Émeutes de 2023: quelles spécificités? quelles réponses politiques?

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Émeutes de 2023: quelles spécificités? quelles réponses politiques?

Deux chercheurs de Sciences-Po (centre de recherche sur les inégalités sociales), M. Oberti et M. Guillaume Le Gall, ont comparé les émeutes de 2023 qui ont eu lieu à la suite de la mort du jeune Nahel à Nanterre et celle de 2005, déclenchées par la mort de Zyed Benna et de Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois. Les deux chercheurs notent que les circonstances étaient différentes, notamment parce que, en 2005, l’intention de donner la mort aux deux jeunes n’était pas manifeste alors qu’en 2023, le policier responsable a mis Naël en joue et a tiré.  D’autres différences sont notables : la temporalité des émeutes, leur géographie, leur « registre d’action » (protestation violentes ou pillages) et pour une part le profil des acteurs.

L’étude distingue deux temps dans le déroulement des émeutes : les trois premiers jours représentent un « temps émotionnel » où la colère est dirigée envers la police et les biens publics et mobilise une diversité de publics sensibilisés aux violences policières et aux discriminations (jeunes, militants associatifs, élus…), pour l’essentiel en banlieue parisienne. Sur les 145 communes concernées en 2023, 48 seulement avaient déjà connu des émeutes en 2005 : le nombre est peut-être lié au caractère intentionnel de la mort de Nahel. Les émeutes de ces premiers jours sont très concentrées sur les départements de la proche couronne mais, en 2023, s’étendent davantage qu’en 2005 vers les confins de l’Île-de-France, dans les Yvelines ou en Seine-et-Marne.

Le deuxième temps des émeutes est « insurrectionnel », concerne essentiellement de très jeunes hommes et est surtout marqué par des saccages et des pillages. 555 communes sont concernées, bien au-delà de l’Île-de-France (les communes sont réparties sur tout le territoire), dont 239 (43 %) sont des bourgs, des petites villes et des villes moyennes. 74 % de ces 555 communes ont un quartier de la politique de la ville mais toutes les villes ayant un tel quartier n’ont pas été concernées par les émeutes : les villes petites et moyennes qui en ont connues sont parmi les moins favorisées : elles sont davantage touchées par la pauvreté, le chômage, l’importance des immigrés, des familles monoparentales et des logements sociaux. La plupart n’ont pas connu d’émeutes en 2005. Les émeutes sont marquées par des pillages et par l’euphorie des jeunes, visible sur les réseaux sociaux, de s’emparer de biens de consommation convoités. 73 % des petites villes et 91 % des villes moyennes concernées ont également connu, auparavant, des rassemblements de Gilets jaunes. La protestation n’est pas la même que dans les banlieues de la première couronne parisienne pendant les premiers jours, moins axée sur la lutte contre les discriminations raciales que marquée par la question sociale, la violence de l’appropriation de biens, la délégitimation des institutions. Les premières études montrent que les villes concernées sont marquées par la ségrégation, en particulier la surreprésentation de collèges très populaires et sociologiquement très homogènes. En banlieue parisienne, 73 % des villes concernées qui ont un quartier de la politique de la ville ont une école faisant partie des 10 % les plus défavorisées de France.

Quelle réponse apportée aux émeutes par les pouvoirs publics ? Elles sont exclusivement sécuritaires et, dans leur sévérité, largement déclaratives : réponse pénale « exemplaire » et projet de placement obligatoire des jeunes délinquants dans des unités de la Protection judiciaire de la jeunesse (une loi est nécessaire qui sera discutée au nom de l’individualisation des peines), stages de responsabilité parentale ou travaux d’intérêt général pour les parents qui se sont soustraits à leurs obligations éducatives (la preuve sera délicate à apporter), contribution financière versée aux associations de victimes en cas de dégradation, modification des textes pour permettre aux policiers d’accomplir des actes de police judiciaire, possibilité de suspension pendant 6 mois d’un compte sur les réseaux sociaux. E. Macron, interrogé en juillet 2023 sur la réponse à donner aux émeutes, a répondu : « L’ordre, l’ordre, l’ordre ». La réponse est courte (la mort de Nahel est oubliée), politicienne et un peu sotte : rien sur la ségrégation sociale et scolaire, rien sur les inégalités territoriales, rien sur les discriminations, rien sur la pauvreté. Le sociologue F. Dubet a raison d’écrire que les émeutes ne parviennent plus à trouver aujourd’hui un débouché politique. Cette situation devrait, dit-il inquiéter : des ghettos perdurent, des populations se plaignent de discriminations et de violences policières et les hommes politiques ne voient de solution que dans le durcissement du droit pour protéger les biens.