Consommation prévisionnelle d’électricité: choisir une stratégie

Travail et pauvreté
22 décembre 2025

Consommation prévisionnelle d’électricité: choisir une stratégie

RTE, filiale d’EDF, gère le réseau de transport d’électricité et a pour mission d’ajuster la production et la consommation. L’organisme est surtout connu pour réaliser des études sur le recours à telle ou telle énergie dans le cadre de la transition énergétique. Ainsi, il a été chargé, en 2019, d’une étude prospective publiée en 2021 (et actualisée en 2023) qui a fait date, Futurs énergétiques 2050, produisant (et commentant) 6 scénarios de mix énergétique permettant d’atteindre la neutralité carbone d’ici trente ans.

RTE publie en outre, à intervalles réguliers (le dernier date de 2023) un « bilan prévisionnel » pluriannuel, à horizon de 5, 10 ou 15 ans, pour définir les perspectives du système électrique.

Le bilan 2025-2035 publié en ce mois de décembre 2025 a été remarqué : il acte d’un risque de surproduction électrique par rapport à la consommation, que RTE impute à un double phénomène : l’augmentation de la production (avec l’essor des renouvelables et le redressement de la production nucléaire qui avait faibli en 2022) et la décroissance de la consommation de 2017 à 2023, avec une stagnation depuis lors (483 TWH en 2017, 450 TWH depuis 2023). Cette stagnation serait liée notamment au contexte économique et politique et à une plus grande sobriété et efficacité, peut-être aussi au retard de la transition énergétique dans les transports, l’industrie ou le bâtiment. Cette surcapacité est appelée à durer quelques années compte tenu des projets d’ores et déjà engagés dans l’éolien et le solaire comme des incertitudes sur la montée en charge des projets d’électrification. Elle bénéficiera aux consommateurs puisque les prix de marché ont baissé (ils devraient rester bas sauf choc exogène, comme cela s’est produit en 2022). La situation pénalise en revanche les producteurs, même si aujourd’hui elle facilite les exportations. Si elle se confirme, elle posera également des problèmes de gestion des périodes de surcapacité, avec la nécessité de moduler la production, y compris la production nucléaire.

Pour résorber la surproduction, RTE propose deux scénarios : soit le pays accélère la décarbonation pour absorber la production actuelle et même permettre sa croissance, soit il freine la production des renouvelables, voire retarde le nouveau nucléaire (prévu pour 2040). En réalité, dans l’étude RTE, même le scénario lent verrait la consommation augmenter de 450 à 505 TWH en 2035, le scénario rapide atteignant pour sa part 580 TWH à cette date.

RTE en appelle donc à une décision publique de pilotage prévisionnel de l’énergie. L’ironie est que la France, on le sait, n’a pas, en contradiction avec la loi, de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la précédente étant obsolète tandis que la nouvelle aurait dû être adoptée avant le 1er juillet 2023. Ont joué la mauvaise volonté du gouvernement, qui ne souhaitaient pas soumettre la PPE au Parlement, puis les retards liés à la dissolution de 2024, puis l’indifférence de François Bayrou pour la transition énergétique et son absence de courage face à la droite. Le débat s’est révélé en effet politiquement miné depuis les prises de position, cet été, de la droite et de l’extrême-droite en faveur d’un « arrêt des renouvelables » au bénéfice du seul nucléaire, sur le fondement de chiffres imaginaires sur les coûts et en négligeant les analyses de plus long terme, selon lesquelles, même en repoussant à 60 ans la durée de vie du nucléaire actuel, même avec un programme de renouvellement ambitieux à partir de 2040, la part du nucléaire dans la production d’électricité ne peut que baisser à horizon 2050 : les renouvelables sont, en tout état de cause, indispensables, vérité qui devrait s’imposer même aux partisans du nucléaire.

Le rapport de RTE quant à lui, préconise clairement de privilégier le scénario de décarbonation rapide, soulignant que c’est le seul qui permette à la France de remplir ses engagements climatiques. Le résumé exécutif du bilan prévisionnel s’ouvre d’ailleurs sur la pertinence d’une électrification rapide et sur ses bienfaits : réduction de la dépendance à l’égard des énergies fossiles, amélioration de la balance commerciale (la facture énergétique oscille selon les années entre 50 et 70 Mds), perspectives de réduction des GES, avec, certes, des coûts d’investissement pour développer les énergies renouvelables et conforter les réseaux. Selon RTE, ce serait même le moment ou jamais, compte tenu des prix bas, de relancer l’électrification. La concrétisation rapide des projets d’électrification qui ont émergé et sécurisé leur accès au réseau au cours des dernières années est par ailleurs le meilleur moyen, dit RTE, de résorber l’épisode de surcapacité et de rapprocher la consommation d’électricité avec la trajectoire de croissance. RTE lie en effet croissance et choix du scénario de décarbonation rapide tandis que le choix du scénario de décarbonation lente ne peut, selon RTE, qu’être provisoire en actant d’une croissance lente qui renonce à préparer l’avenir.

Nombre d’experts rejoignent ces choix, tels Jean-Marc Jancovici, responsable du cercle de réflexion The shift project, très favorable au nucléaire, et l’avocat spécialisé dans les questions climatiques et environnementales Arnaud Gossement. Le premier recommande en complément de moins fiscaliser l’électricité et davantage les énergies fossiles, d’accélérer fortement la production et la vente de petits véhicules électriques fabriqués en France et d’accélérer l’électrification dans l’industrie. Le second souligne que RTE rappelle des vérités évidentes : la priorité est de réduire la dépendance de la France aux énergies fossiles et de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

La décision récente de l’Union européenne de renoncer au tout électrique de la production automobile en 2035 est, dans ce contexte, un mauvais signal. Pour autant, le débat sera politique plus que financier.… Il sera d’autant plus difficile de le trancher que les prises de position de la droite et de l’extrême droite ne sont pas rationnelles : peu importe que les scénarios envisageables (1) reposent quasiment tous sur une combinaison entre nucléaire et énergies renouvelables, avec simplement une variation de la proportion réservée à ces deux origines. Peu importe que le nucléaire soit cher et lourd à construire et pose de délicates questions d’alimentation, d’impact environnemental et de risques sécuritaires. Pour la droite et l’extrême droite, être favorable au nucléaire intégral, c’est être patriote. Prendre en compte les énergies renouvelables, c’est être de gauche. Avec de pareilles analyses, la PPE aura du mal à être adoptée un jour et, plus grave, dans 20 à 25 ans, la pénurie d’électricité peut survenir…

 

  • Sauf un qui, avec 100 % de renouvelables, est quasi-unanimement jugé de réalisation difficile