L’Insee (Insee première, n° 2068, juillet 2025) a étudié, sur le fondement des enquêtes Emploi de 2023 et de 2024, l’ascension sociale intergénérationnelle, chez les salariés et les indépendants âgés de 35 à 59 ans, en emploi ou ayant déjà travaillé et dont au moins un des deux parents a lui-même travaillé. La comparaison entre parents et enfants se fait non pas par catégorie professionnelle mais par « classe d’emploi ». La nomenclature des classes d’emploi est plus fine que celle des CSP tout en étant aussi plus simple : en tenant compte de la CSP mais aussi du diplôme, de la position occupée et de la rémunération, elle repose sur une hiérarchie des salariés ou des indépendants à 4 niveaux, niveau supérieur, intermédiaire, travail d’exécution qualifié et peu qualifié. Sur ce fondement, l’Insee mesure le changement de statut entre générations (le passage du statut de salarié à indépendant ou l’inverse) mais surtout la mobilité sociale, ascendante, descendante ou inexistante, entre les filles et leur mère et entre les fils et leur père. Salariées et indépendantes confondues, la mobilité sociale ascendante des filles concerne 48,1 % d’entre elles, la mobilité descendante 17,8 % et l’immobilité de niveau d’emploi 34,2 %. Pour les hommes, la mobilité sociale ascendante est moins forte, 39,2 %, la mobilité sociale descendante un peu plus (23,8 %), de même que l’immobilité de niveau d’emploi (37 %).
L’Insee avait précédemment étudié, en 2015, la mobilité sociale des femmes et des hommes par rapport au parent de même sexe, par catégorie socioprofessionnelle (Insee première, n° 1739, février 2019), en la comparant à celle de 1977 : pour autant, les chiffres obtenus alors ne sont pas directement comparables à l’étude de 2025 puisqu’ils mêlaient la mobilité dite « verticale » et la mobilité dite « de statut », notamment entre salariés et non- salariés.
Ce qui frappe dans l’étude de 2025, c’est que l’assignation à l’immobilité sociale que l’on suspecte si souvent ne semble pas vérifiée, au moins pour les générations insérées aujourd’hui dans l’activité. L’ampleur de la mobilité ascendante ou descendante est frappante : certes, un gros tiers des femmes et des hommes restent dans la même classe d’emploi que leur parent de même sexe. Les autres montent socialement (plus les femmes que les hommes) davantage qu’ils ne baissent (les hommes sont plus souvent que les femmes dans ce cas). Le résultat traduit bien évidemment l’évolution du positionnement des femmes par rapport une génération où l’ascension sociale des femmes par le travail était moindre. Par rapport à leur père, l’évolution sociale ascendante des femmes reste d’ailleurs nette mais elle est moindre (34 %). L’étude note par ailleurs que l’ascension sociale des salariés a été facilitée par l’évolution d’ensemble des emplois, devenus plus qualifiés, et que la mobilité ascendante est plus fréquente chez les salariés que chez les indépendants (particulièrement chez les micro-entrepreneurs). Enfin, par rapport aux personnes sans ascendance migratoire directe, les descendants d’immigrés ont un peu plus de chances d’avoir une mobilité ascendante, contrairement aux immigrés qui en ont près de 2 fois moins : certaines catégories restent « assignées » à une faible mobilité ascendante, d’autres au contraire sont « boostées », sans doute parce que le statut social de leurs parents a été en partie contraint par l’immigration.
Il resterait à concilier cette étude avec celles qui mesurent la mobilité sociale sur un critère différent, l’évolution des revenus entre générations. En 2018, une étude de l’OCDE (L’ascenseur social en panne ?) a marqué les esprits, en dénonçant les faibles chances de progresser socialement dans plusieurs pays de l’OCDE, en particulier en France : selon l’OCDE, pour un enfant français né au bas de l’échelle, il fallait 6 générations pour atteindre le revenu moyen. La chef économiste de l’OCDE, Laurence Boone, évoquait alors le déterminisme social de la France (le plus fort après la Hongrie) et mettait en cause l’école, qui perpétue les disparités sociales, évoquant notamment le résultat des enquêtes PISA qui montre que, en France plus qu’ailleurs, les résultats des élèves français sont liés à leur origine sociale.
Ce diagnostic sombre a toutefois été contesté : une note très intéressante de France-stratégie de 2020 (Que sait-on de la mobilité sociale en France ?) souligne que, s’agissant de la mobilité intergénérationnelle sur le critère des revenus, les conclusions des études sont diverses et parfois contradictoires, surtout quand elles entendent comparer les pays entre eux. D’autres travaux de l’OCDE aboutissent au demeurant à des conclusions plus nuancées. La conviction de France-stratégie est que, en France, l’origine sociale joue mais ne détermine pas les destins et que c’est la mobilité sociale, ascendante ou descendante, qui domine. Il est indéniable, dit la note, que les chances d’accès à un revenu élevé varient en fonction de l’origine sociale : elle publie d’ailleurs un graphique, provenant d’une étude de 2018, qui répartit les enfants de cadres, d’employés et d’ouvriers dans les déciles de niveaux de vie. 4 % des enfants de cadres se retrouvent dans les 10 % les moins aisés alors que c’est le cas de 18 % des enfants d’ouvriers. Pour autant, France-stratégie ne retient pas un déterminisme mécanique. Au terme d’une revue des études existantes, l’organisme conclut que la France ne fait certes pas partie du groupe des bons élèves de la mobilité sociale, formé par les pays scandinaves, mais qu’il est difficile d’en faire pour autant un mauvais élève, même si cette conviction est ancrée dans la population : la France sous-estimerait la mobilité sociale des enfants modestes, alors que le pays le plus inégalitaire qui soit, les États-Unis, surestimerait la sienne.
C’est plus ou moins la conclusion que l’on peut tirer d’une étude postérieure de l’Insee (Une nouvelle mesure de la mobilité intergénérationnelle des revenus en France, Insee-Analyses, n° 73, mai 2022). L’étude montre que les éléments qui pèsent sur les destins existent : les enfants de familles aisées ont trois fois plus de chances d’être parmi les 20 % les plus aisés que ceux issus de familles modestes. Cependant, en 2018, parmi les jeunes issus des familles appartenant aux 20 % les plus modestes, 31 % resteront dans ce premier cinquième des revenus mais 12 % seront classés dans les 20 % les plus aisés. Inversement, 34 % des jeunes dont les parents relevaient des 20 % les plus aisés resteront dans cette tranche mais 15 % descendront dans les 20 % les plus bas. Il y a donc des plafonds et des planchers « collants » (l’expression est de l’Insee) mais aussi des personnes qui s’en décollent, à la hausse ou à la baisse. Il est vrai que des facteurs ont joué en leur faveur ou leur défaveur et qu’il ne s’agit pas seulement de « mérite » : l’ascension sociale d’un enfant né dans une famille à faible revenu, dit l’Insee, est d’autant plus aisée que les parents sont diplômés du supérieur, ou ont un patrimoine, ou sont immigrés, ou ont été géographiquement mobiles, ou que les enfants résident en Ile-de-France à leur majorité. En revanche, être une femme, avoir vécu dans une famille monoparentale, être issu d’un milieu ouvrier et avoir été élevée dans les Hauts de France sont des facteurs qui la réduisent.
En définitive, les inégalités se reproduisent mais en partie seulement : l’ascension sociale existe, elle est même forte et le déterminisme est loin d’être absolu.