais les avis d’expertise auraient surtout souhaité des affirmations plus fortes du PNACC dans certains domaines, ambition de concilier production agricole et protection des écosystèmes, « gestion « plus résiliente » des forêts, affirmation de la nécessité d’un recours plus intensif aux outils d’anticipation des risques  (tels MaprimeRénov), besoin d’études de vulnérabilité pour adapter les infrastructures de transport, vision intégrée du cycle de l’eau avec insistance sur le partage d’une ressource rare, insistance aussi sur la « restauration » de la nature et sur la renaturation (réparation des perturbations apportées à un milieu naturel).

En ces domaines, qui touchent les politiques publiques les plus « sensibles », c’est le Haut conseil pour le climat qui souligne avec le plus d’acuité les insuffisances du plan. Il considère que nombre des évolutions proposées dans le PNACC sont « incrémentales » (c’est-à-dire limitées et ne changeant pas la nature du problème constaté), et très rarement « transformationnelles ». Telles quelles, elles risquent de rencontrer des limites : si on ne se pose pas la question de l’évolution des sols agricoles dès aujourd’hui, la baisse des rendements demain sera insupportable. Le GIEC alerte ainsi sur le seuil de franchissement de 3° supplémentaires, où apparaissent les limites des adaptations trop peu ambitieuses. Pour prendre l’exemple agricole, selon le HCC, il ne faut pas seulement, dans un plan d’adaptation, changer la date des semis mais prévoir d’ores et déjà un système de culture différent.  L’IDDRI insiste sur le même écueil : les ¾ des mesures annoncées, dit-il, ont une échéance avant 2030 et rares sont celles qui fixent des objectifs à horizon 2030-2050. Autrement dit, le plan apporte des corrections mais ne contient pas une stratégie qui prend en compte le temps long.

La question est essentielle : certes, il ne faut pas confondre adaptation et mesures de lutte contre le dérèglement climatique. Mais le HCC a raison de considérer que les frontières entre les deux ne sont pas si étanches : les mesures d’adaptation de moyen terme doivent anticiper, au moins pour certaines, les changements plus fondamentaux. Sur l’eau, sur les forêts, sur l’agriculture, les enjeux de long terme doivent être pris en considération pour définir les mesures d’adaptation. Il en est de même sur des zones littorales : s’entêter à protéger une activité n’est pas nécessairement la bonne solution si, sur le long terme, la construction d’une digue n’a pas de sens.

4° Pas d’adaptation réussie sans mesures de lutte contre le dérèglement lui-même

 et

 5° La TRACC (trajectoire d’adaptation au changement climatique) est utile mais devra évoluer si la dégradation climatique est plus prononcée que prévu, ce qui est probable

Ces deux dernières remarques (4° et 5°) ne portent pas sur le plan lui-même mais sur son contexte.

L’opinion publique a besoin de cohérence : l’annonce d’une politique d’adaptation perd beaucoup de son sens dans un contexte de recul des mesures de lutte pour la décarbonation, la protection de la biodiversité, la restauration de la nature et la protection des forêts.

 Enfin, le PNACC 3 repose sur une projection d’augmentation de la température de 4° en 2100 qui, intégrant la mise en œuvre des engagements internationaux existants et en particulier des accords de Paris, prévoit un réchauffement mondial de 2,8° au niveau mondial en 2100, la France, compte tenu de ses caractéristiques géographiques, étant alors exposée à un réchauffement supérieur de 4°. Or, aujourd’hui, avec le recul généralisé des ambitions de lutte contre le dérèglement climatique, les prévisions scientifiques tablent plutôt sur 3,1 ou 3,2° au niveau mondial en 2100 et, en France, de 4,5°. Signe d’honnêteté ou de détresse adressé à l’opinion par les rédacteurs du PNACC 3, l’introduction mentionne cet avertissement. Le PNAC et les documents de planification qui en dériveront risquent donc de sous-estimer le risque et devront être suffisamment souples pour intégrer des modifications si les hypothèses de départ étaient démenties.

Au final, la publication du PNACC est une bonne nouvelle si, du moins, le document est complété, amélioré, prolongé localement. Le risque est fort qu’il soit, simplement, oublié.