Énergies renouvelables : la sottise de B. Retailleau et un gouvernement qui ne pilote plus rien

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Énergies renouvelables : la sottise de B. Retailleau et un gouvernement qui ne pilote plus rien

L’article de B. Retailleau et de ses amis, F-X Bellamy et J. Aubert, publié par le Figaro le 3 juillet 2025, qui plaide pour « rebâtir un parc nucléaire et stopper le financement des renouvelables », appelle deux réactions.

C’est d’abord l’ineptie de la proposition qui frappe, dès lors du moins que l’on vise la décarbonation de l’énergie, ce dont, peut-être, les trois responsables LR ne veulent pas. Mais la déclaration de B. Retailleau prend également place dans le contexte d’une offensive de l’extrême droite climatosceptique au Parlement, lors de laquelle le gouvernement s’est montré incapable de défendre ses propres choix, épisode presque plus inquiétant.

Premier point, la présence des énergies renouvelables dans le mix énergétique de demain.

A la demande du gouvernement, l’organisme RTE (une filiale d’EDF en charge d’ajuster la production et la consommation d’électricité et qui réalise des études sur les besoins d’électricité et d’énergie) a réalisé une étude, publiée en 2021, « Futurs énergétiques 2050 », sur les scénarios de mix énergétique permettant d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, afin de comparer leur coût et leur faisabilité. Les 6 scénarios proposés reposaient tous sur une combinaison variée entre énergies renouvelables et ancien ou futur nucléaire, sauf un, qui ne faisait appel qu’aux renouvelables. RTE jugeait ce dernier scénario plus difficile et plus coûteux, parce qu’il fallait mobiliser des moyens lourds pour assurer la sécurité d’approvisionnement. Pour les 5 autres scénarios, RTE insistait sur la nécessité de conjuguer nucléaire et renouvelables dans la production d’électricité, la proportion de 50-50 lui paraissant raisonnable. Cette solution impliquait à la fois un net effort de développement des renouvelables, une décision de prolongation des vieux réacteurs nucléaires et un engagement pas trop tardif du nouveau nucléaire, dans un contexte où la consommation d’électricité serait appelée à progresser nettement. RTE affirmait en effet avec force que même un parc nucléaire partiellement renouvelé ne pourrait assumer l’augmentation de la consommation électrique liée à l’abandon des énergies fossiles : si la production d’électricité est déjà largement décarbonée, ce n’est pas le cas de la consommation finale d’énergie, au sein de laquelle les énergies fossiles représentent encore 60 % en 2023.

Lors de l’actualisation de ce travail, en 2023, RTE a reconstruit un scénario qui parvenait à atteindre les objectifs fixés en 2030 et 2050 et qui mobilisait 4 leviers : amélioration de l’efficacité énergétique, sobriété, énergies renouvelables et nucléaire. RTE indiquait que les curseurs entre ces quatre facteurs pouvaient bouger mais qu’ils étaient tous quatre indispensables.

Les années récentes nous ont appris, au demeurant, que l’énergie nucléaire n’est pas si « pilotable » qu’on le croit : la production nucléaire a baissé dans la seconde moitié des années 2010 et, spectaculairement, en 2022, à cause de contraintes de corrosion qui se sont ajoutées au retard de maintenance dû à la crise sanitaire. Le parc vieillit et peut connaître des défaillances. Quant à la construction du « nouveau nucléaire », elle a déjà pris du retard (en mars 2025, la mise en service des 6 nouveau réacteurs prévus a été repoussée de 2035 à 2038), ce qui ne fait que renforcer la nécessité de jouer sur la complémentarité des énergies.

Face à ces réalités établies, l’article du Figaro apparaît comme un tissu de contrevérités, digne d’un post à la Trump : il évoque pêle-mêle une volonté sournoise de décroissance, le coût excessif des énergies renouvelables (le nucléaire est pourtant bien plus cher), la crainte du black-out, la volonté cachée de « substituer » les renouvelables au nucléaire. L’interview de F-X Bellamy à Public Sénat le 3 juillet visible sur You tube n’hésite devant rien : E. Macron veut « saper la filière nucléaire » et n’arrive pas à définir le « nouveau nucléaire » (le projet est là pourtant) ; la France « a l’énergie la plus décarbonée d’Europe » (c’est inexact) ; le black-out en Espagne a été créé par l’excès d’énergies intermittentes (le rapport récemment publié sur les causes de la panne espagnole incrimine des erreurs en cascade du régulateur et des producteurs d’énergie). Agnès Pannier-Runacher a raison : c’est du « populisme basique », fausses affirmations, allusions à un complot à déjouer, appel au retour à la raison face à des décisions déformées et présentées comme absurdes.

Mais B. Retailleau n’est pas le seul à avoir perdu du crédit dans cette affaire. Le gouvernement a en effet piloté la question de la programmation pluriannuelle de l’énergie de manière lamentable. Rappelons que ce document (dit PPE) doit être établi par la loi pour éclairer la population et le monde économique sur les choix d’avenir. Si les textes avaient été respectés, la PPE aurait dû être adoptée avant le 1er juillet 2023. Le gouvernement d’alors a négligé de le faire, parce que le Président Macron, peu accessible aux impératifs démocratiques, avait déjà tout décidé, et ce, n’en déplaise à F-X Bellamy, en faveur d’un « pilier » nucléaire futur dont il a défini les contours et qu’il a mis à l’étude. Embarrassé, le ministre de l’industrie R. Lescure a annoncé en avril 2024 que, pour des raisons d’efficacité et de rapidité, la PPE serait définie par décret. La dissolution a ensuite tout retardé et l’élaboration de la PPE s’est heurtée à des hésitations techniques. Enfin, en avril 2025, le gouvernement a annoncé que le document était prêt.

C’est alors que les ennuis ont commencé. Premier accroc, l’Académie des sciences, hostile depuis longtemps à la politique climatique du gouvernement, publie un avis peu favorable mais qu’il aurait fallu prendre au sérieux et réfuter : la PPE repose, dit-elle, sur une perspective de forte augmentation de la production d’électricité liée à une électrification des usages (mobilité, chauffage…), alors que la consommation électrique a décru depuis 2017, passant de 480 à 449 TWH. Prévoir d’accroître très fortement la production électrique sera peu utile dans l’avenir et risque plutôt de générer des coûts et des difficultés de régulation pour gérer l’excédent. L’Académie appelle à construire une projection plus réaliste et suggère « d’ajuster » (de réduire) la production des énergies renouvelables.

Parallèlement, les parlementaires ont exigé d’être associés aux choix de la PPE, demande légitime (le vote au Parlement est inscrit dans la loi) mais non anticipée : après un débat sans vote, F. Bayrou a accepté qu’une proposition de loi, déjà adoptée au Sénat, la proposition Grémillet, soit mise à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il a accepté la demande du RN d’en débattre avant la parution du décret relatif à la PPE, garantissant aux parlementaires que « toutes les positions seront prises en compte » (le dit-il par sottise ou par machiavélisme ?) et que « rien n’est écrit d’avance » (sur un document qui détaille des choix essentiels pour l’avenir, il vaut mieux pourtant avoir longuement réfléchi) : il indique d’ailleurs, dans le même discours, que la production nucléaire « doit être le socle de notre mix électrique ».  Il en profite aussi pour suggérer publiquement que la panne espagnole est liée à une part excessive de renouvelables. Comprend-il alors qu’il affaiblit l’action de son gouvernement en acceptant un débat mal préparé sur un texte contestable ?

Peut-on laisser une Assemblée sans majorité et largement aux mains d’extrémistes qui ne reculent pas devant le mensonge travailler en roue libre ? La suite en découle : sur le fondement de chiffres imaginaires (300 Mds pour le développement des énergies renouvelables), la droite et l’extrême droite ont ensemble inscrit dans la loi la suspension du développement des renouvelables. Réveil tardif, certains députés ont alors obtenu le rejet de la proposition et le texte est reparti au Sénat. C’est dans ce contexte supposé favorable à ses positions que l’article de B. Retailleau a été publié dans le Figaro.

Le gouvernement se déchire depuis lors publiquement, sous les yeux d’un Premier ministre bonhomme qui appelle ses ministres à s’exprimer « avec un tout petit peu plus de nuances », sans prendre parti, soit que le sujet l’indiffère, soit qu’il soit d’accord avec B. Retailleau, ce qui est le plus probable.

Au-delà de cette incompétence ou, peut-être, de cette lâcheté, un problème de fond se devine : la baisse de la consommation d’électricité depuis quelques années est indéniable, même si 2024 a marqué un sursaut. Elle est liée notamment (pas seulement) au retard de l’application des politiques publiques de décarbonation sur lesquelles repose le PPE, retard que le dernier rapport du Haut Conseil pour le climat dénonce en ce début du mois de juillet 2025. Face à ce retard, deux attitudes sont possibles : un choix gestionnaire, tel celui de la Présidente de la CRE (Commission de régulation de l’énergie) qui demande au gouvernement d’ajuster dans la PPE les prévisions de production d’électricité et de modérer le développement des énergies renouvelables ; un choix volontariste, celui des tenants de la transition énergétique, qui rappellent que le PPE n’est pas une prévision tendancielle mais un engagement politique à avancer vers des objectifs de décarbonation déjà adoptés et qu’il ne faut pas faiblir. Carbone 4, l’entreprise de conseil de J-M Jancovici, rappelle au demeurant, dans un article du 4 juillet (Programmation énergétique, après l’obscurité à l’Assemblée, on rallume la lumière ?), avec bon sens, que la surproduction d’électricité est gérable voire bénéfique (l’exportation rapporte, tout en empêchant nos voisins de mobiliser des centrales à énergies fossiles) et qu’à terme, si on peut sans doute recalibrer quelque peu le développement des renouvelables, il faut éviter de fragiliser une filière dont on aura besoin pour la décarbonation. La transition énergétique imposera de toute façon tôt ou tard une augmentation de la consommation d’électricité avec la décarbonation des transports et du chauffage. Le choix volontariste est, de fait, sans doute le bon, quitte à accepter quelques ajustements limités pour que le nouveau PPE se raccorde mieux à la réalité d’aujourd’hui.

L’épisode doit toutefois servir d’alerte, sur plusieurs plans : la montée des climatosceptiques en France parmi les élus est nette, inquiétante, et il faut la combattre avec fermeté, alors que le Premier ministre, à l’inverse, est devenu le symbole de l’affaissement du pays devant ce type d’opinions. Pour autant, les documents de programmation doivent être considérés sérieusement : il est temps que les PPE et, surtout, les objectifs de la stratégie bas carbone qui sous-tendent cette programmation énergétique,  soient élaborés et appliqués avec rigueur. En bref, si le PPE va vers la transition énergétique, il faut effectivement y aller et pas faire semblant, comme on le fait aujourd’hui, sinon, de fait, le PPE n’aura plus de crédibilité.

7 Juillet 2025