L’ancien Premier ministre F. Bayrou n’avait pas oublié, dans sa présentation, en juillet dernier, des efforts à faire lors du vote du budget de l’État pour 2026, celui des collectivités territoriales. Il prévoyait alors une « contribution » de celles-ci, à hauteur de 5,3 Mds, contre 2,2 Mds en 2025, avec plusieurs mesures : la reconduction d’un mécanisme de lissage conjoncturel des recettes fiscales mis en place en 2025, qui a consisté, cette année-là, à opérer un prélèvement sur les recettes des collectivités pour alimenter un fonds de réserve destiné à leur être redistribué sur les trois années ultérieures ; ensuite la « régulation » (c’est-à-dire la baisse) des dotations de l’État : ainsi l’État compenserait moins la baisse des valeurs locatives des locaux industriels utilisées désormais pour le calcul des contributions foncières (la baisse avait été décidée en 2021 dans le cadre de la baisse des impôts de production dus par les entreprises, baisse décidée par l’État). L’État « régulerait » de même le montant de TVA attribué aux collectivités pour compenser la suppression de la taxe d’habitation et réduirait son aide à l’investissement local. L’objectif de ces mesures était, selon F. Bayrou, que les dépenses des collectivités ne progressent pas plus vite que les ressources du pays.
Les élus territoriaux ont alors vivement réagi, protestant d’autant plus vigoureusement que le Comité des finances locales a expliqué qu’en ajoutant à ces moindres recettes les économies prévues sur des lignes du budget de l’État qui bénéficient aux collectivités (dépenses pour l’Outre-mer ou crédits de la mission « Cohésion des territoires ») ainsi que la hausse des cotisations à la caisse de retraites des personnels des collectivités, la ponction d’ensemble passait à 10 Mds.
Il est probable que le nouveau gouvernement reprendra certaines de ces mesures pour faire participer les collectivités à l’effort d’ensemble.
Un tel projet pose plusieurs problèmes : les élus soulignent volontiers le risque qui pèsera sur l’investissement local, qui représente environ 70 % de l’investissement public, sachant toutefois que 2026 est une année électorale, au moins pour les communes, et que les dépenses d’investissement sont souvent engagées un peu plus tard dans le mandat.
Reste une seconde interrogation : les collectivités peuvent-elles supporter un prélèvement de ce type ? Selon le dernier rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques locales (juin 2025), la situation d’ensemble est bonne mais elle est très différente selon les collectivités. L’ensemble communal se porte bien mais le nombre de communes ayant une épargne nette négative après remboursement des emprunts (et qui sont donc dans une situation tendue) augmente (15 % sont dans ce cas). La situation financière des régions, là aussi globalement bonne, s’érode. Mais ce sont surtout les départements qui sont parfois en situation difficile : leurs dépenses, notamment leurs dépenses sociales, augmentent bien plus que leurs recettes dont certaines (les droits de mutation à titre onéreux) baissent fortement à cause d’un marché immobilier morose. La Cour a toujours souligné que, pour ces collectivités, les recettes n’étaient pas adaptées aux charges, d’autant que le montant des dépenses sociales par habitant est très diversifié selon les endroits et que ce ne sont pas les départements qui supportent le plus de charges qui ont le plus de recettes. En 2024, les dépenses d’investissement des départements sont à la baisse et certains d’entre eux s’efforcent de limiter leur contribution aux établissements médico-sociaux qu’ils ont mission de financer. La Cour considère que, selon les critères retenus, le nombre de départements en situation de grande fragilité se situe entre 12 et 30. Le gouvernement Bayrou envisageait un fonds de 300 millions pour aider les collectivités en difficultés mais cet appui ne suffira pas, d’autant que le déséquilibre est, pour certains départements, structurel.
Localement, la ponction 2026 de l’État, si elle est à nouveau décidée, soulèvera des difficultés. Pour autant, la Cour ne met pas en cause la nécessité que les collectivités contribuent au redressement des finances publiques, alors même que, compte tenu des disparités constatées, certaines souffriront plus que d’autres.
La troisième question est davantage une question de principe. Outre le fait que le déficit des collectivités est un déficit d’investissement et non pas de fonctionnement (comme c’est le cas pour le déficit de l’État ou des régimes sociaux), ce qui en change fondamentalement la nature, d’autant que les prêts sont remboursés, il est frappant de constater que ce sont les récentes baisses d’impôt décidées par l’État qui permettent à celui-ci de ponctionner les collectivités. L’État a ainsi supprimé la taxe d’habitation (recette fiscale des collectivités) et a compensé cette perte de recettes par une part de TVA. Et puis il gèle ou baisse cette dotation de compensation. L’État a ensuite baissé les impôts fonciers des entreprises industrielles au nom de sa politique de l’offre et compensé la perte pour les collectivités par une dotation. Et puis, quelques années après, il baisse cette dotation pour réaliser des économies. Est-ce normal que la parole de l’État ne soit pas tenue ?
La première décentralisation, en 1982, reposait sur un partage des compétences et des financements, chacun, dans son champ propre, ayant mission d’exercer sa responsabilité financière. Depuis 10 à 15 ans, tout se brouille et l’État impose des baisses de dotations ou des plafonds de dépenses : il traite les collectivités comme des établissements publics non autonomes, d’autant plus aisément qu’il a remplacé leurs ressources fiscales propres par des dotations ou des impôts affectés. La notion de décentralisation est-elle alors crédible ? Sans doute non.