La fonction publique dans la campagne présidentielle : le grand n’importe quoi

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La fonction publique dans la campagne présidentielle : le grand n’importe quoi

Sur le thème de la fonction publique, les candidats à la primaire de droite ont donné libre cours à une hargne anti-fonctionnaires : les suppressions d’emplois vont de 200 000 (A. Juppé) à 600 000 (F. Fillon) sur le quinquennat, seul un candidat (J-F Poisson) proposant de renforcer les effectifs consacrés à la certaines fonctions, Défense, diplomatie, justice et santé publique (1). Plusieurs candidats proposent de faire passer à 39 h le temps de travail dans la fonction publique, N. Kosciusko-Morizet envisageant, avec ironie, d’augmenter le temps de travail à 35 h., niveau légal actuel. Un candidat, N. Sarkozy, fidèle à l’analyse que, pour rendre les fonctionnaires productifs, il faut les payer davantage, envisage d’aligner la rémunération sur 37 puis 39 h, un autre à l’inverse, F. Fillon, trouve dans cette augmentation du temps de travail la possibilité de supprimer des postes. Enfin, plusieurs candidats veulent soit supprimer le statut de la fonction publique (« sans rétroactivité », insiste J-F Copé), soit le réserver aux fonctions régaliennes. L’un d’entre eux (A. Juppé) ne propose « que » son assouplissement, insistant sur le recours aux licenciements en cas d’insuffisance professionnelle ou de refus de changer d’emploi lors de réorganisations de service, ce qui, à vrai dire, ne fait que reprendre les textes actuels tout en suggérant que ceux-ci sont trop laxistes.

Après la primaire de la droite, le débat s’est en partie apaisé : le candidat Macron a proposé de réduire le nombre de fonctionnaires de 120 000 seulement (dont 50 000 dans la fonction publique d’Etat) mais aussi de créer des emplois de police et de gendarmes (10 000) et d’enseignants du primaire (12 000) dans les zones prioritaires.

Nombre, efficacité et temps de travail des fonctionnaires : des questions fondées et légitimes

Sur le fond, il est sain de se poser la question du nombre des fonctionnaires. En prenant en compte l’ensemble du personnel des « administrations publiques » (qui relève parfois du droit privé, tels par exemple les agents des organismes de sécurité sociale), la Nation a consacré aux dépenses salariales 281,5 Mds en 2015, soit 23 % des dépenses publiques. Dans cet ensemble, pour la fonction publique au sens strict du terme (soit 5,4 millions d’agents affectés dans un organisme de droit public à caractère administratif(2), comme les services de l’Etat, des collectivités territoriales et les établissements publics administratifs qui en dépendent), les dépenses de personnel s’élèvent à 239 Mds. Ce n’est pas rien. L’évolution du nombre des fonctionnaires (en base 100 1998, le niveau est de 116 en 2014, 150 pour la seule fonction publique territoriale) questionne : ces créations d’emplois massives sont-elles utiles en période de crise et de raréfaction de l’argent public ?

Il est sain, de même, de se préoccuper de la « productivité » des agents publics, du moins quand elle est mesurable, ou, à tout le moins, de leur efficacité, même si aujourd’hui, on serait bien en peine de se prononcer sur un sujet aussi compliqué. Il est normal aussi de s’interroger sur le respect du temps de travail légal : lorsque la Cour des comptes, dans son rapport d’octobre 2016 sur les finances publiques locales, indique (et prouve) que le temps de travail dans les collectivités est rarement conforme à la réglementation, lorsqu’un rapport officiel sur le temps de travail, le rapport Laurent(3), foisonne d’exemples de décisions laxistes, au bord de la légalité, voire franchement au-delà, dans les universités, la police, les collectivités territoriales ou les établissements de soins, il est normal d’être alerté(4) : la fonction publique doit au minimum respecter la loi. Surtout, elle doit mettre de l’ordre, de la cohérence et de l’équité dans les textes, pratiques, interprétations qui foisonnent et créent un maquis de privilèges, certains agents travaillant trop peu et d’autres trop.

Les choix des candidats de droite : choquants, bêtes, inapplicables
Les propositions des candidats à la primaire de la droite sont pourtant choquantes.
Ces candidats disent savoir qu’il y a trop de fonctionnaires. Ils sont bien les seuls. Aucun expert n’est en mesure aujourd’hui de conforter leurs chiffres, presque au contraire. Les comparaisons internationales (notamment l’étude de l’OCDE de 2015, « Governement at a glance », qui compare le pourcentage d’agents publics dans l’emploi total dans les pays de l’OCDE) situent la France au 15e rang, dans la moyenne des pays développés, derrière la Grande-Bretagne et le Canada. Une étude plus ancienne du Centre d’analyse stratégique(5), comparant cette fois-ci les taux d’administration (emplois d’agents publics/1000 habitants) parvenait à la même conclusion.

Il est vrai cependant que ces données purement quantitatives ne disent rien sur la bonne répartition de agents dans les différentes activités publiques ni sur la qualité du service rendu. Elles ne constituent qu’une indication : la France, dont les dépenses publiques (57 % du PIB), sont très probablement excessives, n’est pas, pour autant, suradministrée. Dans ces conditions la proposition de supprimer de 5 à 11 % des effectifs mériterait au moins d’être bien étayée.

Autre point étonnant, la méthode : la suppression d’emplois ou le passage aux 39 heures sont présentés comme relevant d’une décision unilatérale toute simplette. Passons sur le fait qu’aucune entreprise privée ne pourrait aujourd’hui prendre unilatéralement la décision de supprimer 10 % de ses emplois ou d’augmenter le temps de travail au-delà du niveau légal sans une négociation avec les organisations syndicales. Le droit du travail, tel qu’il est aujourd’hui, oblige les employeurs à discuter avec les représentants du personnel d’un plan pour rendre compatibles les objectifs financiers ou organisationnels de l’entreprise et la sauvegarde de l’emploi. Il est vrai que l’Etat employeur n’a pas, quant à lui, obligation de négocier. Le plus surprenant est qu’il ne l’envisage nullement, ce qui, dans une société moderne où le Prince ne gouverne pas seul, est estomaquant.

Or, si les suppressions d’emplois publics ne sont ni négociées ni ciblées sur des secteurs où l’on peut améliorer la productivité, si elles ne s’accompagnent pas d’une analyse des emplois et de leur utilité sociale, elles vont créer des conflits sociaux sans égal et, à vrai dire compréhensibles. Un Etat employeur qui traite ses fonctionnaires comme une simple charge inapte à créer de la valeur aura ce qu’il a cherché : un conflit idéologique sur une fonction publique que certains veulent forte par principe et d’autres faible par choix partisan, conflit qui empêchera tout débat sincère.

Le choix de supprimer des emplois relève surtout d’une politique de l’esquive. Selon les candidats de la droite, le nombre de fonctionnaires dépend d’une politique de GRH « à la cravache » (on va vous forcer à travailler enfin) et à la carotte (la rémunération dépend de l’effort fait). C’est une vision pauvre et archaïque du travail. Le nombre de fonctionnaires comme leur motivation dépend de la politique publique définie. Ainsi, une politique de prévention de la récidive, de préparation de la sortie des détenus ou de mise en œuvre de peines alternatives à la détention est coûteuse en emplois (et en emplois qualifiés), plus que la détention simple. De même, une police de proximité est plus coûteuse en emplois qu’une police d’intervention. Mais ces choix sont d’efficacité meilleure, ils donnent du sens aux métiers publics et sont plus stimulants.

Les propositions de la droite, telles qu’elles sont, vont à contre-courant des urgences. Aujourd’hui, l’Etat obtient de mauvais résultats dans presque tous les domaines dont il a la charge : l’Education, la sécurité, la justice, la politique de l’emploi, le développement économique. Est-ce que la première chose à faire est de couper dans les effectifs d’une fonction publique qui porte ces politiques, avant même de se demander pourquoi on en est là et ce qu’il faut faire pour redresser l’action ? C’est dans une seconde étape qu’il faut adapter l’emploi public, ses compétences, son ampleur, aux besoins nouveaux.

Comment faire alors ?

Les politiques publiques sont premières pour décider des effectifs publics. Si on prend l’exemple de l’Education nationale, on peut gagner des emplois en supprimant des options peu fréquentées, en regroupant des filières au lycée, en transformant le baccalauréat en contrôle continu, en augmentant la taille des classes, en regroupant les collèges, en aménageant les temps de service. Clarifier le partage des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales, donner une plus grande autonomie à celles-ci, simplifier le droit fiscal, s’engager à ne plus retoucher sans cesse le droit pénal, autant de décisions porteuses d’économies. La méthode est plus difficile (il faut se poser la question de la réponse aux besoins et de la qualité du service rendu) mais plus solide. Le rapport de la Cour des comptes de 2009 sur la gestion des effectifs de l’État a raison d’en appeler, pour calibrer l’emploi public, plutôt qu’à une norme ou à un objectif chiffré tiré d’un chapeau, à une analyse par mission, qui reste à faire. Supprimer des emplois publics ? C’est possible, sans doute souhaitable, à condition de le faire avec intelligence, en liant les emplois à une réflexion sur les politiques.

Suzanne Maury, IGAS, enseignante à l’IEP et à l’IRA de Lyon

1A. Juppé propose aussi de créer 5500 emplois supplémentaires de policiers

2 Parmi les 5,4 millions d’agents publics, 3,85 millions sont fonctionnaires, les autres étant contractuels de droit public, militaires ou relevant de diverses catégories spécifiques (enseignants d’établissements d’enseignement privés sous contrats par exemple, qui sont des agents publics sans être soumis au statut).

3 Rapport sur le temps de travail dans la fonction publique, Philippe Laurent, Président du Conseil national supérieur de la fonction publique territoriale, mai 2016

4 Choix prudent, sinon timoré, le Ministère de la fonction publique a mis en place des groupes de travail avec les organisations syndicales sur ce sujet dont les conclusions seront déposées fin 2016. Nul ne sait donc aujourd’hui si des suites seront données à ce rapport. 5 Centre d’analyse stratégique, Tendances de l’emploi public, février 2011.