La Cour des comptes fait paraître, en ce mois de mars 2025, un rapport d’évaluation de deux mesures d’alternative à l’incarcération, le TIG, travail d’intérêt général, où la personne effectue un travail non rémunéré dans une structure d’accueil, et la DDSE, détention à domicile sous surveillance électronique (bracelet) avec autorisation d’heures de sortie limitatives. Cette évaluation est d’autant plus intéressante que ces deux peines ne sont plus du tout marginales, comme cela a pu être le cas il y a 10 ou 15 ans. En avril 2024, la Cour décompte 22 000 TIG et 18 000 DDSE, ce qui correspond à environ la moitié de la population incarcérée (environ 80 000 personnes). La croissance est appelée à se poursuivre, au moins pour les DDSE : en 2022, celles-ci ont représenté plus d’un tiers des peines d’emprisonnement fermes prononcées, 40 000 contre 116 000.
Pour évaluer ces deux peines, la Cour s’est posé 3 questions : ces peines alternatives ont-elles un « caractère sanctionnant », utilisé comme tel par les magistrats ? Favorisent-elles une démarche d’insertion ? Préviennent-elles mieux la récidive que l’incarcération ?
La première question est, dans son libellé, un peu obscure : la Cour veut en réalité savoir si les magistrats choisissent effectivement, dans l’échelle des sanctions, de mettre en place directement ces sanctions alternatives parce qu’ils les jugent adaptées au cas d’espèce, ou si, au contraire, les peines alternatives sont surtout utilisées en tant qu’aménagement d’une peine de prison ferme, voire s’imposent aux juges pour lutter contre la surpopulation carcérale.
La Cour conclut que les magistrats n’utilisent pas la peine alternative en tant que peine « autonome » : si le pourcentage des condamnations aux peines alternatives prononcées dès le jugement (« ab initio ») a beaucoup augmenté, passant de 3 % à 30 % de 2019 à 2023, c’est simplement parce que d’autres types d’aménagements de peine ont été, dans l’intervalle, supprimés. Le flux des incarcérations fermes a peu fléchi dans la période, alors que cela aurait dû être le cas si les peines alternatives s’étaient substituées à l’emprisonnement ferme. Signe supplémentaire de la réticence au recours à de telles peines, la disposition de la loi de programmation et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 selon laquelle « les peines d’emprisonnement dont la partie ferme est égale ou inférieure à 6 mois doivent être aménagées en semi-liberté, placement à l’extérieur ou détention à domicile (…) sauf impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné » n’est pas appliquée totalement : le taux effectif des aménagements n’atteint, dans certaines juridictions que la moitié des peines aménageables.
S’agissant des TIG, leur nombre a baissé depuis 2014, au moment même où le nombre de places disponibles, longtemps insuffisant, se développait. La Cour incrimine en l’occurrence le développement important des « alternatives aux poursuites » directement prononcées par les Procureurs, en amont, pour désengorger les tribunaux, avec la préoccupation d’apporter une réponse pénale très rapide : la clientèle des TIG est en effet la même que celle qui bénéficie d’une alternative aux poursuites ( qui recouvre l’avertissement pénal probatoire, l’obligation de réparer un dommage, de s’inscrire à un stage, voire d’engager une médiation pénale), avec l’avantage d’un traitement quasi-immédiat.
Quant aux DDSE, elles progressent en nombre mais peu en tant que peine proprement dite, plutôt comme aménagement d’une peine de prison ferme, les magistrats voulant à la fois prononcer une peine d’emprisonnement ferme et ne pas aggraver la surpopulation carcérale. Surtout, les magistrats, pour décider de peines alternatives, doivent avoir une bonne connaissance de la personne jugée, en termes social comme de passé pénal. Les défaillances informatiques des logiciels de justice et la présentation d’enquêtes sociales caduques ou insuffisamment précises constituent aussi un frein.
La Cour incrimine aussi, pour expliquer les réticences des magistrats, les conditions d’application des peines alternatives : s’agissant des TIG, les délais de mise en place sont trop longs (plus de 16 mois) et les contrôles effectués lors de l’exécution sont trop limités. Quant au suivi des DDSE, il est procédurier, très centré sur les alarmes et peu sur l’accompagnement.
Ces constats annoncent la réponse à la deuxième question de la Cour, portant sur la contribution des mesures alternatives étudiées à l’objectif d’insertion ou de réinsertion des personnes : or, la Cour constate que, alors que les personnes condamnées aux peines alternatives connaissent des difficultés sociales importantes (logement, santé, travail), l’accompagnement des services pénitentiaires est très insuffisant.
Quant au risque de récidive (la Cour a mesuré le taux dans les 5 ans de la cohorte 2016-2017), il est important pour les TIG (60 %), proche de celui des personnes incarcérées, même si les taux de fréquence et de gravité sont meilleurs. En revanche, le taux est nettement meilleur pour les DDSE, sachant toutefois que le profil des condamnés concernés n’est pas le même.
La Cour conclut que les alternatives ne donnent pas de résultats bien meilleurs que l’incarcération. Pour autant, elle souligne que, au-delà de la pure sanction, la prison ferme remplit elle-même très mal les objectifs de réinsertion et de lutte contre la récidive qui lui sont fixés. De plus, le recours à l’incarcération est cher, construire de nouvelles places de prison l’est aussi et l’administration pénitentiaire peine à recruter. La Cour préconise donc d’améliorer la qualité des alternatives, pour les rendre plus crédibles aux yeux des magistrats et diminuer ainsi le recours aux peines de prison ferme, pour mieux assurer également réinsertion et prévention de la récidive. Les recommandations portent en particulier sur la présence des services d’insertion et de probation lors des audiences, sur le recrutement des personnels nécessaires, sur la réduction des délais de mise en place des TIG, sur l’organisation de contrôles de la bonne exécution de la peine, sur l’organisation de visites régulières d’accompagnement et d’appui par recours, le cas échéant, à des services spécialisés. La Cour souhaite enfin que les autorités développent les outils de suivi de la population pénale pour mieux connaître l’évolution des personnes concernées (récidive et devenir personnel).
L’on ne peut qu’adhérer à ces recommandations, sachant toutefois que l’on a le sentiment d’avoir déjà lu, à maintes reprises, des conclusions similaires.