Accès aux préfectures : le droit bafoué des travailleurs étrangers

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Accès aux préfectures : le droit bafoué des travailleurs étrangers

Amnesty international a publié, le 5 novembre dernier, un rapport (A la merci d’un papier, quand l’État français fabrique la précarité des travailleurs étrangers) qui dénonce l’incapacité des préfectures à traiter à temps les demandes de renouvellement des cartes de séjour temporaires accordées aux étrangers. Cette carence des services de l’État, manifestement liée à une insuffisance délibérée des moyens affectés aux services préfectoraux en charge de la délivrance des titres, a des conséquences dramatiques pour les étrangers qui travaillent, alors même que qu’ils sont employés dans des secteurs (bâtiment, restauration, aide à la personne) qui peinent à recruter.

Certains employeurs licencient les personnes, arguant qu’elles sont en situation irrégulière, ce qui n’est ni vrai ni faux puisque ces personnes ont déposé dans les délais une demande de renouvellement de leur titre de séjour qui n’a pas reçu de réponse. D’autres employeurs (et apparemment ils sont nombreux) profitent de l’incertitude de la situation juridique de leurs employés pour diminuer les salaires, exiger des heures de travail supplémentaires non payées, voire user de violence pour augmenter les rythmes de travail, sachant que l’étranger ne peut ni protester ni partir. L’enquête menée témoigne de détresses insupportables dans un pays dont l’administration manque à ses obligations de respecter les droits humains des étrangers et les expose à l’exploitation et au racisme.

 La question est ancienne : en 2022, le rapport du Défenseur des droits notait que les réclamations à ce sujet avaient considérablement augmenté depuis 2019 (+ 230 %).   La cause en était (en est toujours) la dématérialisation systématique des démarches avec l’exigence de prises de rendez-vous en ligne (sans pourtant que la possibilité de prendre un RV soit effective) et de plateformes de dépôt de demandes qui ne fonctionnent pas correctement.

En 2022, la question avait été tranchée, du moins sur le plan juridique : une décision du Conseil d’État du 3 juin 2022 indique que, si l’État est en droit de prévoir des plateformes numériques de dépôt de demandes de titres, il lui appartient également de se préoccuper des usagers éloignés du numérique et de mettre en place, pour eux, une solution de substitution.  Le Conseil d’État avait donc annulé le décret du 24 mars 2021 prévoyant la mise en place d’un téléservices pour le dépôt des demandes de titres de séjour, parce qu’il ne prévoyait pas de solution de substitution. Il avait de même annulé l’arrêté du 27 avril 2021 relatif aux titres de séjour délivrés en ligne en ce qu’il n’organisait pas les modalités d’accompagnement à la date d’entrée en vigueur du téléservice. Il appartenait donc au ministère de l’Intérieur de tirer toutes les conclusions de ces décisions, ce qu’il n’a manifestement pas fait.

Amnesty souligne également une question tout aussi fondamentale : en théorie, l’étranger qui demeure sur le territoire peut passer progressivement, après l’attribution d’une carte de court séjour (1 an puis 2) à une carte de séjour plus longue (4 ans, éventuellement 10). Mais pour cela, il faut répondre à des conditions relatives au contrat de travail, à la maitrise de la langue, aux ressources financières, conditions que beaucoup d’étrangers ne remplissent pas. Même en cas de séjour de longue durée, nombre d’entre eux sont donc obligés de renouveler très fréquemment leur titre, ce qui rend plus difficile la recherche d’un employeur (soumis à des formalités administratives lourdes sans avoir la certitude de pouvoir garder le salarié) et expose les étrangers, de manière répétitive, à l’attente angoissée d’une réponse préfectorale qui ne vient pas.

 En avril dernier, 10 associations ont attaqué l’État pour carence fautive, soulignant ces mêmes problèmes de délais interminables (jusqu’à deux ans), d’oublis de dossiers, de délivrance d’attestations de prolongation d’instruction qui s’interrompent parfois sans raison et que les employeurs, de toute façon, hésitent à accepter. Perte d’emploi, perte des aides au logement ou perte du logement, entrée dans la précarité, que de douleurs causent l’indifférence de l’État et ses manquements à l’égard de personnes vulnérables…