En novembre 2025, un Working Paper de l’OFCE (La reprise d’emploi est-elle toujours rémunératrice ? Guillaume Allègre et Muriel Pucci) entend évaluer la stratégie qui prévaut en France depuis 2018 (date du plan de lutte contre la pauvreté), selon laquelle le travail doit être le meilleur moyen de sortir de la pauvreté, en mesurant les incitations financières. L’étude, en réalité, répond à plusieurs questions qui tournent autour ce thème : si le travail est toujours plus rémunérateur que l’inactivité, ce qui n’est pas contestable, à combien se monte le « gain supplémentaire effectif » du travail payé au SMIC, si l’on tient compte, pour le calculer, du revenu professionnel, du versement éventuel de la prime d’activité, de la baisse des allocations sociales et de la composition du ménage, voire de l’âge des enfants ? Seconde question, l’emploi protège-t-il toujours de la pauvreté ? Troisième question, le minimum garanti (RSA) permet-il de protéger de la grande pauvreté ?
La réponse à la première question (quel gain effectif en cas de reprise d’emploi ?) repose sur l’étude de cas-types : personne seule passant de l’inactivité à ½ SMIC mensuel, ou à 1 SMIC ou à 1,5 SMIC mensuels, couple avec deux enfants et disposant désormais, soit d’un seul revenu professionnel, soit de deux revenus. La conclusion est que le gain effectif, toujours nettement inférieur au revenu professionnel supplémentaire, est hétérogène selon les cas : une personne seule garde 49 % de son nouveau revenu professionnel si elle reprend un emploi à un demi-SMIC, et 58 % avec un SMIC à taux plein. Le gain de revenu sera apparemment très proche de ce dernier dans un couple avec deux enfants dont un seul membre retravaille avec un SMIC plein (60 %) mais le gain en niveau de vie sera bien moindre (51 %), parce que ce surplus doit être partagé entre davantage de personnes. Si la reprise de travail est à mi-temps dans cette configuration familiale, le gain effectif passe à 57 % du nouveau revenu professionnel et il n’est acquis que par la prime d’activité : si la personne ne la demande pas, le gain est nul. Le gain est plus élevé si le deuxième conjoint reprend lui aussi un travail à plein temps (65 %). La situation est différente lorsque les enfants n’ont pas l’âge scolaire et doivent être gardés : l’incitation à passer de l’inactivité au mi-temps et du mi-temps au temps plein est alors très faible.
L’étude met en lumière le rôle particulier que joue la prime d’activité. Cette prestation remplit bien le rôle qui lui a été assigné : elle contribue à rendre le travail plus rémunérateur que les prestations sociales. Mais, du fait des règles auxquelles obéit son calcul, les gains diffèrent nettement selon que les personnes retravaillent à temps complet ou à mi-temps, selon le montant (et la nature) du revenu du conjoint et selon le nombre d’enfants. Le gain effectif le plus faible est la reprise d’un travail à mi-temps avec trois enfants et un conjoint au SMIC (36 % du revenu professionnel). La prime d’activité augmente fortement le gain effectif du premier emploi dans le couple (avec un conjoint sans revenu) mais le gain au deuxième emploi se réduit dès lors que le conjoint est salarié au Smic ou à 1,5 Smic. Par ailleurs, si un des deux conjoints est au chômage, la prime d’activité du conjoint qui travaille baisse, voire est réduite à zéro. Enfin, le gain de la prime d’activité est réduit quand le salaire avoisine une zone comprise entre 1 et 1,2 SMIC, : ce gain forme une courbe en U au bénéfice des salaires plus réduits ou un peu plus élevés, ce qui n’est pas rationnel puisqu’il faudrait plutôt qu’il soit fort à ce niveau.
S’agissant de la deuxième question (le travail protège-t-il toujours de la pauvreté ?), la réponse est négative. En 2022, selon l’Insee, le taux de pauvreté des personnes en emploi est certes plus faible (7,7 %) que celui de la population dans son ensemble (14,4 %) mais sur les 9 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, 2 millions ont un emploi. Sont concernées les personnes isolées qui travaillent à temps partiel, celles dont le conjoint est sans revenu ou au chômage, parfois celles dont le conjoint est au SMIC en fonction du nombre d’enfants. Les couples biactifs au SMIC sont au-dessus du seuil de pauvreté mais plus le nombre d’enfants à charge est important, plus ils s’en rapprochent. Le développement du taux partiel est socialement coûteux.
Quant à la troisième question (le minimum social garanti protège-t-il de la grande pauvreté ? celle-ci étant définie comme un revenu égal ou inférieur à 40 % du revenu médian de la population), la réponse est tout aussi négative. Le RSA maintient sous ce seuil les couples, un peu moins les personnes isolées avec enfants. Cette situation est la conséquence d’un minimum garanti bas, qui n’évolue pas comme le SMIC horaire et représente en 2023 44 % du SMIC mensuel net.
Face à ces constats, qui montre des disparités d’ensemble, un moindre gain effectif pour les reprises à temps partiel et contribution variable de la prime d’activité à ce gain, quelles propositions ?
Si l’on veut atteindre à la fois les trois objectifs, retour au travail rémunérateur, travail permettant de sortir de la pauvreté, revenu minimum permettant de sortir de la grande pauvreté, la solution la plus simple serait de porter le niveau du RSA à 50 % du revenu médian et d’augmenter de manière importante le forfait de la prime d’activité (montant de base servant à son calcul). Mais une telle réforme est très coûteuse (24 Mds).
Faut-il alors améliorer le dispositif en faveur des temps partiels, moins avantagés aujourd’hui ? La lutte contre la pauvreté en serait améliorée mais pas l’incitation à l’emploi, qu’il vaut mieux réserver aux temps pleins.… La note préconise alors d’agir plutôt en termes réglementaires pour pénaliser le temps partiel, qui est une des causes de la pauvreté au travail. Les métiers exposés sont les aides à la personne, le nettoyage, l’hôtellerie restauration.
Pour soutenir les bas salaires, vaut-il mieux utiliser la prime d’activité ou une politique salariale touchant notamment le SMIC ? La prime d’activité est aujourd’hui ambivalente : elle vient compléter les bas revenus du travail (incitation au travail) mais elle tient compte des enfants ainsi que du montant et de la nature des revenus du conjoint (lutte contre la pauvreté). Le salaire a par ailleurs de plus grandes vertus : c’est un gain individuel, prévisible, qui apporte des droits sociaux (chômage, retraite). La note préconise donc que la prime d’activité soit recentrée sur la lutte contre la pauvreté et étendue aux situations de chômage. Ce serait au SMIC d’être incitateur au travail. La note ne le précise pas mais il est peu probable que cette réforme soit choisie un jour, tant la création de la prime d’activité a été associée à une politique de soutien des bas revenus, même si elle est parfois contestée en tant que telle : est-ce à l’État de compenser les conséquences des politiques salariales des entreprises ?
Enfin, la note propose une mesure dans laquelle elle voit une aide à la « sortie de l’assistance » mais qui est surtout une mesure de bon sens. Aujourd’hui, le RSA ne permet pas vraiment de vivre. Mais tout revenu annexe (aide familiale ponctuelle, prise en charge de médicaments, revenu d’une petite location) est déduite du RSA. Ces dispositions incitent à la fraude et sont irréalistes. La note propose un abattement sur les petits revenus annexes et une disposition permettant de garder intégralement les premiers revenus d’activité, pour faire face aux frais de reprise du travail.
La réflexion de l’OFCE est importante : la réussite de l’objectif d’incitation à l’activité doit être évaluée au regard des revenus perçus. Le chiffrage par cas-types permet de s’interroger sur les incohérences ou les manques du dispositif mais appelle aussi à mieux clarifier les intentions. Une telle étude doit être complétée par l’évolution des trajectoires des bénéficiaires du RSA vers l’emploi, en mesurant le caractère durable ou temporaire de la reprise d’emploi : il faudrait ainsi établir un bilan de la récente réforme du RSA. Reste de même à établir le bilan de la réforme des prestations chômage de 2023, où la réduction de l’indemnisation a été plaidée, tout comme les précédentes mesures sur la baisse des prestations, au nom de l’incitation à la reprise d’emplois rapide. Tout en notant l’augmentation des « fin de droits », la récente évaluation de l’UNEDIC sur la réforme de 2023 renvoie cette question des parcours à des travaux « plus approfondis nécessitant davantage de recul ». En tout état de cause, retenons une dernière leçon de l’étude de l’OCDE : même si les outils utilisés ne sont pas identiques, l’incitation financière au travail et la lutte contre la pauvreté sont des objectifs qui se conjuguent et ne doivent pas être traités séparément.