Le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan (qui a réuni récemment France Stratégie et le poussiéreux Commissariat au plan) a publié une étude rapprochant la ressource et les besoins en eau sur le territoire en 2050, afin de mesurer les tensions qui pourraient apparaître à cet horizon.
La note s’appuie sur les projections d’évolution de la ressource en eau réalisées par une étude de l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et de l’Office international de l’eau, en ne s’intéressant toutefois qu’à l’eau de surface, qui concentre, il est vrai, 81 % des prélèvements. Elle applique une projection climatique du GIEC défavorable (+ 4 degrés en 2100), avec deux hypothèses contrastées, un printemps /été sec ou un printemps /été humide.
L’évolution de la demande d’eau est calculée en fonction de trois scénarios : un scénario tendanciel ; un scénario bizarrement intitulé « politiques publiques », où l’alimentation se modifie vers une consommation plus végétale, où la moitié des surfaces agricoles est exploitée avec des méthodes agroécologiques, où des retenues à usage agricole sont créées, où les centrales à énergie fossiles sont arrêtées et où les usages s’électrifient ; enfin un scénario de rupture, avec une forte diminution de la consommation de viande, où toutes les exploitations agricoles ont adopté des pratiques agroécologiques, où l’irrigation est régulée et où les usages résidentiels sont sobres.
Sur ces fondements, l’étude calcule des indices de tension, besoins des écosystèmes par rapport aux volumes d’eau disponibles, importance des prélèvements et des consommations (évaporation de l’eau lors des irrigations notamment) par rapport à ces mêmes volumes.
Les conclusions sont, comme on peut s’y attendre, très sombres.
Du seul fait des changements climatiques et sans tenir compte des prélèvements, les écosystèmes souffrent : ils sont en tension sévère en 2050 dans 90 % des bassins versants en été si l’année a été sèche mais restent en tension, même en année humide, plusieurs mois dans l’année dans certaines zones du sud-ouest et du sud.
La tension sur les prélèvements est considérée comme modérée si ceux-ci sont compris entre 20 % et 40 % des ressources, sévère au-delà. En 2050, de juin à septembre puis en novembre, environ la moitié du territoire serait en tension modérée ou sévère. Le pic serait atteint en août, où 88 % du territoire seraient touchés par une tension sévère dans le scénario tendanciel, 64 % dans le scénario de rupture. Le phénomène de « consommation » d’eau (perte liée à l’évaporation, forte en cas d’irrigation) accentuerait les tensions dans le sud-ouest.
L’étude cherche également à mesurer la dégradation dans le temps de la situation, sur le fondement du ratio entre l’évolution de la ressource et l’évolution des prélèvements de 2020 à 2050. Le scénario tendanciel dégrade la situation 10 mois sur 12 (y compris en hiver) dans 70 à 90 % des bassins versants. Seul le scénario de rupture limite la dégradation, sans l’empêcher toutefois puisqu’elle touche encore, plusieurs mois de l’année, de 40 à 50 % des bassins versants.
L’étude conclut qu’il est indispensable de planifier rapidement une transformation radicale de nos pratiques : elle appelle à protéger rapidement des écosystèmes fragiles pour les aider à mieux résister et à baisser les prélèvements, par des pratiques agricoles plus sobres.
Le statut d’une telle étude interpelle.
Le ministère en charge de l’environnement a déjà fait paraître, en 2022, une étude alarmante sur L’évolution de la ressource en eau renouvelable en France métropolitaine de 1990 à 2018 (DATALAB). Il en ressort que la ressource en provenance des eaux de pluie et des cours d’eau qui entrent sur le territoire a baissé de 14 % dans le laps de temps indiqué, de fait de pluies d’automne en diminution et d’une évaporation accrue. Une autre étude du même ministère souligne les tensions des périodes estivales et l’intensification des épisodes de restriction d’eau de 2012 à 2023. La Cour des comptes a également insisté dans un rapport de juillet 2023 sur l’urgence d’une politique publique de réduction planifiée des usages de l’eau.
Face à ces constats, le Plan eau 2023 élaboré par le gouvernement reste timoré, fixant des objectifs d’économie limités, tout en étant ambigu sur l’irrigation. Il ne s’oriente pas de manière claire ni en faveur de la sobriété ni sur l’évolution des pratiques agricoles. L’on n’a donc pas le sentiment d’une politique globale et cohérente, d’autant que, parallèlement les pouvoirs publics défendent les retenues d’eau agricole, dont on sait qu’elles ne profitent qu’à certains agriculteurs et ne les encouragent pas à changer leurs pratiques. La gouvernance de l’eau obéit à des intérêts économiques de court terme qui fragilisent une ressource appelée à devenir rare.
Récemment, une circulaire de F. Bayrou organise des conférences territoriales sur l’eau, avec des thématiques sur le partage de la ressource, la lutte contre la pollution de l’eau, les réformes à apporter à la gouvernance et l’anticipation des risques.
Il est tout à fait nécessaire d’élaborer des études et c’est bien de débattre : ce serait bien aussi d’agir.