TVA sociale, une bonne idée?

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TVA sociale, une bonne idée?

Le Président de la République a évoqué dans une récente interview télévisée la possibilité de financer la protection sociale par l’institution d’une TVA sociale, pour faire moins peser le financement social sur le travail et davantage sur la consommation. Le Premier ministre a alors demandé au Haut Conseil pour le financement de la protection sociale d’étudier ce point : le rapport n’est pas rendu mais l’on sait déjà que le Haut Conseil, bien que lucide sur les inconvénients, n’écarte pas cette piste.

Il s’agit d’une idée ancienne, qui a été inscrite dans les textes à l’extrême fin du quinquennat Sarkozy, en mars 2012 : les cotisations patronales finançant la branche famille ont alors été supprimées sur les salaires jusqu’à 2,1 SMIC et allégées en biseau au-dessus de ce seuil jusqu’à 2,4 SMIC. Parallèlement la TVA à 19,6 % est passée à 21,2 % et le produit de cette augmentation, joint à une hausse de la CSG de 2 points sur les revenus du patrimoine, a compensé la baisse des cotisations pour financer la branche famille.

 La volonté était alors double : alléger les charges des entreprises et transférer une partie des coûts qui pèsent actuellement sur le travail vers d’autres financeurs, en l’occurrence les consommateurs, pour améliorer la compétitivité de la production ; favoriser les exportations et défavoriser les importations, puisque la TVA (et en l’occurrence une TVA alourdie) pèse sur les importations, qui jusqu’ici ne participaient pas au financement de la protection sociale, tandis que le prix des produits exportés, qui ne supportent pas la TVA, serait allégé puisque le coût de production sera moindre.

Le dispositif ne s’est pas appliqué, l’élection de F. Hollande en mai 2012 ayant conduit à sa suppression quelques mois plus tard.

Déjà, à l’époque, des doutes ou des objections s’étaient fait jour.

 L’objection de principe, celle qui conduit les organisations syndicales de salariés et les partis de gauche à refuser la mesure, porte sur le remplacement d’un financement par cotisations patronales par l’affectation d’un impôt dont on connaît le caractère régressif : il pèse davantage sur les catégories modestes que sur les catégories aisées, les premières consacrant à la consommation (et à la consommation de biens courants) une part plus grande de leurs revenus que les catégories aisées.

Cette objection ne vaut que si l’augmentation de la TVA conduit à une augmentation des prix, ce dont le gouvernement de l’époque, dirigé par F. Fillon, affirmait douter : en théorie, les entreprises devraient répercuter la baisse de leurs charges sur leur prix (c’est le but si le problème à résoudre est une question de compétitivité prix) et l’augmentation de la TVA serait indolore. Mais en pratique, les manipulations sur les taux de TVA n’ont pas d’effet mécanique : les entreprises peuvent en profiter pour réajuster leurs marges et augmenter leur prix et dans certains secteurs, même si la baisse des prix a lieu effectivement, l’alourdissement de la TVA ne lui correspondra pas. Or, les économistes craignent les effets d’une augmentation des prix sur la croissance et la consommation.

Aujourd’hui, s’ajoutent d’autres réticences : la question de la baisse des charges des entreprises ne se posent plus dans les mêmes termes qu’en 2012 et, depuis lors, des efforts considérables ont été faits en leur faveur sur le plan fiscal, dont on peine à faire un bilan franchement positif sur le plan de la compétitivité. L’on en revient à l’analyse que ce n’est pas la compétitivité-prix qui compte le plus, mais la qualité, l’innovation ou la propension à prospecter les marchés d’exportation…

De plus, le financement de la sécurité sociale fait déjà aujourd’hui une large place aux impôts : en 2025, le financement des régimes obligatoires de base et du Fonds de solidarité vieillesse n’est assuré qu’à 49 % par des cotisations (35 % pour les seules cotisations patronales), à 20 % par la CSG (contribution sociale généralisée affectée à la sécurité sociale et prélevée sur les revenus d’activité ou du patrimoine) et à 18 % par d’autres impôts et taxes, très divers, dont, déjà, une part de TVA, le solde l’étant par des transferts ou d’autres recettes. Le financement de la protection sociale « par l’imposition sur le travail » devient minoritaire. Il est vrai que la situation diffère selon les branches : si les risques maladie et retraite ne sont financés qu’à 33 et 32 % par des cotisations patronales, le pourcentage atteint 58 % pour le risque familles et 91 % pour le risque accidents du travail (avec une logique, en théorie, de prévention).

Enfin le problème majeur que pose aujourd’hui le financement de la sécurité sociale, c’est son déficit et les perspectives de son creusement. Le solde des régimes de base et du FSV a été de -10,8 Mds en 2023, de -15,3 Mds en 2024 (le déficit est imputable à 90 % au risque maladie) et il est prévu en 2025 à -22,1 Mds (là aussi la part de la maladie dans le déficit est prépondérante, 70 %). Les perspectives des années suivantes tournent autour d’un déficit compris entre -23 et -24 Mds. L’heure n’est pas à remplacer un type de ressource par un autre, mais plutôt à limiter le déficit, soit par l’attribution de nouveaux financements, soit par des économies, soit par les deux. Dans ce cadre, il serait paradoxal de financer un déficit qui relève de la responsabilité commune par une TVA considérée comme socialement injuste, d’autant que ce sont déjà les plus modestes pour lesquels l’accès aux soins est le plus difficile et qui, après remboursement des assurances obligatoires et complémentaires, supportent, en pourcentage de leurs revenus, un reste à charge beaucoup plus lourd que les catégories aisées.

Mieux vaudrait donc s’attaquer aux vrais problèmes et chercher des solutions solides que d’évoquer un transfert de charges allégeant les charges des entreprises qui n’est vraiment plus dans l’air du temps.