Il n’y a pas beaucoup de doutes sur ce qui se passe à Gaza : c’est bien un génocide qui est en cours, avec les bombardements incessants de civils prétendument terroristes, le pilonnage des infrastructures de soins, la destruction des réseaux d’eau et d’énergie, le refus de l’aide humanitaire, le refoulement forcé dans certaines zones d’une population démunie et affamée; il y a bien un bourreau, le gouvernement israélien de droite extrême, mené par un escroc belliciste, aidé par la plus grande puissance militaire du monde et qui rêve, pour annexer des zones colonisées depuis 60 ans, de transférer les Palestiniens hors de leur terre ou alors, s’ils refusent, de les « détruire ».
Ce qui est moins clair, c’est l’évolution du Proche Orient dans son ensemble : Israël s’est lancé dans une guerre globale et permanente (Gaza, Liban, Syrie, demain peut-être l’Iran) dont la fin est incertaine. L’on ne sait pas non plus où vont les États-Unis, qui à la fois s’attaquent aux Houthis du Yémen et négocient avec l’Iran.
Tout ce que l’on sait, c’est que les États n’agissent pas pour tenter d’arrêter les massacres et que beaucoup de monde se tait, sauf les ONG et quelques cercles d’intellectuels.
A Gaza, un génocide avoué, avec la complicité des puissances qui arment Israël
Dans une tribune du journal Le Monde du 11 avril 2025, Les déclarations du ministre israélien de la Défense sont l’expression transparente d’une intention génocidaire à Gaza, deux universitaires professeurs de droit international pénal, Julian Fernandez et Olivier de Frouville, relèvent le message aux résidents de Gaza du représentant du gouvernement d’Israël : « Il s’agit du dernier avertissement. (…) Suivez le conseil du président des États-Unis (ie : rendre les otages, rejeter le Hamas et partir ailleurs). L’alternative est la destruction et la dévastation totale ». Les termes reprennent ceux de l’article 2 de la Convention du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, qui définit ce crime comme « une série d’actes commis dans l’intention spécifique de détruire en tout ou partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Jamais une intention génocidaire n’avait été exprimée aussi clairement, disent les deux juristes. Peu importe donc que le groupe entier n’ait pas été « détruit » (le massacre de Srebrenica, où 8000 musulmans ont été tués avant une déportation forcée du reste de la population musulmane, a été reconnu comme génocide) ou que d’autres déclarations du gouvernement israélien prétendent viser le Hamas, qui s’abriterait derrière des civils utilisés comme boucliers humains. L’intention affichée, tuer la population de Gaza, est claire et sa réalisation s’engage. La CPI devrait bien le relever, le Président Trump pouvant être considéré comme complice, lui qui a envoyé « au peuple de Gaza » un tweet lui intimant de rendre les otages ou « il y aura un enfer à payer plus tard ».
Sur le terrain, l’armée israélienne n’a plus de limites : elle détruit les infrastructures de soins qui existent encore (des terroristes s’y abriteraient), elle bombarde les camps de réfugiés, qui meurent brulés vifs sous leurs pauvres abris, elle rafle dans la rue des hommes « suspects » soumis ensuite à la torture, elle tue en toute connaissance de cause sauveteurs et journalistes palestiniens, elle interdit certaines zones à la population refoulée sans cesse de part en part, enfin elle affame : plus de 50 000 morts, nombre que les Israéliens contestent âprement (mais sans permettre à la presse d’entrer à Gaza pour en témoigner ni à quiconque de faire sur place des estimations), tandis qu’un humanitaire, Rony Brauman, soutient que, d’après l’expérience qu’il a des guerres, aucune autre population n’a subi des bombardements d’une telle intensité et qu’aucune autre guerre n’a tué autant d’enfants.
La Cisjordanie est elle aussi soumise aux violences arbitraires des colons et de l’armée, frappes aériennes, opérations punitives, tirs mortels sans cause, harcèlement à coups de pierre, menaces, destruction des maisons et des récoltes : nulle part où aller, personne à qui se plaindre. Un collectif de chercheurs et d’anciens ambassadeurs en Israël constatait avec effarement il y a quelques jours : « Israël, État-membre des Nations-Unis, réputé pour sa démocratie, ne respecte plus aucune des règles internationales ». Dominé par des fanatiques suprémacistes et racistes, il écrase les faibles, sans respect ni de la vie des Palestiniens ni de leur dignité.
Les États-Unis, si prompts à demander à l’Ukraine de rembourser les armes qui lui ont permis de se défendre contre l’invasion russe, fournissent à Israël tout l’armement nécessaire, au nom de l’éradication du Hamas, sans doute très amoindri sur place mais dont on ne sait plus trop quelles sont les forces. De 2020 à 2024, selon le SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute), les États-Unis ont fourni 66 % des armes achetées par Israël et l’Allemagne 33 %. Entre octobre 2023 et octobre 2024, sous la présidence de J. Biden, le montant des armes transférées a fait un bond à 17,9 Mds (contre 3 à 5 Mds les années précédentes), auquel il faut ajouter 4,9 Mds de dépenses propres des États-Unis pour renforcer leur présence en Méditerranée et en Mer rouge (porte-avions, défense aérienne, effectifs militaires). Une des dernières décisions de Biden a été d’annoncer une nouvelle vente d’armes de 7,7 Mds à Israël. Quant à K. Harris, elle n’a jamais eu le courage de dire qu’elle suspendrait ou conditionnerait cette aide si elle était élue : sans doute ne l’aurait-elle pas fait. Ensuite, D. Trump a suivi, en pire : il a supprimé les sanctions visant les colons israéliens coupables de violences en Cisjordanie, rétabli la livraison de bombes de 900 kg à l’armée israélienne, que Biden avait interdite de crainte de ravager Gaza de manière trop sauvage, et, juste après la signature du cessez-le-feu de février 2025 (qu’Israël n’a finalement pas respecté quand la deuxième phase, qui l’obligeait à retirer ses troupes, devait s’engager), il a approuvé 7,4 Mds de transferts de bombes, missiles et munitions. L’Allemagne quant à elle, quelque peu troublée par l’accusation de complicité de génocide portée à son encontre par des pays du « Sud », a limité ses livraisons en 2024 mais sans modifier sa position officielle de « soutien inconditionnel » à Israël.
L’extension de la guerre israélienne dans un Proche-Orient fragile
Le gouvernement israélien a fait l’analyse que la guerre à Gaza lui offrait l’occasion ou jamais d’en finir avec ses ennemis dans la région et de modifier au bénéfice d’Israël la carte du Proche-Orient. L’on a beaucoup dit que Netanyahou menait la guerre sans savoir où il allait et sans projet politique, uniquement pour éviter d’avoir à rendre des comptes, sur l’échec sécuritaire et, en ce qui le concerne, sur le plan pénal. Ce n’est pas exact : il a un plan. Il veut annexer les territoires, élargir les périmètres de sécurité d’Israël et écraser l’Iran. En septembre dernier, alors que la guerre à Gaza semblait pouvoir se terminer (le ministre de la guerre israélien de l’époque, Y. Gallant, qui sera démis par le Premier ministre pour divergence d’appréciation, déclarera un peu plus tard : « There’s nothing left in Gaza to do »), Israël a attaqué le Liban, bombardements puis opération terrestre qui visaient le Hezbollah, mouvement politique, militaire et religieux installé au Liban et soutenu par l’Iran, mais qui, bien évidemment, ont touché aussi la population civile. L’objectif était d’éradiquer le Hezbollah pour l’empêcher de lancer des attaques sur le nord d’Israël. Le Hezbollah en sortira très affaibli, pas encore mort toutefois. Un cessez-le-feu interviendra fin novembre où le gouvernement libanais s’engageait à démanteler les bases du Hezbollah au sud d’une ligne définie. Depuis lors, Israël considère que le Liban ne respecte pas cet engagement : les frappes israéliennes ont repris et l’armée israélienne a annoncé qu’elle se maintiendrait « indéfiniment » sur 5 sites qu’elle juge essentiels à sa protection, avec l’aval du Président Trump.
De même, depuis la chute de Bassar el-Assad en Syrie, Israël a envoyé des troupes dans la zone démilitarisée établie en 1974 sur le Golan et bombarde le sud syrien, réclamant une démilitarisation de la zone. Le pouvoir syrien, encore faible, proteste mais ne peut intervenir.
Toutefois, selon Israël, la véritable menace est l’Iran, jugé responsable de l’attaque du 7 octobre 2023. B. Netanyahou prévoyait de l’attaquer ce printemps mais n’a pas obtenu le feu vert de son allié américain : de manière un peu surprenante (est-ce pour ne pas trop irriter l’Arabie Saoudite, qui a clairement affirmé qu’elle ne voulait pas de cette opération ?), D. Trump, tout en lançant des bombardements contre les Houthis du Yémen (alliés de l’Iran) au motif qu’ils perturbent le trafic des bateaux en mer rouge, a, sous la menace de représailles, engagé l’Iran à négocier. L’objectif est de lui interdire d’accéder à la bombe atomique. Affaibli, l’Iran a accepté, sachant cependant que ce programme, qu’il a accéléré depuis l’élection de Trump, compte pour sa sécurité et qu’en tout état de cause, il veut garder le nucléaire civil. Dans ce contexte, la place des Russes reste à définir, qui se verraient bien en médiateurs puisqu’ils sont proches de l’Iran et soutiennent officiellement les Palestiniens mais sans entretenir de mauvaises relations avec Israël, qui a refusé de s’associer aux sanctions internationales prises contre la Russie après l’invasion de l’Ukraine.
Reste qu’Israël pèsera en faveur de la guerre si les négociations traînent. Or, celles-ci seront complexes (l’accord nucléaire de 2015, celui-là même auquel Trump a mis fin, avait exigé des mois de négociation, avec une aide technique active de l’Agence internationale de l’énergie atomique qui n’est pas partie prenante à la négociation en cours) et Trump n’est pas connu pour sa patience. Pour autant, comment pourrait-il soutenir auprès de son opinion publique un conflit où les intérêts américains ne sont pas directement engagés et où ceux de l’allié Israélien sont très discutables ?
Aujourd’hui, tout est possible et rien n’est certain, résignation aux conquêtes israéliennes de pays faibles qui attendront le moment propice pour y mettre fin et, avec l’Iran, accord diplomatique, accord d’affaires ou nouvelle guerre meurtrière. Israël croit se renforcer et se met sans doute en danger : il s’isole des pays arabes mais aussi des pays occidentaux, même si ceux-ci restent plutôt silencieux.
Délitement de l’ordre international, indifférence de l’occident devant la barbarie, personne ne se dresse pour que le droit reprenne sa place
Depuis longtemps, l’ONU n’a plus l’autorité politique pour intervenir, surtout quand Israël est partie prenante. A partir de 1972, bien avant la présidence Trump, les États-Unis ont systématiquement opposé leur veto aux résolutions condamnant Israël : on compte 48 vetos depuis lors, avec quelques exceptions (notamment en 2016, sous Obama, une abstention sur une résolution dénonçant la colonisation). Israël se sent depuis longtemps invulnérable : quand des rapports onusiens dénoncent les méthodes de l’armée et des colons, les arrestations et les détentions arbitraires ou les violences commises sur des civils, l’ONU serait « partiale ». Israël, pendant la guerre au Liban, ne s’est pas gêné pour attaquer les bâtiments de la FINUL, force d’interposition stationnée là depuis des décennies, qui ne sert à rien mais qu’il avait obligation de respecter. Aujourd’hui, l’UNRWA, agence de l’ONU d’aide aux réfugiés palestiniens, est qualifié de « repaire de terroristes » et une loi d’octobre 2024 lui interdit de poursuivre ses activités à Gaza. Le gouvernement israélien accuse le secrétaire général d’avoir fait de l’ONU « une organisation antisémite ». En 2025, les protestations de l’ONU contre le meurtre des secouristes palestiniens près de Rafah (l’ONU ose parler de « crime de guerre ») ou sur les attaques injustifiées contre le Liban et la Syrie n’obtiennent que peu de réponse : « Israël frappera partout contre toute menace ». La guerre préventive est légitimée et le droit international (qui interdit l’occupation de longue durée de territoires étrangers et, a fortiori, leur annexion) est bafoué depuis des décennies.
Aujourd’hui, personne ne s’oppose au génocide qui se dessine à Gaza.
L’on pourrait penser que le peuple israélien, qui a vécu dans sa chair le racisme et le génocide, réagirait : certes, longtemps très favorable à la guerre déclenchée après le 7 octobre, il veut désormais majoritairement qu’elle cesse. Mais il ne pense qu’aux otages qui restent, voués à mourir si le pouvoir persiste à les abandonner, et guère à la population palestinienne martyrisée, qu’il assimile aux assassins du Hamas. « La guerre, ça fait des victimes, on le sait, il ne fallait pas la déclencher », disait une intellectuelle française juive interpellée sur la question humanitaire à Gaza, réaction qui traduit bien cette propension à prôner le droit d’Israël à se défendre (ici plutôt à se venger) sans limite.
Au demeurant, B. Netanyahou, au pouvoir depuis des années, est légitime : il dispose d’une solide majorité à la Knesset alors aucun citoyen ne pouvait ignorer les choix et les méthodes de la coalition raciste et suprémaciste qu’il dirige. Les assassins de Rabin sont au pouvoir depuis un moment, disent les analystes. L’on a beaucoup dit aussi que le régime démocratique israélien fonctionnait bien, puisqu’une forte opposition s’est exprimée contre le projet de réforme de la justice, qui en amoindrissait les pouvoirs. Cependant, à y regarder de près, cette démocratie ne protège que ses propres citoyens, pas les populations colonisées : la loi israélienne sur « l’État nation » de 2018 ne reconnaît qu’aux juifs le droit à l’autodétermination (elle le refuse explicitement aux Palestiniens) et en 2024 la Knesset a voté une résolution refusant la constitution d’un État palestinien. Quant à la Cour suprême, elle a mis un an à répondre, le 27 mars 2025, à une requête de 5 organisations humanitaires israéliennes qui lui demandait d’ordonner au gouvernement et à l’armée de respecter à Gaza le droit international humanitaire et, en particulier, de laisser entrer l’aide. La Cour a refusé la requête, au motif qu’Israël n’avait aucune obligation envers Gaza (ce qui, au regard du droit est inexact) mais faisait au mieux pour aider. La vérité et le droit ont désormais plusieurs visages.
Surtout, un sondage de l’Institut de politique du peuple juif (JPPI) de février 2025 indique qu’environ 70 % des Israéliens approuvent la proposition du président Trump de relocaliser ailleurs la population de Gaza, 43% la considérant comme “faisable” et opportune, 30% ne la jugeant pas réalisable mais souhaitable.
Peut-on espérer une réaction des Européens ? Le Président Trump les marginalise : ils n’ont pas été invités aux négociations avec l’Iran sur le nucléaire, alors qu’en 2015, la négociation avait été menée collectivement par les 5 membres permanents du Conseil de sécurité avec l’Allemagne. Mais, à vrai dire, ils se réduisent eux-mêmes à l’impuissance.
S’agissant de la guerre à Gaza, l’Union européenne s’est déchirée, la Présidente de la Commission s’étant déplacée, sans être mandatée, pour assurer Israël de son indéfectible soutien au moment même où les chefs d’État européens appelaient Israël à la retenue. Certes, au printemps 2024, l’Espagne, l’Irlande, la Norvège puis la Slovénie ont reconnu l’État palestinien, déclaration certes purement symbolique mais au moins déclaration de soutien. La France ne jugeait pas alors le moment opportun pour se joindre à eux. L’Allemagne et l’Autriche refusaient alors énergiquement de critiquer Israël. L’Union ne sera même pas capable, malgré la demande de 195 ONG et de centaines de parlementaires des différents pays, de suspendre l’accord d’association avec Israël qui oblige explicitement les deux parties à respecter les droits humains.
Quant aux déclarations de Kaja Kallas, Haute-représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la sécurité, elles font pitié. Quand elle ne justifie pas la suspension de l’aide humanitaire dont elle rend le Hamas responsable, elle déclare platement : « Les actions militaires doivent être proportionnées, et les frappes israéliennes sur la Syrie et le Liban risquent de provoquer une nouvelle escalade ». Le soutien mou de l’Union au plan de reconstruction de Gaza par les pays arabes témoigne de choix mal assumés : saluer le plan mais ne pas désavouer Israël, même si ses actions mettent mal à l’aise et, surtout, ne pas donner de prétexte au désir de nuire du Président Trump avec lequel des négociations restent à mener.
La France avait, jusqu’à la présidence Sarkozy, une longue tradition de proximité avec les États arabes et prônait une solution équilibrée entre la préoccupation de la sécurité d’Israël et le droit à l’autodétermination des Palestiniens. Depuis 2007, sa position est plus fluctuante, marquée d’une plus grande complaisance envers Israël. C’est sans doute en reprenant cette tradition qu’E. Macron, en octobre 2023, a proposé de créer aux côtés de Netanyahou une coalition internationale contre le Hamas, avant de rétropédaler quand les pays arabes (et ses propres services diplomatiques) lui ont recommandé de réfléchir avant de parler.
Récemment, en octobre 2024, E. Macron a renversé ses choix, répondant à B. Netanyahou, qui présentait ses adversaires au Liban comme des islamistes forcenés prêts à tuer tous les citoyens occidentaux (son « narratif » est qu’Israël mène une guerre de civilisation au nom de l’occident), « qu’on ne défend pas une civilisation en semant la barbarie ». Plus récemment, il s’est rendu en Égypte pour demander un cessez-le-feu et le retour de l’aide humanitaire, soutenir le plan de reconstruction de Gaza présenté par les pays arabes et la solution politique qui y est attachée (une conférence est prévue à l’ONU en juin sur la solution à deux États), envisager enfin des reconnaissances croisées de l’État palestinien par tous et d’Israël par les pays arabes qui ne l’ont pas encore fait. La tentative n’est sans doute pas inutile (dans un paysage où personne n’agit, même un projet flou est bienvenu) mais ses chances d’aboutir sont faibles.
Pourquoi l’Occident presque tout entier est-il indifférent, ce qui l’expose aux accusations de duplicité des pays du « sud », qui lui reproche de condamner les atrocités russes commises en Ukraine sur des blancs et pas celles commises par leurs alliés contre des arabes ? Alors que l’on sait très bien que la guerre telle qu’elle est menée nourrit la haine, qui elle-même alimente le terrorisme et la violence ? C’est difficile à comprendre, sauf à évoquer la culpabilité ressentie à l’égard des juifs persécutés, la grande crainte d’être accusé d’antisémitisme devant une opinion publique sensibilisée à ce fléau (le gouvernement israélien et ses soutiens abusent de cette arme pour répondre à toute critique), la réticence à dire la vérité sur l’État qui a offert aux juifs une patrie et conquis son droit à exister, sans doute aussi des intérêts électoraux, voire, peut-être, une méfiance latente envers les musulmans, aisément assimilés aux islamistes depuis les attentats récents. L’occident a choisi le faux équilibre (dès que l’on évoque les massacres à Gaza, il faut absolument parler du 7 octobre et ensuite s’en tenir là) et se contente, par lâcheté, de grandes déclarations apitoyées.
Quid alors de la Turquie (longtemps partagée entre son vieux désir de normalisation des relations avec Israël et sa sympathie pour les palestiniens, qui désormais semble l’emporter) et, surtout, des pays arabes ? Certes, la guerre de Gaza a stoppé net le processus des accords d’Abraham, qui lui-même impliquait l’effacement de la question palestinienne à laquelle personne ne voulait plus alors s’intéresser. Certes aussi, les pays arabes, en particulier l’Arabie saoudite, ne sont probablement pas totalement mécontents de l’affaiblissement du Hezbollah et de l’Iran ou des attaques menées contre les Houthis. Pour autant, ces pays ont élaboré un plan de reconstruction de Gaza (soutenu par l’ONU, immédiatement rejeté par Israël) et ont affirmé, même brièvement, leur choix d’écarter le Hamas et d’organiser une autre gouvernance à Gaza. L’Arabie Saoudite, dont le Président américain recherche l’alliance, a exprimé à plusieurs reprises son opposition à une attaque de l’Iran et demandé l’arrêt des opérations israéliennes à Gaza et au Liban. Cette opposition pourrait être décisive. Mais ces prises de position manquent de force face à l’urgence d’agir pour sauver les gazaouis. Il ne reste, pour protester fermement, que les ONG : Amnesty international, Human Rights Watch, Médecins sans frontières…ce qui, aujourd’hui, ne pèse pas bien lourd.
Que va-t-il se passer ?
Récemment le journal libanais L’orient-Le-Jour évoquait l’hubris israélienne, la souffrance causée par le recours systématique à la force, le désespoir que personne n’arrête Israël dans sa volonté de bombarder et de redessiner les frontières d’États chancelants ou épuisés, comme le Liban ou la Syrie, la crainte aussi que le Président Trump ne choisisse de « tordre le bras » aux pays arabes qui dépendent étroitement de l’aide américaine (Égypte, Jordanie) pour les contraindre à accueillir les refugiés palestiniens d’une nouvelle nakba. Il faudrait, disait le journal, inciter les Européens à s’unir aux pays arabes pour s’opposer plus fermement : mais « même les vœux pieux sont aujourd’hui de trop » concluait-il avec désespoir. Que dire d’autre ?
Pergama, le 28 avril 2025