Le journal Le Monde a publié le 16 octobre dernier une analyse de l’arrêt rendu le 7 juillet dernier par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République.
En juillet, lorsque l’arrêt a été rendu, la presse ne s’était guère intéressée qu’au non-lieu prononcé à l’égard des responsables politiques ayant fait l’objet de plaintes, Agnès Buzyn, Olivier Véran (ministres successifs de la santé) et Edouard Philippe (alors Premier ministre).
Pour mémoire, rappelons que les plaintes pour mise en danger de la vie d’autrui ne pouvaient être retenues, le Code Pénal imposant pour y donner suite « la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement », ce qui n’était pas le cas puisque les ministres n’ont pas, aux termes des textes, de consignes spécifiques à suivre en cas de crise que l’on pourrait leur reprocher d’avoir négligées. L’on ne pouvait par ailleurs leur reprocher l’abstention volontaire de combattre un sinistre, compte tenu des initiatives prises, même si elles ont pu parfois être jugées tardives.
L’intérêt de l’arrêt, tel que synthétisé dans le remarquable article du Monde de G. Davet et F. Lhomme (https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/10/16/covid-19-le-document-judiciaire-qui-critique-la-gestion-du-gouvernement_6647097_823448.html) est au demeurant ailleurs. Il est dans le regard précis, documenté et extrêmement sévère porté sur la gestion du COVID par les responsables politiques : on a le sentiment de lire une mise en accusation argumentée et imparable de toute une équipe qui a continûment trompé son monde. Les ministres et les équipes qui les entouraient sont explicitement accusés d’avoir menti lors de leurs témoignages, soit pour couvrir leur retard à prendre des décisions qui s’imposaient, soit pour dissimuler l’impréparation du pays et le manque d’anticipation des épidémies. Par ailleurs, rien ne peut expliquer l’inexplicable, à savoir la décision de restreindre l’accès des personnes âgées à l’hospitalisation sans pour autant s’assurer qu’elles seraient suffisamment protégées et bien soignées dans leur EHPAD.
Première critique acerbe, le retard à prendre conscience de la gravité de la situation, soit désinvolture, soit incompétence, soit, plus probablement, volonté de ne pas alerter l’opinion en espérant, contre tout bon sens, que la France serait au moins relativement épargnée. Depuis Noël 2019, la ministre A. Buzyn avait connaissance de l’existence du virus en Chine. Or, jusqu’à fin janvier /début février, alors que, en matière d’épidémie, la rapidité de réaction est essentielle, la France ne bouge pas, minimise et les experts parlent d’une grippe. Les dirigeants ont toujours expliqué cette inaction par l’absence de renseignements transmis par la Chine. La commission d’enquête prouve au contraire que la Chine a transmis des alertes précises et détaillées : « Il n’est pas possible d’évoquer une absence d’information des autorités chinoises ou une impossibilité pour les autorités françaises d’en disposer », dit-elle, les autorités chinoises ayant averti du caractère mortel du virus dès décembre 2019 et, début janvier, évoquant une épidémie. Le trafic aérien avec la Chine n’a pas cessé pour autant : la seule décision a été de distribuer aux passagers une courte information. Ce n’est d’ailleurs que le 11 janvier 2020 qu’A. Buzyn avertit le Premier ministre et le Président, encore est-ce par SMS, de manière non officielle et non argumentée. Les jours suivants, la situation se dégrade en Italie avec une transmission au quai d’Orsay d’une alerte par l’ambassade de France : E.Philippe dit qu’il n’en a rien su. Courant janvier, les alertes internationales s’accumulent les unes sur les autres, venant de scientifiques, d’organismes de santé, de gouvernements. Mais les responsables français ne lisent rien, ne savent pas, ne sont pas informés. Ce n’est que le 23 février que le dispositif ORSAN-REB est déclenché par le ministère de la santé, dispositif sur lequel, le 20 juin, la ministre de la santé se renseigne juste avant son audition par les députés : elle demande à ses services ce qu’est ce dispositif qu’elle ne connaissait pas.
Vient ensuite la question des masques, dont le port est recommandé depuis le 15 janvier par les autorités chinoises. A. Buzyn prétend que tous les avis qu’elle a lus lui affirmaient qu’ils n’étaient utiles que pour les malades et les soignants. Les autorités savaient pourtant les masques indispensables pour les personnes risquant d’être en contact avec un malade, tout simplement parce que c’est une vérité établie dans les épidémies de ce genre (virus transmis par voie respiratoire). Parce qu’ils manquaient, elles ont prétendu qu’ils n’étaient pas utiles. Comme par hasard, tous les échanges sur Télégram entre la ministre de la santé et le directeur de la santé ont été effacés entre le 13 septembre 2019 et le 11 avril 2020. « Les recommandations en France sur le port du masque ont été en début de pandémie dictées en grande partie par [leur] indisponibilité. » E. Philippe affirmera devant la Commission que « porter un masque en population générale, ça ne sert à rien » et refusera d’admettre qu’il a menti aux Français quand il a utilisé cet argument. A. Buzyn a déclaré par ailleurs ne jamais avoir été alertée sur la pénurie de masques en stock, à la différence de tous ses prédécesseurs qui reconnaissent en avoir été avertis. Elle affirme que ce n’était pas du niveau d’un ministre que de surveiller les stocks.
De toute façon, les soignants eux-mêmes ont manqué de tout : masques chirurgicaux, lunettes, chaussures, blouses et surblouses : « Il n’a jamais été reproché à Mme Buzyn une abstention totale dans l’action, mais des manquements graves dans la préparation d’une réponse efficace à une crise sanitaire », dit la note de la Commission d’instruction. Quant à E. Philippe, la Commission souligne son ignorance sur certains aspects des pandémies, notamment le caractère exponentiel des contaminations, et indique qu’il se défausse systématiquement sur ses subordonnés quand on lui reproche une décision.
La décision d’écarter de l’hospitalisation les résidents des EHPAD relève d’O. Véran, le successeur d’A. Buzyn, partie faire campagne aux municipales de Paris quelques jours après le déclenchement officiel de la pandémie. Mais ni A. Buzyn ni O. Véran n’ont pris de mesures spécifiques concernant les EHPAD, où les résidents ont été confinés sans avoir accès aux soins nécessaires, ce qui explique le nombre important de décès qui y ont eu lieu alors, parfois dans des conditions inhumaines.
La Commission avance d’autres accusations sur la suite, notamment la connivence entre les ministres et certains membres des commissions d’enquête qui les avertissent des questions qui les attendent et leur transmettent des projets de conclusions en acceptant les modifications. De fait, après la première vague, les rapports défavorables s’accumulent sur la gestion de la pandémie. Mais personne ne se préoccupe vraiment d’en tirer les leçons. La Commission note ainsi qu’il n’existe, des années plus tard, aucun document qui permette de s’assurer que les recommandations de la commission Pitet, en charge d’améliorer la gestion des épidémies futures, aient été le moins du monde prises en compte aujourd’hui par les autorités sanitaires.
En définitive, s’il n’est pas établi que les responsables incriminés aient eu la volonté de ne pas agir, si sur le plan pénal, ils ne peuvent être poursuivis pour négligence et mise en danger de la vie d’autrui, la Commission note que « La capacité des femmes et hommes politiques à s’excuser, en comparaison des pays voisins, a donné lieu à des interrogations. » En bref, les responsables ont, aux débuts de l’épidémie, menti au pays et ensuite, pour se défausser, ils ont arrangé la vérité devant la Commission, sans jamais reconnaître la moindre responsabilité dans les errements constatés, alors qu’ils portent une lourde responsabilité morale par les retards pris, l’absence d’anticipation, l’inefficacité de leur gestion. En ce mois d’octobre 2025, l’on souligne que la méfiance de la population à l’égard des dirigeants n’a cessé d’augmenter. La gestion du COVID y a sans doute un peu contribué…