L’Assemblée générale de l’ONU a adopté le 12 septembre, à une écrasante majorité (142 voix pour, 10 contre, 12 abstentions), une résolution présentée par la France et l’Arabie Saoudite en faveur de la création au Proche Orient de deux États, Israël et la Palestine. La déclaration condamne à la fois les attaques du Hamas et celles de l’État d’Israël contre les civils. Pour répondre aux critiques qui soulignent le peu d’effet d’une déclaration de principe, la résolution a de faux airs de « feuille de route » : intervention d’un cessez-le-feu, mise en place d’une mission de l’ONU pour en surveiller l’effectivité et protéger les populations civiles, désarmement du Hamas, installation, sous l’égide de l’autorité palestinienne, d’un Comité administratif transitoire à Gaza et négociation d’un accord de paix. Parmi les pays qui se sont opposés à cette résolution figurent, outre Israël, les États-Unis, l’Argentine, la Hongrie et le Paraguay, tous pays conservateurs, libéraux ou « illibéraux ». Le vote témoigne au moins de leur isolement sur le plan mondial, même si, sans doute, ils n’en ont cure.
Parallèlement, le Parlement de l’Union européenne a adopté une résolution mais moins nette, « envisageant de reconnaître l’état palestinien », lors d’un vote partagé marqué par un débat interminable sur les mots « actions génocidaires », qui ont finalement été retirés : 305 voix pour, 151 contre et 122 abstentions. Au Parlement européen, le débat sur la réalité du génocide mobilise davantage que la compassion et le respect du droit international : génocide ou pas, un peuple souffre de manière cruelle et il faudrait bien tenter de l’aider.
Et maintenant, quoi ?
Tout ce qui est aujourd’hui prévu, c’est une conférence aux Nations-Unis sur la solution à deux États, coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, qui aura lieu le 22 septembre, au cours de laquelle plusieurs pays reconnaîtront l’État de Palestine. C’est une lueur d’espoir, disent les diplomates. Mais en réalité, aucun espoir n’est en vue aujourd’hui.
En théorie, les résolutions de l’Assemblée générale ne sont pas contraignantes mais de toute façon, cela fait belle lurette que même les résolutions du Conseil de sécurité, qui le sont en théorie, restent lettre morte quand elles concernent Israël, notamment celle du 22 novembre 1967 condamnant l’acquisition de territoires par la guerre et demandant le retrait d’Israël des territoires occupés. Au demeurant, en 1949, lors de son adhésion à l’ONU, Israël a pris l’engagement de respecter les résolutions de cette organisation et, en particulier, celle du 29 novembre 1947 sur le partage entre un état juif et un état arabe et celle du 11 décembre 1948 demandant à Israël de laisser les Palestiniens rentrer chez eux ou de les indemniser s’ils ne voulaient pas revenir. Ces résolutions, restées lettre morte, sont pourtant opposables à Israël et, si la Cour internationale de justice en avait été saisie, elle aurait pu le condamner. Peu importe au demeurant là aussi : Israël n’applique pas non plus les récentes ordonnances de la CIJ lui ordonnant de prendre des mesures pour protéger les civils de Gaza et d’arrêter, dans certains cas, ses opérations militaires, pas plus qu’il n’a pris en considération l’avis de 2004 de la CIJ sur le caractère illicite de la construction d’un mur empiétant sur les territoires occupés ou celui de 2024 indiquant le caractère illégal de l’occupation de la Palestine comme des discriminations exercées à l’encontre de la population palestinienne.
Un tel passé pèse lourdement sur la crédibilité de la communauté internationale, qui a fermé les yeux depuis 75 ans sur le refus du droit international par Israël et sur son traitement illégal de la question palestinienne. L’on entend aujourd’hui que le droit international a de plus en plus de mal à s’appliquer : la situation en réalité est ancienne. Les pays occidentaux, si prompts à mettre en avant leurs valeurs, n’ont jamais réagi autrement que par des condamnations de principe. Il est vrai que les Palestiniens ont rarement bien plaidé leur cause : ils se sont divisés en factions qui se sont violemment combattues et l’Autorité Palestinienne, repliée en Cisjordanie, a perdu peu à peu toute légitimité politique, enfoncée dans la corruption et le népotisme.
La situation à Gaza aurait dû changer la donne, ne serait-ce que pour des raisons humanitaires : or, l’Union européenne est aujourd’hui incapable de se décider à rompre l’accord d’association qu’elle a conclu avec Israël, ou même simplement de menacer de ne pas l’appliquer intégralement si la guerre continue, alors même qu’une des conditions posées par cet accord est le respect des droits humains et de la démocratie. La guerre continue donc.
Quant aux Etats-Unis, D. Trump est en cause (la référence à la construction d’une Riviera à Gaza est une horreur) mais pas seulement : son prédécesseur, J.Biden, paralysé par la crainte d’un vote juif défavorable mais aussi par l’importance des évangélistes sionistes qui ont toujours plaidé pour un retour des juifs en Israël, n’a ni protesté ni appelé à la modération lorsque la réplique israélienne aux exactions du Hamas a, au fur et à mesure que la guerre durait, pris de plus en plus pour cible les civils palestiniens. J. Biden n’est pas non plus revenu sur la décision de son prédécesseur de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, en y intégrant des territoires occupés. K. Harris a prononcé quelques phrases isolées sur la souffrance des palestiniens mais jamais les États-Unis n’ont cessé de fournir des armes à Israël et de le soutenir.
Quant aux pays arabes, ils ont longtemps oublié les Palestiniens : l’ouvrage de J-P Filiu, (Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné, seuil 2024) montre que leurs réticences à les soutenir ont commencé très tôt, dès 1936 et dès 1949 : ce n’est d’ailleurs qu’en 2002 qu’un sommet arabe adopte une résolution en faveur de deux États, à un moment où cette prise de position n’avait déjà plus efficacité. Plusieurs pays arabes se sont ensuite rapprochés d’Israël. Aujourd’hui, l’Arabie saoudite ou le Qatar s’irriteront-ils, malgré leur alliance avec les États-Unis, des méthodes hégémoniques et belliqueuses d’Israël ? Ce n’est même pas certain.
Aujourd’hui, Israël, qui abandonne désormais le langage diplomatique pour celui de la force (« Cette terre est nôtre ») s’efforce de rendre impossible le maintien des Palestiniens sur les quelques lambeaux sur lesquels ils survivent, sans doute pas très longtemps encore.
Pour autant, sur le court terme, pour répondre à l’urgence, ni Israël ni les États-Unis ne dévient de leur choix de guerre et d’annexion, aucun chemin ne s’ouvre, même vers une simple trêve et même vers la reprise de l’aide humanitaire. La population de Gaza est décimée, l’armée tire sur les civils qui viennent chercher de la nourriture, les immeubles et maisons qui restaient debout sont bombardés, l’agonie d’un peuple a commencé et elle sera longue. En Cisjordanie, la colonisation s’étend, la brutalité des colons s’exerce impunément : là aussi, on constate l’insupportable.
La mythologie grecque raconte que les hommes qui font preuve d’orgueil et de démesure (l’ubris) rencontrent un jour ou l’autre, sur leur route, Moïra (le destin), qui leur envoie échec et infortune pour leur rappeler leur condition d’hommes, appelés à rencontrer leur lot de fortune mais aussi de malheur. Pour l’instant, nul ne barre la route aux dirigeants d’Israël saisis de l’ivresse de la force et de la conquête. J-P Filiu, dans ses ouvrages, présente la solution à deux états comme la seule « gagnant-gagnant », toute autre relevant du « perdant-perdant ». Aujourd’hui, le perdant-perdant se profile, sauf que l’un des deux peuples est en train de mourir tandis que l’autre n’a pas encore compris les conséquences économiques et politiques de cette guerre insupportable qu’il lui faudra bien pourtant, tôt ou tard, assumer.