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L’avenir incertain de l’UNEDIC

Le « Think tank progressiste » Terra nova a publié le 18 octobre 2017 une note intitulée « Gouverner l’assurance chômage, entre étatisation et tripartisme de façade, quel chemin de réforme ? ». La note s’efforce d’anticiper la décision qui devrait être prise, courant 2018, sur la gouvernance de l’assurance chômage, à la suite de la réforme de ce régime projetée aujourd’hui.

Le projet de réforme de l’assurance chômage : droit à indemnisation et gouvernance

Jusqu’à présent, l’assurance chômage est ouverte aux seuls salariés, le plus souvent à la suite d’un licenciement, avec des conditions d’affiliation préalable (4 mois), délai au terme duquel un jour travaillé donne droit à un jour indemnisé, dans la limite de 2 ans pour les demandeurs avant 55 ans, de 3 ans ensuite. Le programme du Président Macron annonçait la création d’un régime universel d’assurance chômage qui, au-delà des salariés, couvrirait désormais les indépendants et, pour faciliter les mobilités professionnelles choisies, indemniserait les suites d’une démission, droit qui ne serait toutefois ouvert qu’une fois tous les 5 ans. La mesure participe à la construction d’une « sécurité sociale professionnelle » nouvelle, dans laquelle devrait prendre place également le droit à la formation, où l’importance du statut professionnel initial s’efface et où le rôle de la protection sociale est d’encourager les reconversions.

Le projet suscite, sans doute à juste titre, des inquiétudes, liées à un contexte de fort chômage et de déséquilibre financier durable d’un régime d’assurance qui, en 2018, aura accumulé une dette de plus de 37 Mds et dont le déficit[1], malgré une récente embellie de l’emploi et des recettes nouvelles, atteindra alors 3,3 MDS. Tel quel, il n’est pas chiffrable : il faudrait savoir si tous les non-salariés auront immédiatement droit au chômage, y compris les autoentrepreneurs qui sont à la limite entre l’entreprenariat et le salariat, et si toutes les démissions seront couvertes, surtout la première année. Les premières estimations sont lourdes toutefois. Pour en assurer le financement, le programme d’Emmanuel Macron évoquait le durcissement des règles de suspension de l’indemnisation, en cas de deux refus successifs d’emplois « décents » définis en fonction de critères de salaire et de qualification  : la proposition soulève une certaine perplexité puisque la loi du 1er août 2008 prévoit déjà la radiation de la liste des demandeurs d’emploi des personnes qui refusent deux « offres raisonnables d’emploi », elles aussi définies contractuellement lors de l’inscription à Pôle emploi, en fonction des qualifications et compétences, du salaire antérieur et d’un temps de trajet maximum. Il est vrai que l’on peut s’interroger sur l’application effective des sanctions en cas de double refus d’une telle offre: les statistiques de la DARES[2] confondent, sous le terme « radiations administratives », l’absence à une convocation, un refus de formation ou de contrat aidé et les refus de plus de deux offres raisonnables d’emploi. Le constat n’en est pas moins clair : de telles radiations sont extrêmement limitées puisque, en décembre 2016, les « radiations administratives » représentaient 1,6 % seulement du total (555 000 radiations mensuelles), dont l’essentiel concerne, personne ne le nie, l’absence à une convocation. Sans doute ces statistiques s’expliquent-elles par le fait que Pôle emploi propose peu d’offres d’emploi, seraient-elles raisonnables. Reste qu’une étude qualitative sur les quelques refus qui doivent bien exister montrerait sans doute que leur caractère « injustifié » pourrait se discuter : pour certains demandeurs d’emploi, la condition posée par la loi d’une durée de trajet d’une heure ne peut pas être raisonnablement remplie. Renforcer le suivi et le contrôle de Pôle emploi sur les demandeurs d’emploi est souhaitable : en attendre de fortes économies et des reprises d’emploi importantes est sans doute illusoire.

Depuis quelques mois, des pistes de financement plus solides ont été évoquées, comme le recul de l’âge auquel les seniors bénéficient de 3 ans et non de 2 ans d’indemnisation, déjà repoussé de 50 à 55 ans à partir de novembre 2017 par la dernière convention d’assurance chômage d’avril 2017 et qui pourrait être porté à 59 ou 60 ans. Un tel report n’a, dans son principe, rien de scandaleux : il mettrait un terme à une mesure prise pour protéger les seniors et qui se retourne contre eux, justifiant une discrimination par l’âge et donnant bonne conscience devant une mise à l’écart injustifiée du marché du travail. Reste que la mesure touchera des chômeurs de longue durée, dont les chances de réinsertion sont minces et la fragilité sociale évidente :  les transitions seront douloureuses et la mesure difficile à assumer.

Au-delà des questions financières et humaines, le projet de réforme de l’assurance chômage pose en tout cas un problème de gouvernance : depuis sa création, en 1958, le régime est négocié, défini et géré par les partenaires sociaux et exclusivement financé par cotisations. Depuis 1984, il est strictement séparé du régime de solidarité chômage destiné aux demandeurs d’emploi de longue durée financé par l’Etat. Même si la convention ne s’applique qu’après agrément de l’Etat, même si les allocations chômage sont versées par l’institution publique qu’est Pôle emploi, seule chargée du suivi et du contrôle des demandeurs d’emploi, et même si la politique de l’emploi est aux mains de l’Etat, les partenaires sociaux sont responsables du régime.

La réforme est déjà engagée : le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2018 remplace les cotisations salariales d’assurance chômage par une augmentation de la CSG, donc par un impôt, affecté également à d’autres risques sociaux. Ce changement, qui altère l’autonomie financière du régime, n’est pas anodin : l’affectation d’un impôt au financement d’un risque social impose que la protection en devienne universelle. Tout comme les projets de réforme sur le droit applicable, ce financement aura des conséquences sur la gouvernance d’un régime où les partenaires sociaux avaient jusqu’à présent le monopole des décisions.

Le programme d’Emmanuel Macron annonçait donc logiquement une « étatisation » de l’assurance chômage, tout en précisant que les « parties prenantes », en particulier les partenaires sociaux, y seraient « associés ».

La note de Terra nova étudie sur cette base les formules de gouvernance possibles. Elle ne se prononce pas sur la philosophie qui inspire la réforme, qu’elle n’évoque que d’un mot : celle-ci mériterait pourtant réflexion. Il est clair que, s’agissant des partenaires sociaux, la politique du nouveau Président est ambivalente : les récentes ordonnances réformant le droit du travail font reculer la ligne d’application d’un droit « général » applicable à toutes les entreprises et laissent aux partenaires sociaux des marges de choix, celles de passer (ou pas) un accord collectif majoritaire pour assouplir le droit étatique dans l’entreprise. Parallèlement, sans doute parce qu’il juge que les partenaires sociaux ne sauraient représenter l’intérêt général[3], le Président est partisan de mettre fin au « paritarisme de gestion », qui, même s’il s’est étiolé dans le domaine de la protection sociale, a encore un peu de vigueur dans certains domaines, celui de la formation professionnelle, avec les OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés), celui des régimes complémentaires d’assurance vieillesse des salariés (eux aussi régis par convention agréée par l’Etat) et du régime d’assurance chômage. Ces dispositifs sont tous en théorie destinés à disparaître ou à être profondément modifiés. Il est vrai qu’ils sont marqués par une tradition bismarckienne d’assurance par profession, moins adaptée à une société qui valorise la mobilité de la vie active et l’égalité des droits sociaux : l’Etat apparaît alors comme un meilleur garant du caractère universel de la protection.

Le bilan du régime d’assurance chômage

Avant d’étudier les formules possibles de pilotage du système à venir, Terra nova fait un bilan de l’assurance chômage et de son fonctionnement.

Ce bilan est loin d’être particulièrement positif : certes, les partenaires sociaux ont toujours, vaille que vaille, réussi à élaborer ensemble des compromis acceptables. Surtout, l’avantage indéniable d’un régime conventionnel est sa légitimité, aux yeux des entreprises comme des salariés, même si, compromis après compromis, les règles finissent par devenir complexes. De même, les partenaires sociaux ont fait le choix d’un système très protecteur, y compris, depuis quelques années, pour les salariés précaires, avec un dispositif de droits rechargeables qui permet d’acquérir de nouveaux droits même lors de courtes périodes de reprise d’activité. Le régime cependant est objectivement trop coûteux, son caractère anticyclique ayant surtout été mal anticipé : la dette, sans être « insoutenable » selon les termes de la Cour des comptes, reste tolérable mais seulement hors retournement des taux d’intérêt. Surtout, les règles de cumul entre les allocations et un travail salarié comme les conditions d’indemnisation sont critiquées pour favoriser la dualisation du marché du travail et, en particulier, l’essor des contrats très courts (70 % des embauches en France sont des CDD de moins d’un mois et la moitié des CDD de moins d’un moins conclus en Europe le sont en France). Enfin, le régime est mal coordonné avec le dispositif de solidarité censé en prendre le relais. Le bilan plaide en tout cas pour des évolutions, sans doute sur le fond et, par voie de conséquences, sur la gouvernance.

Les options : étatisation simple, paritarisme « régulé, tripartisme.

 L’étatisation en France a mauvaise presse. Etrangère à la tradition de la protection sociale (même si, dans les autres régimes de base, le rôle des partenaires sociaux est devenu très modeste), elle soulève mille craintes : l’on sait que la gestion de l’Etat n’est pas encadrée, dispendieuse, soumise à des considérations politiciennes. Des règles d’indemnisation et de financement définies par l’Etat seraient moins bien acceptées que des règles conventionnelles. Les partenaires sociaux risquent dans ce cas de revenir à un rôle purement protestataire potentiellement générateur de conflits.

L’Etat pourrait choisir des modes d’intervention moins brutaux. Orienter la négociation conventionnelle par un cadrage préalable de l’Etat qui en préciserait les objectifs, y compris financiers, présenterait l’avantage de ne pas provoquer de bouleversement institutionnel tout en clarifiant la place de l’Etat, qui intervient déjà dans les négociations de manière officieuse. Instituer un véritable tripartisme serait une autre possibilité : Terra nova propose dans ce cas de réunir la gestion de l’assurance chômage et du régime de solidarité et de composer la Commission tripartite en charge de négocier la convention de protection contre le chômage  à 50-50, entre représentants de l’Etat et représentants des partenaires sociaux, eux-mêmes à parité entre représentants des employeurs et des assurés. L’avantage serait d’instituer une meilleure cohérence entre droits à indemnisation et politique de l’emploi et de resserrer la coopération avec Pôle emploi, auquel les moyens de l’UNEDIC seraient d’ailleurs transférés.

Terra nova conclut cette présentation des solutions possibles par le souhait que les objectifs et les principes de fonctionnement du régime de protection contre le chômage soient préalablement clarifiés : favoriser la qualité de l’emploi, lutter contre la précarité, inciter à la reprise d’emploi, respecter une règle d’or d’équilibre financier, éventuellement par la constitution obligatoire de réserves, définir des seuils d’alerte pour réviser le système, autant de règles à afficher au départ. Il est vrai que cette énumération, pour sympathique qu’elle soit, soulève certains doutes. Lorsque l’on édicte des objectifs multiples, l’on prend souvent mal conscience de leur incompatibilité : il n’est ainsi pas certain que favoriser un retour rapide à l’emploi soit compatible avec la qualité de l’emploi. Reste que la réforme serait l’occasion de remettre à plat les priorités.

Conclusion : choisir…et bien.

Terra nova souligne les inconvénients des trois solutions proposées : elle rejette l’étatisation et elle a raison. Quelles que soient les critiques que suscite le paritarisme, il est préférable à une gestion étatique du régime, vue (c’est un paradoxe mais il est compréhensible) comme illégitime, voire arbitraire, et dépourvue de régulations raisonnables. Entre les deux options de coopération entre l’Etat et les partenaires sociaux, Terra nova ne choisit pas : elle souligne que la réussite de la première option (un paritarisme encadré) repose sur le pari selon lequel les partenaires sociaux assumeront leurs responsabilités. La deuxième (un tripartisme organisé) présente quant à elle l’inconvénient d’assurer une hégémonie de l’Etat. Choisissons : l’Etat doit encadrer la politique de protection contre le chômage, en définir les objectifs et les grandes règles, veiller à ce que les orientations qu’il poursuit soient respectées. Il doit ensuite faire confiance aux partenaires sociaux pour négocier dans les limites de ce cadre. La seule solution viable est donc celle du maintien d’une convention de protection contre le chômage négociée par les partenaires sociaux mais après que l’Etat ait précisé ses attentes. Seul ce choix protégera l’Etat et permettra d’apaiser des questions potentiellement conflictuelles. Il faut également (Terra nova le souligne) que, dans les limites du cadrage posé par l’Etat, la prochaine convention soit négociée par les partenaires sociaux, y compris l’indemnisation des démissionnaires, l’ouverture de droits aux non-salariés, les règles de suspension des allocations, les conditions d’ouverture des droits. Le choix de gouvernance est donc capital : il peut préfigurer l’échec et l’enlisement des projets si l’Etat s’impose comme seul pilote ou sa réussite s’il sait utiliser intelligemment les « corps intermédiaires ». Reste à voir si l’Etat, souvent trop arrogant, le comprendra.

[1] Prévisions financières, UNEDIC, octobre 2017

[2] Les sortants des listes de demandeurs d’emploi, DARES, juin 2017

[3] Interview du candidat Macron, Le Parisien, 2 mars 2017