Un économiste, un sociologue et un historien (Yann Algan, Olivier Galland, Marc Lazar) se sont associés pour mener une étude sur Les jeunes et le travail, publiée par L’Institut Montaigne. L’étude concerne les 16-30 ans, qui nécessairement n’ont pas la même expérience en ce domaine : elle est conduite à distinguer les réponses selon l’âge dans certains cas.
Les conclusions essentielles sont les suivantes.
Les jeunes sont attachés au travail, même si certaines prises de position apparaissent paradoxales : ils considèrent à 60 % que le travail est d’abord un moyen de gagner sa vie et seule une minorité le voit comme un accomplissement ou valorise son utilité sociale. Mais 80 % continueraient à travailler même s’ils n’en avaient pas besoin. En outre, la satisfaction liée à l’emploi occupé apparaît comme le facteur le plus fortement et positivement associé à la satisfaction de vie. La minorité de jeunes qui ont renoncé à travailler ont certes une vision négative de l’emploi mais leur insatisfaction dans la vie est forte de même que leur détresse psychologique.
Les attentes permettent de définir ce qu’est la qualité de l’emploi aux yeux des jeunes. Pour tous, les critères de qualité sont, dans l’ordre, la rémunération, puis l’équilibre entre temps de travail et temps libre, l’absence de stress, les possibilités d’évolution, les rapports avec les collègues, la sûreté de l’emploi, la reconnaissance, l’autonomie, l’intérêt du travail. Les attentes en matière de responsabilité sociale et environnementale des entreprises sont globalement faibles. Sur certains critères, des différences apparaissent selon l’âge, sans modifier le classement d’ensemble : les plus âgés (25-30 ans) privilégient davantage que les plus jeunes la rémunération, l’équilibre avec la vie personnelle, la reconnaissance, l’autonomie et l’intérêt du travail. Pour les plus jeunes, l’absence de stress et les rapports avec les collègues comptent un peu plus.
Les attentes sont différentes selon les diplômes et les filières : plus le diplôme est élevé, plus grandes sont les attentes. Les attentes sont également plus fortes dans les filières de service que dans celles de la production. Elles sont aussi différentes selon le sexe : les femmes sont plus exigeantes sur l’intérêt du travail, la rémunération et l’équilibre entre temps professionnel et temps libre.
Quel écart entre les attentes et la réalité ? La satisfaction au travail est assez médiocre, 40 % des jeunes la situant à moins de 6 sur une échelle allant de 1 à 10. Les 2/3 des jeunes déclarent des motifs d’insatisfaction : les trois principaux sont la rémunération, puis la qualité de vie au travail avec l’existence d’un stress et la difficulté de conciliation entre le travail et la vie personnelle. Les écarts varient selon le diplôme et le genre. Les plus déçus sont les CAP ou bac pro services (essentiellement compte tenu des conditions de travail, de la fatigue, du stress, des horaires…) mais aussi certains jeunes diplômés, les licenciés ou masters littéraires et santé (stress, rémunération, qualité des relations avec les collègues…) dont on a noté les fortes attentes. Les moins déçus sont les CAP ou bac pro de production et les licences ou masters sciences, dont les attentes étaient moindres. L’écart entre les attentes et la réalité vécue ne dépend donc pas de la catégorie socioprofessionnelle mais plutôt du niveau des attentes. Les femmes, dont les attentes sont fortes, sont globalement plus déçues que les hommes (rémunération, stress, horaires).
Toutefois, quand on rapproche la satisfaction au travail et les motifs dominants de frustration, on note des changements dans les motifs. Le premier motif corrélé à l’insatisfaction au travail est le contenu et l’intérêt du travail, le second est la considération, le troisième la rémunération, avant les questions de conciliation avec vie personnelle, le stress venant plus loin derrière. Il existe donc une différence entre les déclarations et l’analyse des réponses.
Au final, l’étude classe les jeunes dans leurs relations avec le travail : avec 28 % de « frustrés/démotivés » et 20 % de résignés, presque un jeune sur deux est mécontent ; au-delà, 20 % de « rebelles » apprécient leur emploi mais critiquent le management et la qualité de vie au travail : certains voient alors une solution dans le travail indépendant ; les satisfaits ne représentent qu’un tiers environ des jeunes.
D’une manière plus générale, d’autres conclusions se dégagent :
1° La satisfaction au travail est liée à une bonne orientation professionnelle et celle-ci n’est pas pleinement satisfaisante : selon les diplômes, on compte entre 11 et 38 % de mécontents qui jugent que l’aide apportée a été insuffisante ; 27 % des jeunes au total sont insatisfaits de leur orientation, notamment les moins diplômés, les femmes, les diplômés des filières professionnelles de services et certains diplômés du supérieur (lettres et sciences humaines et sociales), ceux-là même dont la déception à l’égard du travail est la plus forte ;
2° Les jeunes classent trois domaines d’activité en tête de leurs préférences : les entreprises de luxe, l’administration publique, la santé et le secteur associatif, qui offrent une meilleure qualité de vie au travail ; l’industrie attire peu ;
3° Le rapport à l’autorité est assez variable : 42 % des jeunes se disent enclins à obéir sans réserve, 48 % obéissent dès lors qu’ils adhèrent, 10 % rejettent l’autorité. Les jeunes qui jugent leur orientation insatisfaisante ou sont insatisfaits de leur travail contestent davantage l’autorité ;
4° L’appréciation globale du management sur certains critères (« fait confiance », « responsabilise ») ne semble pas mauvaise. 34 % des jeunes pensent toutefois que l’attention au bien-être est insatisfaisante, les femmes étant les plus critiques. Les jeunes apprécient davantage les petites et moyennes entreprises que les grosses.
5° Le harcèlement existe (27 % des jeunes déclarent avoir subi un harcèlement moral en entreprise et 9 % un harcèlement sexuel).
6° 49 % des jeunes interrogés n’ont pas de préférence politique et, parmi les 51 % restants, 26 % se sentent proches de la gauche radicale et 33 % de la droite radicale. L’engagement est corrélé au niveau de diplôme, à la situation financière et à la satisfaction dans la vie. La gauche radicale attire les précaires mais aussi les jeunes en détresse. La droite radicale attire les CAP et bac pro et les jeunes satisfaits de leur vie : c’est un peu paradoxal car contraire aux enquêtes d’ensemble sur l’adhésion aux mouvements d’extrême-droite.
L’étude s’intègre donc dans les réflexions existantes sur les attentes à l’égard du travail : les jeunes ne sont pas si différents des salariés qui, dans l’enquête de la CFDT de 2016, témoignaient à la fois de leur attachement au travail et de la pénibilité subie, notamment des risques psycho-sociaux, des faiblesses du management et des mauvaises conditions de travail en France. Certaines déceptions sont préoccupantes, notamment dans des métiers de service ou ceux exercés par des diplômés en lettres ou sciences humaines, qui répondent à des besoins forts (ainsi l’enseignement) mais dont l’attractivité est limitée. Toutefois, quand seulement un tiers des jeunes est satisfait et que les autres sont frustrés, résignés ou rebelles, les ambitions doivent être plus larges : il importerait de donner du sens au travail, d’améliorer l’orientation (une mauvaise orientation imprègne la perception du travail) et d’aborder enfin, en France, la question de la qualité du management.