Quinquennats anormaux: expliquer le désastre, reconstruire l’avenir

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Quinquennats anormaux: expliquer le désastre, reconstruire l’avenir

Le 9 décembre 2018

La Fondation Jean Jaurès a publié en novembre 2018 un inventaire de la période 2012-2017, « Retour sur un quinquennat anormal »[1]. La Fondation, proche du Parti socialiste, n’est pas mue par une volonté d’autoflagellation mais s’inquiète de l’éventuelle disparition du « socialisme démocratique » dont elle se réclame : elle veut comprendre comment un quinquennat qui s’en est inspiré a pu laisser un souvenir aussi négatif et se terminer sur un tel champ de ruines. Un tel bilan nous intéresse, pour d’autres raisons : les leçons en sont transposables au quinquennat actuel. Elles dessinent des lignes de conduite que les présidents successifs, de Chirac à Sarkozy, de Hollande à Macron, enivrés par leur victoire et sans doute prisonniers de leur camp idéologique, n’ont pas respectées. Le prix à payer est sévère : il l’a été en 2017 pour la social-démocratie comme il est aujourd’hui pour le pays. Pourtant, il ne serait pas juste de ne mettre en cause que les dirigeants : les difficultés rencontrées ont sapé leurs ambitions, sans qu’ils en soient pleinement responsables.

 Quinquennat Hollande, l’analyse du désastre

 Cafouillage et erreurs de méthode…

Le travail de la Fondation analyse pas à pas certaines réformes ou décisions très débattues : rythmes scolaires, réforme territoriale, loi travail, intervention au Mali… Il démontre que, alors même que les choix du pouvoir étaient souvent nécessaires et attendus, leur mise en œuvre a été déficiente : déficit démocratique, non prise en compte des intérêts de certains acteurs importants, autoritarisme et impréparation, voire insignes maladresses. C’est ainsi le cas pour la proposition de déchéance de nationalité, lancée sans qu’en soit mesuré l’impact juridique et en oubliant que certains sujets, parce qu’ils soulèvent des débats philosophiques profonds, sont de la dynamite.

L’ouvrage étude aussi des politiques plus larges. Ainsi, sur l’environnement et la transition énergétique, il est loisible de considérer que le bilan du quinquennat est bon, avec le succès diplomatique de la COP 21, le vote en 2015 de la loi de transition énergétique pour la croissance verte, qui fixe clairement des objectifs chiffrés, crée le chèque énergie et promet des emplois, et une loi biodiversité tardive mais ambitieuse. Pour autant (et c’est ce que tout le monde retient), l’accord de la COP 21 est vide, l’application de la loi de transition énergétique témoigne de grosses faiblesses, la politique sur le nucléaire est incompréhensible, les écologistes pointent les lacunes de la loi biodiversité, l’écotaxe poids lourds a été supprimée sur « pression populaire » et le dossier Notre dame des Landes a été mené de manière cafouilleuse. Le sentiment domine au final que la protection de l’environnement et la transition énergétique n’ont pas avancé de manière déterminante.

 …trahison des engagements pris et pratique chaotique du pouvoir

 Le quinquennat Hollande est, par son propre camp, accusé d’avoir trahi ses engagements et rompu avec la social-démocratie. L’absence de résultats obtenus malgré une politique très coûteuse en faveur des créations d’emploi a fait le reste. La Fondation Jean Jaurès nuance quelque peu ces appréciations mais ne réfute pas leur bien-fondé global.

Ainsi certains engagements de campagne, inconsidérés, ne pouvaient pas être tenus, telles l’institution d’une taxe à 75 % ou la renégociation du traité TSCG (traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) qui encadrait fermement la discipline budgétaire. D’autres étaient maladroits, comme la promesse d’un quinquennat « normal » (on a vite assimilé normalité et faiblesse) ou le slogan « Le changement c’est maintenant » : la promesse de changements rapides est un leurre et elle est vite assimilée à un mensonge. De même, si nombre de mesures du quinquennat relèvent de la social-démocratie (redistribution fiscale, mesures en faveur de l’Education nationale, tentative de réforme de la justice, insistance sur le dialogue social), des bifurcations sont indéniables : abandon des valeurs, avec la proposition de déchéance de la nationalité pour certains crimes, reconnaissance de l’importance du coût du travail (thème « patronal »), premier projet de loi travail comportant un assouplissement (limité) du droit des licenciements et plafonnant les indemnités dues aux salariés en cas de licenciement abusif. Quant aux résultats, la Fondation peut bien aligner tous les indicateurs économiques et financiers qui se sont redressés (pas, toutefois, le déficit commercial, pourtant au centre des politiques d’allégement des charges), elle a l’honnêteté de conclure que, si la situation de la France s’est améliorée pendant le quinquennat, ce n’est pas le cas de la situation des Français, tant en termes de revenus que d’emploi, malgré quelques améliorations de fin de période.

La Fondation en rajoute même : pratique chaotique du pouvoir (choc fiscal au départ, qui n’a pas épargné les plus modestes, puis ensuite décisions d’allégements plus ciblés, incohérence de la politique à l’égard des entreprises, avec des alourdissements d’impôts et des baisses de charges, errements dans des politiques sensibles, comme Calais), choix de Premiers ministres inaptes à organiser une bonne gouvernance (avec les frondeurs au Parlement et l’hostilité larvée des leaders du parti, l’élaboration des politiques n’a plus reposé que sur un cercle restreint), empiètements pathétiques de la vie privée du Président, déficits fréquents d’autorité et au final incapacité à construire un « récit » du quinquennat pour l’opinion publique qui en montrent les lignes de force et la cohérence.

Crise du quinquennat Macron, quel parallèle ?

 Le parallélisme entre les quinquennats Hollande et Macron peut surprendre, tant ils paraissent différents : le quinquennat Macron est d’orientation libérale et ses choix politiques ne se réclament pas d’une doctrine politique élaborée mais, plutôt, d’un vague parallélisme avec la gouvernance d’entreprise. L’incarnation est différente : à un Président bonhomme, sympathique et habitué à godiller, produit d’un Parti socialiste rompu aux compromis de façade, a succédé un leader charismatique, conscient de sa valeur et soucieux de montrer son autorité, qui veut trancher et tailler dans le vif. Et pourtant, leurs faiblesses, toutes choses égales par ailleurs, sont les mêmes : incohérence entre les promesses de campagne et les politiques menées et dysfonctionnement de la gouvernance.

Appliquer un programme sans respecter l’esprit de la campagne

Le président Macron affirme respecter son programme et c’est en partie vrai. Toutefois, il a fait reposer son projet sur la convergence de choix politiques relevant traditionnellement de la droite et de la gauche, en un point d’équilibre où le libéralisme économique et la priorité donnée au redressement des entreprises s’accordaient avec un libéralisme sociétal et humaniste : cet esprit d’ouverture concernait en particulier l’immigration et l’asile mais aussi l’éducation, la reconnaissance des droits des minorités sexuelles, la déconcentration de l’organisation de l’Etat avec une responsabilisation meilleure des fonctionnaires et un pacte girondin promis aux collectivités.  En outre, le candidat, certes de manière peu « théorisée », s’est montré ouvert à des formes démocratiques nouvelles, avec des échanges entre la base et le somment organisés par son « mouvement », forme plus souple et plus participative que les traditionnels partis.

Dans son ouvrage « Le paradoxe du macronisme » de septembre 2018, le sociologue Luc Rouban juge que construire une base électorale sur la convergence entre deux libéralismes (économique et sociétal) est un choix erroné : selon lui, le nombre d’électeurs séduit par un tel rapprochement serait faible, la société politique restant structurée par l’opposition droite/gauche. Le vote de 2017 n’aurait donc pas été un vote d’adhésion mais de rejet des autres candidats. Cette analyse néglige l’effondrement concomitant des partis idéologiquement structurés sur la différence droite / gauche et, de plus, une étude d’octobre 2018 du think tank Terra nova chiffre à 14 % de la population les seuls « sympathisants » du mouvement LRM, ce qui n’est pas si étroit. Mais de toute façon, la politique suivie n’a pas été celle de la convergence : la priorité a été clairement donnée aux réformes libérales. Symboliquement, le choix en 2018 de mettre en place, dès le premier janvier, les mesures d’allégement de l’impôt sur les sociétés et de transformation de l’ISF et de différer en octobre les mesures favorables au pouvoir d’achat des ménages en est le révélateur. Ce choix se poursuit, sous d’autres formes, en 2019, où les entreprises vont être les grandes bénéficiaires des mesures fiscales et sociales, même si les ménages en bénéficient pour une part, tout en étant appelés à supporter une augmentation de taxes dont on sait aujourd’hui que leur impact sur les classes populaires a été mal mesuré. Quant à la politique sur les demandeurs d’asile, elle a été aux antipodes des promesses humanistes et a provoqué l’éloignement des électeurs attachés aux droits de l’homme, choqués par son cynisme.

En outre, comme le candidat Hollande, le candidat Macron a fait des promesses inconsidérées : sur l’Europe, adoption d’un budget de la zone euro, avancée vers l’harmonisation fiscale et sociale, instauration d’une taxe européenne sur les transactions financières ou établissement de listes transnationales aux élections au Parlement européen ; sur les retraites, unification des régimes, avec une évidente méconnaissance des énormes difficultés techniques et politiques du projet…

Le point faible : la gouvernance

Le Président de la République a oublié ses promesses d’écoute et d’horizontalité.

Plus grave, il n’a pas mis en place de mécanisme de « gouvernance ». Le terme recouvre (empruntons la définition à la Fondation Jean Jaurès, qui juge que ce domaine représente une des plus graves faiblesses du quinquennat Hollande) un « pilotage de la fabrique de la décision politique », partagée entre l’exécutif, le Parlement et le parti, voire avec d’autres partenaires. Or, les parlementaires LRM ne sont pas utiles (ils alertent le pouvoir quand le mal est déjà fait) et le Président n’a pas construit de parti (le mouvement LRM ne sert plus à rien). Son ancrage dans le pays est faible. La décision politique est donc technocratique et solitaire. Le pouvoir n’a pas recherché d’autres appuis :  selon son analyse (malheureusement exacte), les pouvoirs intermédiaires, en particulier les syndicats, sont affaiblis et déconnectés de l’opinion par leurs excès (la CGT n’est pas seule en cause : le MEDEF a largement inspiré un programme Fillon étonnamment réactionnaire et certains leaders patronaux assimilaient récemment le projet de loi Pacte au communisme). Le pouvoir a de même noté l’irritation de l’opinion publique à l’égard d’élus professionnels perdus dans la routine de leurs mandats successifs. Son erreur a été d’en tirer la conclusion simplette que l’Etat pouvait incarner seul l’intérêt général, sotte conclusion qui l’a conduit à humilier ses partenaires et à s’isoler.

Affronter un contexte préoccupant

Reste que, dans l’échec constaté le contexte joue. La société est depuis longtemps inquiète, divisée, de plus en plus méfiante envers la décision politique, agitée aussi par les partis à la recherche d’une popularité de court terme : on l’a constaté ces derniers jours, la plupart des responsables politiques sont prêts, par hostilité partisane, à soutenir n’importe quelle revendication, voire à excuser la violence, voire à en appeler à l’insurrection. La situation elle-même est grave : depuis 15 ans, la France décline, sans vouloir le reconnaître, en termes de compétitivité, d’emploi, de bonne tenue des finances publiques, de solidarité entre territoires, de qualité de son éducation et de ses services publics en général. Il n’est alors pas raisonnable de promettre des résultats de court terme, comme l’ont fait, par démagogie, le Président Hollande (mise en place du Pacte de responsabilité puis de la loi Travail) comme le Président Macon (communication sur la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel qui, réformant l’apprentissage et la formation professionnelle, mettra des années à produire des résultats). Enfin, la population attend (exige ?) que le pouvoir parvienne à concilier l’amélioration de la compétitivité, du solde commercial et de l’emploi, les préoccupations écologiques, l’assainissement des finances publiques et le maintien de la redistribution sociale : les gouvernants doivent être créatifs et pédagogues…. Enfin, tous les services publics sont en crise, l’éducation, l’emploi, la justice, la sécurité et toutes les politiques ont des défaillances, politique de santé, d’énergie et d’environnement, ce qui n’est pas facile à affronter.

Quelles compétences pour un Président ?

Quelles doivent être les compétences d’un Président ? Longtemps, l’on a regretté leur ignorance en économie (F. Miterrand), leur insuffisante intégrité ( J. Chirac) ou une vulgarité caractérielle  (N. Sarkozy). Ce dernier a été le premier des présidents à être, à la différence de ses prédécesseurs, hors sol, non éduqué dans un terroir, ignorant des émotions littéraires et artistiques, sans autre vie que la conquête du pouvoir, comme l’a été ensuite F. Hollande, certes élu local mais qui reconnaissait ne lire que des rapports et jamais de roman. Corrélation ou non, la fracture avec la population, qui existait depuis longtemps, s’est creusée à partir de là, comme si la sensibilité littéraire ou artistique d’un président le rendait plus attentif. De fait la première compétence d’un Président, au-delà des déterminismes sociaux qui le marquent comme tout un chacun, est de connaître son pays, de comprendre les préoccupations de tous, classes dirigeantes et classes populaires, d’être humain. Sa seconde compétence est d’organiser des modalités de gouvernance collective qui garantissent (ou permettent d’espérer) une acceptabilité des décisions. Marqué par son appartenance socioprofessionnelle (on a le sentiment qu’il est né Inspecteur des finances), E. Macron a manqué à la fois d’humanité et de sens du collectif, dans un contexte, il est vrai, affreusement difficile. Espérons, pour nous tous, qu’il revienne en arrière et recommence son quinquennat proprement.

Pergama

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] https://jean-jaures.org/nos-productions/inventaire-2012-2017-retour-sur-un-quinquennat-anormal