Le 26 juin 2025, la France a été condamnée par la CEDH pour contrôle discriminatoire effectué en 2011 et 2012 (la justice avance lentement) à l’égard d’un Français, contrôlé 3 fois en 10 jours sans justification. En revanche, les 5 autres personnes qui se plaignaient également d’avoir été victimes de tels contrôles ont vu leur requête rejetée. Tous les plaignants étaient d’origine africaine.
Il faut lire l’arrêt de la Cour, très instructif. Tous les plaignants ont d’abord demandé aux autorités françaises de justifier du contrôle effectué, sans réponse. Pour les 5 plaintes rejetées, la Cour reconnaît que les contrôles litigieux n’ont donné lieu à la rédaction d’aucun procès-verbal, n’ont pas été enregistrés, pas plus qu’ils n’ont fait l’objet d’un récépissé. Mais elle note que les requérants « ont failli à apporter un faisceau d’indices suffisamment graves, précis et concordants démontrant une différence de traitement ». La Cour suit ainsi sans état d’âme la jurisprudence de la Cour de cassation française, laquelle considère que la personne qui a fait l’objet d’un contrôle d’identité et qui saisit le tribunal doit apporter au juge des éléments qui laissent présumer l’existence d’une discrimination ; si elle ne peut le faire, sa demande est rejetée. Si elle le fait, la charge de la preuve rebascule vers l’administration, qui doit démontrer soit l’absence de discrimination, soit une différence de traitement justifiée par des éléments objectifs.
En l’occurrence, les 5 personnes déboutées n’avaient rien pour prouver le caractère discriminatoire du contrôle, que leur propre témoignage ou ceux des personnes qui les accompagnaient. En outre, dans leur cas, il existait le plus souvent une réquisition du procureur de la République, parfois un peu ancienne, qui autorisait des contrôles d’identité sur le fondement de l’article 78-2 alinéa 2 du code de procédure pénale (CPP), pour rechercher, dans la ville où ils ont été contrôlés, « les auteurs de certaines infractions ». Les procureurs étant très actifs dans la délivrance de ces autorisations larges, floues et répétitives, le contrôle policier, discriminatoire ou pas, est donc fréquemment fondé en droit. Dans les cas où il n’existait pas de réquisitions du Procureur, les services ont fait valoir des renseignements de police visant des infractions qui auraient été commises dans un rayon proche par des maghrébins ou des noirs. Dans ces conditions, les dispositions du Code sur les contrôles préventifs ou d’ordre public permettent de justifier le contrôle.
La « chance » de la seule personne, sur les 6 plaignants, reconnue victime de contrôles discriminatoires tient à plusieurs faits : d’abord elle a subi 3 contrôles en 10 jours, dont deux couverts par des réquisitions du Procureur mais un que la police ne peut expliquer. Le doute s’installe. Deuxième chance, un homme (blanc), qui dînait dans un restaurant proche, a vu la scène et accepté de témoigner, sans doute choqué parce que le plaignant a été giflé et insulté pour son obésité. La Cour déclare alors gravement que, bien que le requérant n’ait pas pu « établir une comparaison avec un autre groupe qui aurait été traité différemment de lui », il y avait bien là un faisceau d’indices. Certes, il aurait été préférable que ce citoyen contrôlé ait pu disposer d’un groupe de comparaison, comme dans les expériences scientifiques, mais enfin, comme l’État ne parvient pas à justifier ce contrôle, la Cour conclut qu’il y a bien eu discrimination.
Cependant, la Cour refuse d’aller plus loin. Les plaignants invoquaient l’article 13 de la Convention et se plaignaient de ne pas avoir disposé d’un recours effectif devant les juridictions internes, qui les ont déboutés. La Cour note que la loi française en matière de contrôle d’identité ne prévoit aucune obligation de traçabilité et reconnaît que cette situation constitue une entrave au contrôle juridictionnel, « susceptible de priver la personne concernée de la possibilité de contester utilement la mesure en cause et son caractère éventuellement discriminatoire ». Mais, après ce petit moment de lucidité, elle note que les juridictions françaises ont aménagé alors la charge de la preuve, puisque le plaignant doit fournir « un commencement de preuve de différence de traitement pouvant être rapporté par un faisceau de circonstances graves, précises et concordantes ». En fait, cet « aménagement » de la preuve est une exigence : c’est au plaignant d’apporter la preuve d’une discrimination, de manière précise, alors qu’il n’y a souvent sans trace ni témoin.
La Cour reconnaît toutefois avoir examiné le cas qui lui était soumis au regard des « rapports et données statistiques officiels dénonçant l’existence de cas de profilage racial dans les contrôles d’identité en France ». Quelle leçon tire-t-elle de cette lecture ? On ne sait. En tout cas, elle n’en a pas conclu que le droit français des contrôles de police n’était pas suffisamment exigeant pour empêcher les discriminations.
Le Défenseur des droits a publié en juin 2025 un rapport sur les contrôles policiers. De 2016 à 2024, ils ont beaucoup augmenté. 26 % de la population de France métropolitaine ont été contrôlés au moins une fois sur les 5 dernières années en 2024, contre 16 % en 2016. En 2016, les contrôles répétés étaient plus fréquents que les contrôles uniques : 6 % de la population déclaraient avoir été contrôlés une seule fois et 10 % à plusieurs reprises. Ce constat reste vrai aujourd’hui : 11 % de la population ont été contrôlés une seule fois sur les 5 dernières années et 15 % plusieurs fois. Enfin, les jeunes hommes perçus comme noirs, arabes ou maghrébins ont 4 fois plus de risque de faire l’objet d’au moins un contrôle d’identité que le reste de la population. Quand la personne veut porter plainte parce que le contrôle s’est mal passé, il arrive qu’elle en soit empêchée.
L’opinion publique n’est pas aveugle. Elle sait que des contrôles discriminatoires existent : 44 % de la population pensent que des personnes sont « souvent » traitées de façons inégalitaire ou discriminatoire lors d’un contrôle de police, 46 % pensent que cela arrive « parfois » et seulement 10% « jamais ». L’exemplarité de l’État en souffre, l’image de la police aussi mais, à lire l’arrêt de la CEDH, il vaut mieux ne pas perdre son temps à porter plainte.
7 juillet 2025