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Transition énergétique: quand le gouvernement se moque du monde

 Le gouvernement a engagé, du 4 novembre au 15 décembre 2024, une consultation ouverte au grand public sur deux nouveaux documents de programmation de la transition énergétique : la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) n°3 et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) n°3, avec l’objectif de les adopter courant 2025.

Créés par la loi du 17 août 2015 relative à la transition écologique pour la croissance verte, la SNBC et la PPE sont complémentaires. La SNBC fixe, par période de 5 ans, les « budgets carbone » prévisionnels (les plafonds d’émission des GES, globalement et par grand secteur d’activité), calculés pour atteindre, par palier, les objectifs de baisse de GES fixés au niveau européen. Ainsi, la future SNBC n°3, qui couvrira les périodes 2024-2028 et 2029-2033, doit-elle aboutir, en 2030, à une baisse de 55 % par rapport aux émissions de 1990, avec en perspective, en 2050, l’atteinte de la neutralité carbone (zéro émissions nettes). La SNBC doit également définir les grandes orientations de politiques publiques nécessaires à l’atteinte de tels objectifs (dans le secteur du bâtiment, des transports, de l’agriculture, des forêts, bois et sols, de la production d’énergie, de l’industrie et des déchets). La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) définit, quant à elle, sur deux périodes de 5 ans, le mix énergétique prévisionnel, réparti entre le nucléaire, les énergies renouvelables (dont la place doit augmenter) et les énergies fossiles (à diminuer), ainsi que les objectifs de réduction de la consommation d’énergie qui permettent de « boucler » le tout.  La SNBC et la PPE sont soumis avant leur adoption, à une procédure de concertation préalable obligatoire dont l’objectif est, selon le Code de l’environnement, « d’améliorer la qualité de la décision publique et sa légitimité démocratique », sachant que le public doit être informé « de la manière dont il a été tenu compte de ses propositions ou de ses observations ».

La presse généraliste s’est contentée de souligner l’importance de ces documents prévisionnels pour la transition énergétique. L’accueil des ONG de lutte contre la détérioration du climat a été plus acide. Cela peut se comprendre : SNBC et PPE seront adoptés par décret alors qu’ils devraient l’être par la loi ; la concertation ouverte est un pur faux-semblant puisque les choix soumis au public ont déjà été adoptés et que, pour certains, leur mise en œuvre est engagée ; enfin, leur contenu est une caricature de ce que devrait être une planification écologique : l’exercice est technocratique, sa portée juridique est faiblarde et il est largement dénué de sens.

 L’évitement du vote parlementaire sur la politique énergétique

 Depuis une disposition de la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, c’est une loi (intitulée « loi de programmation Énergie-climat ») qui doit définir les objectifs et priorités de la politique énergétique nationale sur périodes successives de 5 ans, loi qui aurait dû être votée avant le 1er juillet 2023. La SNBC et la PPE n’auraient pas disparu pour autant mais auraient dû être compatibles avec les priorités définies dans la loi, en clair, en découler. De même, le Plan national intégré énergie climat, dont le règlement européen 2018/1999 exige l’établissement par chaque État-membre pour définir ses objectifs et ses actions en ce domaine à horizon 2030, devait être en accord avec les priorités de la loi Energie-climat.

Toutefois, le 10 février 2022, le Président de la République a prononcé à Belfort un discours où il fait, tout seul, sans consultation ni vote, le choix du scénario énergétique futur de la France. Il s’appuie alors sur une étude commandée en 2019 à RTE (une filiale d’EDF qui étudie les besoins futurs d’électricité et d’énergie), Futurs énergétiques 2050. Parmi les scénarios de mix énergétique proposés, le Président choisit le 6e, qui propose de prolonger à 60 ans la durée de vie des anciens réacteurs, de lancer un « nouveau nucléaire » avec, à terme, 14 réacteurs EPR2 (de type Flamanville) et « quelques » SMR, petits réacteurs modulaires de puissance réduite.  Le Président affirmait alors vouloir développer parallèlement les ENR (énergies renouvelables), surtout le solaire et l’éolien en mer, notamment pour assurer la transition entre l’ancien et le nouveau nucléaire, les premiers EPR 2 ne devant commencer à fonctionner qu’en 2035/2037.

La planification énergétique était adoptée et personne n’a bronché pour rappeler que le parlement et le public devaient impérativement être associés au choix.

Comment débattre alors d’une loi Énergie-climat qui ne sert plus à rien, surtout quand on devient minoritaire au Parlement ? On commence par la retarder, puis par préparer, fin 2023, une version mal fichue (il a été question, un temps, de ne plus y inscrire d’objectifs pour les énergies renouvelables, tant la question paraissait secondaire), puis par y renoncer. Le 10 avril 2024, le ministre de l’Industrie d’alors a officiellement annoncé qu’il n’y aurait pas de loi, pour éviter « une guerre de religion entre pronucléaire et pro-énergies renouvelables ». Il plaide alors la « volonté d’être efficace, rapide et de donner de la lisibilité ». Les industriels (le bon sens, les textes aussi) demandent pourtant une planification : il est alors décidé que la SNBC et la PPE seront adoptées par décret.

Peut-on invoquer ici un déni de démocratie ? Est-ce si grave, dira-t-on, sachant que la majorité des partis politiques est acquise au nucléaire, voire la population elle-même (selon le baromètre 2024 de l’IRSN, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, 49 % de la population sont favorables au développement du nouveau nucléaire). C’est mépriser l’écho qu’un débat au Parlement aurait pu avoir. C’est considérer aussi, on le verra, que la qualité de la programmation importe peu, qui peut être techniquement et financièrement déficiente puisque l’on peut présenter au public, comme c’est le cas aujourd’hui, des documents imparfaits, non finalisés, financièrement contestables. D’une manière générale, la France s’engage, pour un siècle, avec des coûts très lourds, dans une production d’énergie nucléaire dominante, sans avoir sans doute pleine conscience des enjeux, en tout cas sans débat approfondi.

Aujourd’hui, une consultation formelle, quasiment une tromperie

 Le gouvernement sait depuis 2021 qu’il lui faudrait revoir rapidement la SNBC n°2 et la PPE n°2 qui datent de 2020 mais sont devenues obsolètes compte tenu de l’objectif européen de baisse des émissions de GES en 2030, objectif passé en 2021 de -40 % à -55 % des émissions de 1990. Mais, de 2021 à aujourd’hui, la priorité du gouvernement a moins été de mettre à jour sa planification, même par décret, que d’engager la réalisation de la feuille de route définie par le Président en février 2022.

Pour ce faire, la loi du 22 juin 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires dote le projet de construction des futures centrales d’une « présomption de raison impérative d’intérêt public majeur » et simplifie la procédure de réexamen périodique des centrales de plus de 35 ans. A l’origine, la loi prévoyait même d’acter par avance de la construction des EPR 2 et des SMR évoqués dans le discours présidentiel mais le Conseil constitutionnel a censuré ce cavalier législatif.

De même, dès octobre 2022, un débat public a eu lieu, sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP), sur la construction de 6 réacteurs nucléaires de type EPR2, dont les deux premiers à Penly, en Seine-Maritime. La teneur de l’avis de la CNDP émis à l’issue du débat public est impertinente : il recense 33 questions essentielles (dont « le cadre général de la politique énergétique à venir », « l’économie et le financement du projet »…) auxquelles, dit-elle, ni les maîtres d’ouvrage ni l’État n’ont répondu pendant la « concertation ». Néanmoins, malgré ces manques béants, aujourd’hui, à Penly, l’enquête publique a eu lieu et les travaux préparatoires vont bientôt commencer.

Entretemps, sur la planification énergétique, le ministère de l’environnement a amusé la galerie : il a lancé en novembre 2023 une autre consultation sur « les grandes orientations » de la transition énergétique, puis une autre encore en mars 2024 sur les projets de SNBC et de PPE, consultations dont il n’existe ni bilan ni conclusions et dont on peut penser qu’il ne s’agissait que d’annonces.

Entretemps aussi, le gouvernement a trouvé le temps d’envoyer à la Commission européenne, en juillet 2024, la « mise à jour » définitive du Plan énergie climat qu’il a obligation d’élaborer. Et dont il avait transmis, fin 2023, une première version. Le document, qui engage la France, anticipe sans trop de scrupules sur l’adoption de la SNBC et de la PPE n°3 qui n’étaient même pas alors soumises à consultation. Les grandes données du Plan transmis se retrouvent aujourd’hui dans les projets actuels de SNBC et de PPE, pour une consultation d’opérette.

Une programmation énergétique imparfaite et contestable 

Ni le Plan national intégré énergie climat ni les projets de SNBC et de PPE ne sont des documents achevés.

Élaboré avec la désinvolture macronienne pour tout ce qui ne rentre pas dans les schémas de pensée du Président, le plan ne « boucle pas » et ne répond pas pleinement aux exigences européennes : il y est affirmé que la France va « tendre » à l’objectif de baisse de 30 % de sa consommation d’énergie en 2030 mais que, pour l’instant, eh bien, l’on n’y parvient pas.  En ce qui concerne la part représentée par les ENR dans cette consommation en 2030, le plan reste flou (la Commission a demandé à la France, conformément aux nouveaux objectifs européens, d’augmenter cette part à 44 %) : il se contente d’affirmer que la France atteindra ses (très modestes) objectifs de 23 ou 24 % en 2024 et que, en comptant le nucléaire, sa proportion d’énergies décarbonées sera, en 2030, élevée (58 %), ce qui suffira bien. Enfin, La France reconnaît qu’elle ne parviendra pas à atteindre une baisse de 55 % des émissions nettes de GES en 2030 (elle fixe son objectif à 51 %) à cause de la dégradation de la capacité d’absorption de ses puits de carbone, forêts et prairies.

De même, dans le projet de SNBC n° 3, les chiffres sont provisoires, la démarche n’est pas achevée, et les modèles vont, c’est promis, la finaliser.

Toutefois, les vraies inquiétudes sont autres. Des experts prennent aujourd’hui la plume pour souligner ce qu’ils appellent des Non-dits sur des points majeurs (cf. Le Monde, 6 novembre 2024), à savoir l’optimisme délibéré et imprudent sur la durée de vie des anciens réacteurs, forcément longue, sur les délais de construction des nouveaux, forcément courts, et sur le modeste développement des énergies renouvelables qui doivent faire la jonction entre les deux. Est-ce faisable ? disent-ils. Le gouvernement soutient que tout cela se passera très bien. De même, nos experts soulignent que l’estimation des coûts du nouveau nucléaire n’est pas vraisemblable et seront plus élevés que les anciens, ce qui se répercutera sur le pouvoir d’achat des ménages. Personne ne répondra puisque tout est déjà décidé.

 Une programmation technocratique, sans réalisme, sans crédibilité financière, sans portée juridique forte, qu’il faudrait reconstruire

 En 2021, le rapport de l’Agence internationale de l’énergie sur la France soulignait déjà les failles de la programmation énergétique : il évoquait son attachement excessif à des objectifs chiffrés ambitieux qu’elle s’abstenait pourtant de suivre correctement ainsi que son refus d’évaluer les résultats obtenus, surtout quand ils étaient décevants, et de rectifier ensuite sa politique.

De fait, quand on lit la SNBC et la PPE n° 3, on entre dans un monde magique où les modèles tournent pour construire le palais des fées. Comment croire que la part des énergies renouvelables, qui en 2023 atteint péniblement 22,3 % dans la consommation finale d’énergie, puisse dépasser 40 % en 2030 ?  Que le rythme annuel d’installation du photovoltaïque puisse doubler de 2022 à 2030 ?  Que, dans le contexte actuel, les surfaces agricoles de « grandes cultures » cultivées en bio puissent passer de 5 à 20 % d’ici 2030 ?  Par quel miracle les émissions du secteur des transports domestiques pourront-elles baisser de 131 MTCO2eq en 2022 à 90 MTCO2eq en 2030, alors qu’elles stagnent ou quasiment depuis 2000 ? L’énumération des orientations positives, du report modal à l’électrification des véhicules, de la diminution des trajets en voiture au développement du fret ou à l’augmentation de l’efficacité énergétique des carburants, montre que le modèle tourne sur un ensemble d’hypothèses extrêmement optimistes qui sont toutes censées se vérifier en quelques années. Mais un tel changement social ne s’opère pas en suivant un modèle informatique qui dit ce qu’on a envie qu’il dise. Dans la vraie vie, il faut non seulement construire des équipements nouveaux, ce qui est très couteux, mais une prise de conscience est indispensable, de même que des changements d’habitudes très ancrées, des mutations du travail, l’acquisition de compétence nouvelless et l’acceptation de toutes les contraintes du changement.  Il en est de même pour le secteur du bâtiment dont les émissions doivent passer de 62 à 35 MTCO2eq de 2022 à 2030 : pas de problème, le document additionne les effets de la sobriété, d’une rénovation énergétique massive, de la sortie du fioul, de la fin des chaudières au gaz, du recours à un chauffage décarboné et, bien sûr on y arrive. Et quand on n’y arrive pas, le document dit avec gentillesse qu’on va faire tourner à nouveau le modèle pour améliorer les résultats.

La presse s’est intéressée surtout à la question des moyens d’accompagnement. De fait, qu’il soit calculé par l’I4CE (58 Mds supplémentaires chaque année d’ici 2030) ou par la direction du Trésor (100 Mds, réduits à 63 Mds si l’on renonce aux investissements « bruns »), le besoin d’investissements supplémentaires par an est colossal, à partager entre État et collectivités, entreprises et ménages. Où est cette somme ? Surtout, la volonté n’y est pas, comme le montre l’indifférence du budget 2025 pour les investissements écologiques. Sans planification financière digne de ce nom, sans réflexion sur les facteurs incitatifs au changement, la SNBC et la PPE, qui n’ont aucun caractère obligatoire (même si les juges les considèrent comme des engagements de l’État dans les contentieux avec les ONG), sont des documents déclaratifs et creux.

Comment résister ? Sans doute par la protestation politique, sans doute en faisant jouer le droit. Récemment, une coalition d’ONG a demandé à la Commission de sanctionner la France pour avoir transmis un Plan national pour l’énergie et le climat non conforme aux exigences européennes, assis sur des documents de planification non encore adoptés et dépourvu de mesures consistantes. Proposons des changements : une planification énergétique solide, élaborée par une autorité indépendante après une concertation approfondie, juridiquement engageante et tenant compte des difficultés de notre société à faire face aux changements.

Pergama, le 11 novembre 2024