Définir une nouvelle politique pénale

La CFDT en première ligne ?
31 mars 2017
Le migrant, bouc émissaire d’une société malade
23 avril 2017

Définir une nouvelle politique pénale

La situation de la détention en France (surpopulation des maisons d’arrêt et conditions de détention indignes) est bien connue. Les études sur la politique pénale sont moins nombreuses aujourd’hui, après le foisonnement de 2013 lié à la préparation de la loi Taubira du 15 août 2014 : pourtant, c’est bien la politique pénale qui provoque l’augmentation du taux de détention (+ 29 % depuis 10 ans) et la hausse des prévenus incarcérés (ceux-ci composent 30 % de la population carcérale).

Toutefois, quelques documents existent : le Sénat a ainsi créé une mission d’information sur le redressement de la justice qui a rendu ses conclusions en avril 2017. Les choix du gouvernement peuvent également être interrogés puisque le ministre a signé, le 2 juin 2016, une « circulaire de politique pénale » et porté une « loi de modernisation de la justice au XXIe siècle » promulguée le 18 novembre 2016.

La mission d’information du Sénat : l’obsession de la peine

La mission s’intéresse pour l’essentiel (c’est normal) à la justice civile pour laquelle elle propose notamment une réorganisation des tribunaux d’instance et le développement des conciliateurs de justice. Plus généralement, elle est préoccupée des vacances de postes de magistrats et des difficultés matérielles de fonctionnement d’une justice dont le budget a pourtant augmenté de 38 % depuis 10 ans. Il est simplement loisible de se demander si le ministère a besoin d’une mission parlementaire pour lui rappeler (dans 127 propositions qui oscillent d’une réforme constitutionnelle à la mise en place de logiciels) qu’il est impératif de recruter, de dématérialiser les procédures et de prévoir les crédits nécessaires pour financer l’aide juridictionnelle ou les frais de justice. Quant à la justice pénale, les propositions de la mission refusent de voir la réalité : certes, les « sorties sèches » sont déplorées mais un suivi socio-judiciaire « probatoire » est proposé pour toutes les personnes condamnées à de la prison ferme, mesure qui correspondrait à un prolongement de la peine. Ni la faisabilité ni l’utilité d’une telle proposition ne sont étudiées, notamment pour les courtes peines (36 % de peines de moins d’un an) : or, d’une part, les services n’ont souvent pas le temps de connaître le détenu ni de préparer le suivi, d’autre part, ce sont les courtes ou les très courtes peines qui créent elles-mêmes une désinsertion sociale, le détenu perdant, parfois pour quelques semaines de détention, travail, logement, voire famille. En outre, le référé de la Cour des comptes de mai 2016 montre combien les services d’insertion et de probation peinent déjà à définir des méthodes adaptées au suivi des populations dont ils ont la charge (aménagements de peine et personnes écrouées en milieu ouvert), sans même parler du manque de moyens. Ils ne pourront suivre « en probation » tous les sortants de prison…

Surtout, tout en soulignant la surpopulation carcérale, le rapport propose des mesures de nature à limiter encore les aménagements de peine pour « ne pas dénaturer le sens de la peine de prison » (sic) : l’examen obligatoire du juge d’application des peines en vue d’un éventuel aménagement de peine serait limité aux peines d’un an maximum (deux aujourd’hui) et les jugements devraient préciser les peines d’emprisonnement qui ne pourraient faire l’objet d’aménagement. La mesure fait froid dans le dos quand on connaît le caractère expéditif de certains jugements prononcés à la chaine (le juge regarde à peine le prévenu) et la frilosité des tribunaux devant tout ce qui pourrait apparaître comme du laxisme. Ces propositions s’inscrivent dans un contexte où le nombre des aménagements de peine a déjà baissé depuis deux ans et ne représentent qu’un peu plus de 20 % des condamnations.

Les choix gouvernementaux avant l’élection présidentielle : statu quo pour l’essentiel

Logique avec elle-même, la mission propose 15 000 places supplémentaires de prison, sans préciser si celles-ci s’ajoutent à celles déjà prévues par le gouvernement actuel. Pourtant, 30000 places de prison ont été créées depuis 25 ans : en proposer sans cesse de nouvelles, non pas pour remplacer les prisons vétustes (rien à dire) mais pour étendre le parc, c’est garantir que celui-ci restera continûment saturé si la sévérité des peines continue à croître.

La circulaire de politique pénale du garde des Sceaux du 2 juin 2016 ressemble à celles qui l’ont précédée : le ministre attire l’attention des procureurs sur trois priorités évidentes, la protection des personnes, les menaces terroristes et la délinquance financière complexe. Il rappelle des principes connus, individualisation de la peine et spécialisation de la justice des mineurs. Il ne prononce jamais le terme de peines alternatives : tout au plus mentionne-t-il l’échec de la contrainte pénale (peine alternative définie par la loi Taubira de 2014), dont il « pense qu’elle peut être utile pourtant pour remplacer les courtes peines » (on a connu des enthousiasmes plus fous).

Quant à la loi du 18 novembre 2016 sur la justice au XXIe siècle, elle ne prévoit qu’une modeste évolution des peines, au demeurant de bon sens, le déclassement des délits routiers, passibles désormais d’amendes forfaitaires.

Tout se passe comme si la politique du début du quinquennat, la conférence de consensus sur la prévention de la récidive et l’ardeur mise à prôner les peines alternatives et les « libérations anticipées sous contraintes » n’avaient pas existé. Cela prouve qu’il ne suffit pas de changer les textes. Dans un contexte où ce ne sont pas les études scientifiques qui comptent mais la conviction de l’opinion publique qu’il faut emprisonner les méchants (et que tout délinquant est un méchant), le pouvoir assimile sécurité et répression et les juges perdurent dans leurs pratiques traditionnelles, voire cèdent à leur penchant répressif.

Conseil de l’Europe, rapport d’inspection générale sur l’insertion, une ambition.

Il existe pourtant des textes porteurs d’un souffle nouveau. Le Livre blanc du Conseil de l’Europe (1) encourage les pays à ouvrir un débat national sur la politique pénale, en prenant exemple sur la Suède, le Danemark ou la Finlande qui ont réussi à faire baisser les incarcérations. Deux groupes de pays s’opposent désormais en Europe : de 2003 à 2013, les taux de détention ont baissé en Suède, en Allemagne, en Finlande et en Pologne. Ils ont augmenté au Royaume-Uni (+ 6,5 %), en Italie (+ 8,8 %), en Espagne (+ 10%) et surtout en France (+29 %). Vider les prisons n’est toutefois pas le seul objectif : pour réinsérer les détenus, les pays du nord favorisent leur autonomie et l’exercice de responsabilités et rapprochent la détention d’un milieu ordinaire de vie, avec des lieux de détention de taille limitée et « ouverts ».

En France, seuls des universitaires ou des technocrates insistent pour faire évoluer les choix : ainsi un récent rapport d’Inspection générale (2) plaide-t-il pour continuer à développer le « milieu ouvert » (travaux d’intérêt général et sursis avec mise à l’épreuve), pour « maîtriser » le recours à la détention, voire pour étudier une solution plus radicale consistant à exclure toutes les peines de détention pour les durées de peine inférieures à 2 ans afin de garantir le recours à des peines alternatives. Malheureusement, il ne se passera probablement rien dans les années qui viennent, tant les gouvernants et l’opinion publique sont tétanisés par une conception à courte vue de la lutte contre la délinquance.

Dans un entretien récent (3), le sociologue Loïc Wacquant souligne que ce qui détermine dans un pays le taux d’emprisonnement, ce n’est pas la délinquance, c’est le type de société que les citoyens veulent construire. Or, la France aime les sociétés d’apparence : elle revendique officiellement la réinsertion, alors que les lieux de détentions se polarisent sur l’enfermement et la sécurité et que la réinsertion occupe une part congrue du temps et du personnel ; elle se complait aussi dans une philosophie pessimiste de l’homme, plaquant un diagnostic de perversion même sur les petits délinquants. Il serait temps qu’elle réapprenne à faire le tri dans ses phantasmes et à faire confiance aux méthodes de réinsertion éprouvées.

Suzanne Maury, IGAS, enseignante à l’IEP et à l’IRA de Lyon.

 

1 Livre blanc sur le surpeuplement carcéral, Conseil de l’Europe, 30 juin 2016.

2 Evaluation des politiques interministérielles d’insertion des personnes confiées à l’administration pénitentiaire par l’autorité judiciaire, Inspection générale des services judiciaires, IGAS, IGF, juillet 2016

3 La fonction de la prison, site Nouveaux millénaires, défis libertaires