En 2024, la présidence brésilienne du G20 a demandé à l’économiste G. Zucman d’étudier une réforme permettant une progressivité mondiale de l’impôt afin de taxer équitablement les milliardaires. Sur le fondement de travaux antérieurs de l’Observatoire européen de la fiscalité montrant que l’impôt ne taxait pas équitablement la richesse des milliardaires, le rapport rendu au G 20 proposait que les détenteurs d’un patrimoine d’au moins 1 milliard de dollars (actifs de toutes sortes, biens immobiliers, actions, participations financières) payent un impôt égal au moins 2 % de la valeur de celui-ci.
En France, des parlementaires se sont saisis de cette proposition et la « taxe Zucman » a été adoptée en février dernier à l’Assemblée nationale, avec, en l’occurrence, application aux foyers fiscaux dont le patrimoine atteint 100 millions : le texte prévoit le versement d’une taxe différentielle sur le patrimoine dès lors que le total des impôts payés au titre de l’impôt sur le revenu (y compris la contribution sur les hauts revenus, la CSG et la CRDS) et de l’impôt sur la fortune immobilière n’atteint pas 2 % du patrimoine possédé, en y intégrant les biens professionnels.
La volonté est de s’attaquer à une concentration du patrimoine et de la richesse jugée excessive ainsi qu’à l’optimisation fiscale. L’objectif est aussi d’augmenter les recettes fiscales avec un rendement estimé entre 15 et 25 Mds.
Sous sa forme actuelle, la proposition a peu de chances d’être retenue. Le Sénat l’a rejetée : il la juge économiquement néfaste, notamment parce qu’elle frappe les biens professionnels et les créateurs d’entreprises et pourrait faire fuir les riches entrepreneurs, même si elle est assortie d’un dispositif « anti-exit » et même si l’ampleur de l’exil fiscal à la suite de la mise en place d’une imposition sur la fortune a toujours été contestée ; elle fait débat au sein du « bloc central », attaché à alléger les charges des entrepreneurs. Elle risque surtout de ne pas passer l’étape du Conseil constitutionnel.
Accroître l’effort fiscal des plus riches, une proposition légitime…
Une étude de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) Revenus et patrimoines des foyers les plus aisés en France, janvier 2025, démontre l’absence d’équité de la fiscalité qui s’applique aux plus riches.
La note s’intéresse aux 0,1 % les plus aisés en termes de revenus (40 700 foyers fiscaux) qui, en 2022, perçoivent en moyenne plus d’un million de revenu par an (1 030 000 euros) ainsi qu’aux 0,1 % des foyers les plus aisés en termes de patrimoine qui, en 2016, dernière année où le fisc connaissait à la fois leur patrimoine mobilier et immobilier grâce aux déclarations liées à l’ISF, possédaient un patrimoine moyen de 10 millions, avec une répartition de 79 % pour le patrimoine mobilier (7,8 millions en moyenne) et de 21 % pour l’immobilier (2,1 millions en moyenne). En 2022, leur patrimoine immobilier (le seul connu désormais) dépassait 4,6 millions. Seulement 9 % des foyers fiscaux sont à la fois très riches en revenus et en patrimoine.
L’intérêt de la note est de mettre en valeur l’évolution de ces fortunes sur le long terme. De 2003 à 2022, pour les 0,1 % les plus riches en termes de revenus, le revenu moyen a augmenté bien plus que celui des autres foyers, + 119 % contre + 46 %, soit, en valeur réelle hors inflation, + 3 % par an contre + 0,5 %. Quant à la valeur du patrimoine moyen des 0,1 % les plus riches sur ce critère, la suppression de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) et son remplacement en 2018 par l’IFI (impôt sur la fortune immobilière) crée une rupture de mesure : de 2003 à 2016, le patrimoine des 0,1 % les mieux dotés a doublé, tandis que celui des autres foyers n’augmentait que de 59 %. Ensuite, de 2018 à 2022, la valeur du patrimoine immobilier moyen des hauts patrimoines a fortement augmenté (+18%). Sur le long terme, les très riches s’enrichissent bien davantage que le reste de la population, ce qui n’est pas le signe d’une contribution équitable aux charges publiques.
Certes, pendant la période, l’indice de Gini calculé sur les revenus fiscaux tous ménages confondus, qui traduit l’augmentation des inégalités de revenu du pays, a peu augmenté, de 0,02 points. Pour autant, le détail importe : cette augmentation est dû à l’augmentation des inégalités touchant le 1er quartile de revenus (qui s’est appauvri en termes relatifs) et les très riches (qui se sont enrichis) : de 2003 à 2022, toutes les tranches de revenus ont vu leur part dans le revenu d’ensemble baisser, surtout le premier quartile, sauf le neuvième décile et surtout, en son sein, le groupe des 1 % et des 0,1 % les plus riches. Quant au taux moyen d’imposition de l’IR (impôt sur le revenu), il a augmenté globalement pendant la période mais cette augmentation a concerné les 50 % les plus modestes et, il est vrai, presque la totalité du dernier décile, (les 9,9 %), tandis que les 0,1 % les plus riches ont vu leur taux d’imposition baisser.
L’explication est simple : la part des revenus du capital croît au fur et à mesure que l’on monte dans l’échelle des richesses et le principal régime d’imposition des revenus de ce type (le prélèvement forfaitaire unique, PFU, créé en 2018, qui soustrait les dividendes, les intérêts financiers ou les plus-values au barème de l’IR pour les soumettre à un prélèvement proportionnel de 30 %) est bien plus favorable que celui appliqué aux autres catégories de revenu, notamment aux revenus du travail.
De fait, selon le rapport du CPO (Conseil des prélèvements obligatoires, placé auprès de la Cour des comptes) Conforter l’égalité des citoyens devant l’imposition des revenus, octobre 2024, alors que, dans les 9 premiers déciles, la part des revenus du travail et de remplacement va de 96 à 99 %, au-delà, les revenus du capital prennent une part grandissante : 30 % pour les 1 % les plus aisés, 61 % pour les 0,1 % et 86 % pour le dix-millième au sommet. En outre, parmi les revenus du capital du dernier centile de revenu, les dividendes et les intérêts financiers sont prépondérants : ils comptent pour 45 %, les revenus fonciers pour 33 %, les plus-values immobilières pour 11% et les revenus d’assurance vie pour 7 %. Au demeurant, même les revenus autres que mobiliers bénéficient de régimes d’imposition favorables spécifiques (fiscalité favorable sur les locations meublées, possibilité d’exonération de contrats d’assurance vie et de plus-values immobilières ou mobilières).
De ce fait, si la progressivité de l’impôt perdure pour l’ensemble des revenus déclarés, elle est atténuée : le CPO note ainsi que le taux d’imposition moyen de l’IR et des prélèvements sociaux ne dépasse pas 30 % pour les 1 % les plus riches alors que la courbe serait beaucoup plus prononcée si les revenus étaient tous taxés comme le sont les revenus du travail.
Quant au patrimoine, nous verrons ci-dessous combien les règles appliquées aux héritages favorisent sa concentration aux mains des plus riches.
Cette situation est volontaire et assumée : d’une part, le Conseil constitutionnel admet que chaque type de revenu peut avoir un traitement fiscal spécifique, au nom d’objectifs économiques et sociaux de l’État. Il a ainsi admis que les objectifs de la création du PFU en 2018 (rapprocher la fiscalité mobilière de celle des autres pays européens et inciter les bénéficiaires de la réforme à augmenter leurs investissements) étaient légitimes et fondés ; d’autre part, personne ne réagit quand l’on constate que les contreparties attendues ne se sont pas réalisées : l’avis final du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital en 2018 montre que l’institution du PFU a conduit à des versements massifs de dividendes sans augmentation des investissements des entreprises dont les bénéficiaires étaient actionnaires. Les réformes fiscales de 2018 ont donc, pour l’essentiel, enrichi les très riches. De même, l’objectif de la suppression de l’ISF et de son remplacement par un impôt sur la seule fortune immobilière était d’orienter davantage l’épargne vers les placements financiers au détriment des placements immobiliers : il n’a pas été atteint mais la réforme a été maintenue.
La situation peut d’autant plus choquer qu’un rapport du CPO (La progressivité de l’imposition des revenus des personnes physiques, mai 2024) démontre que les très riches utilisent tout un panel d’instruments pour piloter leurs revenus et échapper à la taxation : rémunération des dirigeants en dividendes, rachat d’actions par l’entreprise pour accroître leur valeur, recours à des holdings patrimoniales pour loger des dividendes non distribués, holdings qui peuvent financer certaines dépenses des dirigeants, utilisation des systèmes de reports d’imposition à l’IS provisoire ou définitifs en cas d’apports de titres, effacement des plus-values au moment des successions et transmissions gratuites.
De même, personne ne peut ignorer l’utilisation massive de techniques diverses pour échapper aux droits de mutation ou de donation.
…mais une proposition de loi très probablement inconstitutionnelle
Le taux effectif de la taxe n’est pas connu car il résultera, pour chaque contribuable, de la différence entre le montant de 2 % de la valeur du patrimoine considéré et les divers impôts qui viendront en soustraction (IR, IFI, CSG et CRDS). Il pourrait être assez élevé, car la taxe porterait sur le patrimoine professionnel, qui peut être colossal et n’est pas, pour l’instant, taxé. Pour autant, le projet ne prévoit aucun plafond de l’imposition en fonction des revenus de la personne, alors que la jurisprudence du Conseil constitutionnel impose, du moins dans la plupart des cas, que le cumul d’un impôt sur la fortune et des autres impositions portant sur le revenu ne dépasse pas un certain seuil de revenus. Les décisions en ce sens (2012-654 du 9 août 2012, 2012-662 du 29 décembre 2012) ne font d’ailleurs que reprendre une doctrine qui s’était imposée au législateur depuis la création de l’ISF, selon laquelle un impôt sur la fortune devait pouvoir être acquitté grâce aux revenus du contribuable, sans que celui-ci ait à amputer son patrimoine pour y parvenir. Le Conseil constitutionnel n’impose nullement que les biens non productifs de revenus soient exonérés de l’impôt sur la fortune (décision 2010-44 du 29 septembre 2010), pas plus qu’il ne s’intéresse au « rendement » des biens pour valider le taux de l’impôt, ce qui reviendrait à exiger que l’impôt sur le patrimoine soit payé avec les revenus du capital investi. Il entend simplement que le cumul des impôts supporté par le revenu du contribuable ne soit pas « confiscatoire » ou ne représente pas « une charge excessive ».
Le Conseil a toutefois accepté l’absence de plafonnement (décision 2012-654 du 9 août 2012) pour une imposition de faible taux, quand une loi du 29 juillet 2011 a baissé les taux de l’ISF à 0,25 et 0,5 % tout en augmentant le seuil d’imposition. Dans la même décision, le Conseil a validé une contribution exceptionnelle sur la fortune au taux de 1,8 % qui n’était assortie d’aucun plafonnement, mais au regard de circonstances particulières qui allégeait la charge sur les contribuables.
Quant au taux maximum d’imposition possible sur le revenu tous impôts confondus, le Conseil d’État recommande, après étude de la jurisprudence, de ne pas dépasser un taux marginal d’imposition des deux tiers du revenu, sauf à courir le risque d’une censure. En réalité, le seuil est variable et peut être plus élevé : le cumul des impôts sur le revenu et de l’IFI ne doit pas dépasser 75 % des revenus parce que l’IFI ne frappe pas au premier euro et que son seuil d’imposition est élevé.
Il est donc quasi-certain que le Conseil constitutionnel n’acceptera pas de valider la proposition de loi évoquée, ce que les promoteurs du texte ne pouvaient ignorer. Ceux-ci justifient l’absence de plafonnement par le fait que les gros patrimoines produisent un revenu moyen de 5 à 7 % largement supérieur à une imposition de 2 % : mais le Conseil constitutionnel protège ceux des détenteurs de gros patrimoines dont le revenu serait insuffisant pour supporter le poids cumulé des impôts, quand bien même, avec le seuil de patrimoine envisagé (100 millions), un tel cas de figure est improbable.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le plafonnement explique que le gouvernement travaille parallèlement sur un autre projet d’imposition du patrimoine mais avec un taux de 0,5 %, donc sans plafonnement et en excluant les biens professionnels, ce qui en limitera le rendement.
Il est vrai pourtant que le plafonnement, qui semble équitable, a des effets non souhaités : les études sur les effets de l’ISF ont montré qu’il permet aux très riches d’échapper à l’impôt. Dans son rapport final de 2023, le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital décidées en 2018 montre que le taux d’imposition à l’ISF baissait pour les plus fortunés, essentiellement à cause du plafonnement, pour une part à cause de l’exclusion des biens professionnels. Jouaient également, selon le député C. de Courson, l’utilisation de toutes les techniques permettant de minorer artificiellement les revenus.
Utiliser d’autres voies pour taxer les riches ?
En proposant un texte juridiquement contestable, les promoteurs de la « proposition de loi Zucman » ont sans doute simplement voulu poser publiquement la question de la distorsion entre la fiscalité et la grande richesse. D’autres experts ont pourtant évoqué des réformes mieux étayées juridiquement pour taxer davantage les très riches. La difficulté au demeurant n’est pas d’élaborer des propositions mais de les faire accepter.
Deux grands domaines peuvent être explorés, l’institution d’un impôt sur la fortune corrigé pour éviter les faiblesses existantes et le durcissement de la fiscalité des donations et successions.
Sur le premier point, un travail de Terra nova de juin 2024, Taxer les super-riches, pourquoi et comment faire ? propose de rétablir un impôt sur la fortune en élargissant l’assiette (prise en compte du patrimoine professionnel, quitte à prévoir des exonérations pour des PME), avec des taux faibles pour les patrimoines les moins importants (0,5 %) et des taux plus élevés pour les plus hauts patrimoines, ce qui implique, pour ces derniers, l’existence d’un plafonnement par rapport aux revenus disponibles. La note propose toutefois de « plafonner le plafonnement », en s’appuyant sur une décision du Conseil constitutionnel 2010-99 du 11 février 2011, dans laquelle celui-ci a validé un dispositif qui limitait l’avantage que pouvait tirer du plafonnement les contribuables les plus importants. L’espoir est que le Conseil constitutionnel valide ce dispositif compte tenu des nombreuses analyses qui identifient le plafonnement comme une des causes de la moindre taxation des très riches.
Une autre note de Terra nova (Quel rendement peut-on réellement attendre de la taxation des plus fortunés ? septembre 2024) propose un impôt sur la fortune de faible taux (0,5 %) sans plafond, frappant tous les biens y compris professionnels, ou bien la combinaison d’un impôt à 0,3 % sur les biens professionnels sans plafond et du retour de l’ancien ISF (plafonné) sur les autres biens.
Au-delà de ces règles, les propositions sont légion pour éviter que les hauts patrimoines ne parviennent à minorer leur revenu afin de pouvoir plus aisément bénéficier du plafonnement : le Conseil constitutionnel a admis (décision 2016-744 du 20 décembre 2016) que les dividendes déposés dans une holding patrimoniale (et donc en théorie non disponibles) pouvaient être réintégrés dans le revenu pris en compte pour définir le plafonnement si l’objet principal de ce dépôt était d’échapper à l’ISF (ce qui, à vrai dire, est quasiment toujours le cas) : l’on pourrait faire jouer cette disposition plus systématiquement. S’agissant de la taxation des revenus mobiliers, certains proposent de les soumettre à nouveau au barème de l’IR, comme sous la présidence de F. Hollande, d’autres jugent la mesure trop rigoureuse, arguant que, même avec un taux de 30 %, la France fait partie des pays dont l’impôt sur ce type de revenus est un des plus élevés.
Nombre de rapports (notamment ceux du CPO) n’hésitent pas à proposer de modifier la fiscalité existante pour la rendre plus exigeante envers les contribuables fortunés : augmentation du taux marginal de l’IR, remise en cause du dispositif d’apport-cession qui permet de différer, temporairement ou définitivement, l’acquittement de l’impôt sur les plus-values de titres, suppression des niches fiscales ou dispositifs qui bénéficient particulièrement aux plus riches (crédit d’impôt pour les salariés à domicile, fiscalité favorable appliquée aux locations meublées, quotient familial qui pourrait être remplacé par une déduction forfaitaire, mise en cause de quotient conjugal qui bénéficie beaucoup aux plus riches…).
Quant aux propositions sur la fiscalité des donations et des successions, elles partent d’un sombre constat : comme vu ci-dessus, selon l’Insee et les services fiscaux, le patrimoine est très inégalement réparti, les 20 % les moins dotés possédant moins de 13 400 euros, les 1 % les mieux dotés 2,2 millions et les 0,1 % 4,6 millions pour le seul patrimoine immobilier ; depuis 20 ans, les moins favorisés ont vu leur patrimoine s’amoindrir, à la différence des mieux dotés (selon l’Insee, – 54 % pour les 10 % les moins bien dotés et + 94 % pour les 10 % les plus dotés).
Cette concentration de la richesse est due à l’augmentation des prix immobiliers mais aussi à l’héritage : selon une note du Conseil d’analyse économique Repenser l’héritage, la part de la fortune héritée représente désormais 60 % du patrimoine des Français contre 35 % il y a 55 ans. Le montant des héritages est de plus très contrasté : la moitié des personnes qui héritent reçoivent moins de 70 000 euros, alors que 1 % des héritiers reçoivent 4,2 millions et 0,1 % 13 millions. Enfin et surtout, le CAE estime que 40 % du patrimoine transmis échappent à l’impôt, à cause de la prolifération des dispositifs d’exemptions et d’exonérations : les taux affichés (45 % d’imposition pour les très grosses successions en ligne directe) n’ont aucun rapport avec l’impôt effectivement supporté (8 à 10 % pour les successions les plus élevées).
Pour échapper à « une société d’héritiers » qui pérennise les inégalités sociales, les propositions sont là aussi nombreuses : elles portent sur la suppression des exonérations prévues sur les assurances-vie, sur l’assimilation de la transmission d’actions à une cession pour imposer les plus-values, quitte à prévoir un report d’imposition jusqu’à la revente de l’actif, sur la fin (ou le plafonnement) du dispositif Dutreil particulièrement avantageux pour les successions d’entreprises, sur l’imposition des démembrements de propriété avant décès pour éviter les droits de succession par la suite.
Le CAE y ajoute une proposition iconoclaste, prendre en compte le cumul des héritages dont une même personne bénéficie tout au long de sa vie, au lieu d’appliquer des barèmes succession par succession.
Pour autant, tous les observateurs sont d’accord : faute peut-être de bien mesurer les conséquences des règles d’héritage sur la concentration des fortunes, les Français sont défavorables à une augmentation de la fiscalité en ce domaine, parce qu’ils sont attachés à la notion de transmission familiale et la trouvent juste. Pour autant, celle-ci n’a pas la même portée pour une succession de 100 000 euros (non taxée en ligne directe) et de plusieurs millions d’euros. D’une manière plus générale, si les inégalités sociales sont bien perçues et mal tolérées, l’efficacité de l’outil fiscal sur leur réduction n’est sans doute pas bien mesurée : on s’en méfie.
Enfin, la présentation caricaturale de tout effort fiscal en leur défaveur par les « libéraux » et les entrepreneurs, qui l’assimilent à une spoliation et agitent la menace de conséquence économiques désastreuses, rend difficile la recherche d’une meilleure justice fiscale qui utiliserait l’outil fiscal, même si l’on cherche à agir avec mesure et précaution. Comme le dit Terra nova, entre le déni du camp présidentiel (pas de fiscalité nouvelle sur les riches, l’économie en a besoin) et les propositions excessives de LFI, le statu quo a de beaux jours devant lui.
Pourquoi en définitive s’intéresser à la taxation des plus aisés, alors que les inégalités qui touchent l’éducation, le capital culturel, le logement ou les conditions de travail sont essentielles et peut-être plus aisées à traiter que la répartition des richesses ? Sans doute parce qu’elle symbolise l’absence d’équité, mais aussi parce que l’enrichissement continu des plus riches transforme les valeurs de notre société : on le voit quand un milliardaire comme B. Arnault, sans même comprendre l’indécence de son discours, dénonce l’augmentation des impôts qu’il va supporter et présente le Président Trump, qui ne croit qu’à l’argent et écrase les faibles avec cruauté, comme le symbole même du dynamisme d’un pays. L’attachement des riches à leurs privilèges éloigne de l’équité et altère le contrat social. On ne peut que s’en préoccuper, même s’il faut éviter une trop grande brutalité et bien communiquer sur les objectifs.
Pergama, le 23 juin 2025