Le 15 octobre 2023, le site The conversation publiait un article sur l’augmentation des cancers des moins de 50 ans et relatait les conclusions et les interrogations d’une étude sur le sujet, publiée dans le British Medical Journal : à partir de données mondiales, les chercheurs relevaient que les cas de cancer des 14-49 ans avaient augmenté de 79 % entre 1990 et 2019, avec une croissance de l’incidence des cancers du sein, de l’utérus, des voies digestives (estomac et intestin) et du pancréas pour cette tranche d’âge. Le pourcentage était sans doute quelque peu gonflé par l’augmentation démographique de la population considérée et, par ailleurs, le nombre des décès par cancer (+28 %) avait moins augmenté que l’incidence : mais l’importance de la donnée n’a pas été remise en cause. L’étude note que les pays développés ont été les plus touchés (Europe occidentale, Amérique du nord, Australie) mais que les pays à faibles revenus l’ont été également, avec des taux de mortalité plus élevés. Les chercheurs estimaient alors que le nombre de cancers précoces continuerait à augmenter de 30 % d’ici à 2030.
L’étude ne met pas en cause une donnée établie depuis longtemps : le cancer, bien moins fréquent dans les tranches d’âge qu’elle étudie, reste une maladie de la vieillesse. La tendance observée est toutefois préoccupante et surtout interroge. Selon les chercheurs, avant 2023, d’autres études avaient déjà révélé cette tendance sans avoir, à l’époque, attiré l’attention du public ni surtout celle des décideurs dans le domaine de la santé.
En décembre 2024, une seconde étude, publiée dans la revue scientifique britannique The Lancet, a confirmé la première. A partir de données américaines, elle a étudié l’évolution de 34 cancers entre 2000 et 2022 et constaté que 17 d’entre eux ont connu une incidence croissante dans les tranches d’âge de 15 à 39 ans.
Enfin, Santé publique France a publié en mars 2025 une troisième étude sur la France, portant sur la tranche d’âge des 15-39 ans : elle confirme une incidence plus élevée qu’auparavant de certains cancers entre 2000 et 2020. Les cancers colorectaux, du sein et le lymphome de Hodgkin sont en hausse (respectivement + 1,4 %, + 1,6 % et + 1,86 %), l’augmentation étant nettement plus élevée pour les cancers du rein (+ 4,51 %), du cerveau (+ 6,11 %) et des cellules adipeuses ou liposarcomes (+ 3,68 %). Les autres cancers sont stables voire diminuent (mélanomes).
Quelles sont les causes de la croissance de l’incidence des cancers chez les plus jeunes ? Les études n’ont pas pour objet de traiter ce point et n’émettent que des hypothèses, souvent avec prudence. L’étude de 2023 évoque plusieurs facteurs, dont certains très traditionnels, tabagisme et consommation d’alcool, sédentarité et obésité mais aussi « mauvaise alimentation », sans spécifier davantage.
L’étude Santé publique France met l’accent sur le point commun des études, l’augmentation des cancers digestifs et du rein, et évoque l’obésité, tout en ajoutant prudemment que cela reste à démontrer.
Certains rapports scientifiques ont déjà démontré le lien entre l’obésité ou le surpoids avec l’apparition ou la récidive de certains cancers, notamment le cancer du sein et le cancer colorectal (rapport de 2020 de l’INCA, institut national du cancer analysant les résultats de 243 études préalables). Le développement de l’obésité et son apparition précoce peuvent donc être une piste d’explication.
Au-delà d’autres études plus ciblées montrent clairement le lien entre le cancer, certaines habitudes de vie, certaines pratiques alimentaires ou des polluants divers. L’on peut mentionner une étude de 2022 sur l’apparition du cancer colorectal dans l’Ontario chez les jeunes, qui identifie certains facteurs, sédentarité, grande consommation de boissons sucrées et score élevé de « régime alimentaire de type occidental » (caractérisé par peu de fruits et légumes et la prévalence d’éléments comme la viande rouge, les viandes transformées, les desserts sucrés, la restauration rapide et la nourriture transformée). Une étude de l’INSERM et de l’INRA de 2018 suggère de même un lien entre la consommation d’aliments ultra transformés et le surrisque de cancer et, en 2021, des chercheurs d’Harvard ont montré qu’une alimentation fortement carnée avait des effets oncogènes. De même, le lien entre certains pesticides ou des perturbateurs endocriniens et cancers ressort d’un très grand nombre d’études.
Il n’est donc pas interdit de penser que, si nombre de cancers de la vieillesse sont liés à des processus de dégénérescence, les cancers précoces s’expliquent plutôt par une exposition aujourd’hui accrue à la malbouffe et aux polluants. Plutôt que de s’en tenir au constat, il faut maintenant tenter de mieux déterminer les causes des cancers précoces.
Resterait ensuite à élaborer des politiques publiques portant sur la qualité de l’alimentation vendue notamment dans les grandes surfaces et sur la lutte contre les produits polluants, politiques qui aujourd’hui n’existent pas. Or, si l’opinion publique a accès aux constats des études scientifiques, tout le monde se fiche un peu des suites. Si l’alimentation « occidentale » est néfaste, trop sucrée, trop salée, trop carnée et trop transformée, il faudrait réagir, fixer des règles nouvelles, interdire certains éléments ou certaines pratiques, avertir des dangers, prendre en charge l’obésité des enfants et des jeunes. Rien ne bouge pourtant, pas plus que sur la pollution de l’eau par les résidus plastiques, la présence des perturbateurs endocriniens dans les produits de la vie quotidienne, les pesticides sur les fruits ou la charcuterie avec nitrites. Il faudrait se réveiller.