Recours aux cabinets de conseil : paresse intellectuelle ou corruption?

Préjudice écologique : la justice le reconnaît mais prétend en ignorer la cause
22 juillet 2023
Consommation future d’électricité: des besoins qui ne cessent de grimper?
22 juillet 2023

Recours aux cabinets de conseil : paresse intellectuelle ou corruption?

Le rapport de la Cour des comptes Le recours par l’Etat aux prestations intellectuelles des cabinets de conseil, juillet 2023) est très différent dans sa tonalité du rapport du Sénat de 2022 sur « L’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques ».

Ce dernier sous-entendait constamment des abus : plus d’un milliard d’euros en 2021 pour des prestations intellectuelles et une concentration des contrats sur quelques grands cabinets, dans « un constat d’opacité qui alimente un climat de méfiance ». Surtout, il mettait l’accent sur le caractère illégitime d’une délégation de compétences inappropriée : selon lui, les recours excessifs aux prestations de service « mettent les consultants au cœur des politiques publiques », avec une « sous-traitance de pans entiers de la gestion de crise » et « une influence avérée sur la prise de décisions publiques ».

Le rapport de la Cour des comptes sur le recours de l’Etat aux cabinets conseil est également très critique mais plus factuel. L’on sent bien que son principal reproche est qu’en faisant appel aux cabinets de conseil, les ministres et leur administration donnent surtout dans la facilité : absence de rigueur dans les motifs de recours, mauvaise définition de la demande et carences dans le suivi du projet. L’on est ici davantage dans le registre de la négligence que dans celui de la corruption ou de l’immixtion systématique de consultants privés dans les politiques publiques.

D’abord les chiffres. S’il est vrai que, en 2021, le total des sommes dépensées est de 900 millions et qu’il a beaucoup augmenté depuis 2017, la Cour indique que les ¾ de cette dépense ont été consacrés à des prestations informatiques dans des domaines où l’Etat ne dispose pas des compétences requises. La question posée se resserre donc sur les quelque 270 millions de prestations intellectuelles stricto sensu, soit 0,25 % des dépenses de fonctionnement de l’Etat.

Le principal reproche de la Cour est que les ministères recourent à des techniques juridiques qui ne sont pas toujours adaptées, à savoir la passation d’un marché cadre large qui permet ensuite de procéder par « bons de commande » pour satisfaire une demande particulière, ce qui est plus rapide et surtout plus simple pour l’administration concernée. Toutefois, la procédure du marché cadre et des bons de commande est très adaptée pour des fournitures répétitives mais elle ne l’est guère pour des prestations intellectuelles plus ou moins complexes, le contenu dû en échange des unités d’œuvre des marchés cadres (jour-homme ou forfait) n’étant pas clairement défini : le prestataire, devant une mission compliquée, gonflera leur nombre sans grande difficulté. L’accord cadre prévoit de plus la possibilité de « compléments de mission » qui incitent à la facilité si les coûts ont été mal estimés au départ. Souvent, le marché cadre était (cela a été rectifié depuis) sans maximum, ce qui là aussi a des effets d’entrainement. La Cour préférerait que les services publics aient recours à des marchés en bonne et due forme pour des missions de prestations intellectuelles dont les contours méritent d’être dès le départ définis avec rigueur.

Au-delà, la Cour souhaiterait que les compétences internes à l’Etat soient mieux repérées et davantage sollicitées, pour éviter autant que faire se peut le recours à consultants : de fait, certains des exemples cités (« l’avenir du métier d’enseignant » à l’Education nationale ou l’appel à des « assistants à maitre d’ouvrage » pour le service du ministère de la justice en charge des opérations immobilières) n’auraient pas dû relever d’un prestataire privé extérieur : il s’agit dans un cas d’une réflexion sur l’avenir même du service public et, dans l’autre, d’une tâche permanente qui nécessite, si besoin est, des recrutements permanents.

La Cour relève ensuite l’insuffisante compétence des services en charge de suivre les marchés et leur exécution ainsi que des défaillances dans leur mise en œuvre : l’exécution est parfois beaucoup plus coûteuse que prévu. L’évaluation du service rendu est rarement formalisée. Il est rare que les conclusions finales soient complètement exploitées pour améliorer les compétences du service et les livrables sont rarement archivés correctement. Quant à la déontologie et à la prévention des conflits d’intérêts, elles sont souvent négligées.

La Cour note que la circulaire du 19 janvier 2022 a le mérite, à la suite des controverses publiques sur ce sujet, de préciser la doctrine et de mieux encadrer le recours à l’externalisation de prestations intellectuelles. L’Etat cherche donc à corriger ses défaillances : reste que ce texte reste imprécis sur certains points et que son application devra être vérifiée.

Sur le recours à des prestataires privés, il n’y a donc pas de scandale politique. Pour autant, c’est un domaine où l’action administrative s’est montrée jusqu’ici sous son mauvais jour, celui de la facilité, de l’indifférence aux coûts, du laisser-aller. C’est cela le vrai point faible, aussi inquiétant (mais moins croustillant) que les sous-entendus de gabegie et de corruption qui planaient jusqu’alors.