L’État mendiant

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L’État mendiant

La discussion du budget 2025 donne un tel sentiment de désordre qu’il vaut mieux attendre les résultats du vote final ou d’une éventuelle adoption par le jeu du 49-3 (si ce stade est atteint, ce qui n’est pas du tout certain) pour savoir où l’État va trouver les 60 Mds dont il a besoin et, surtout, pour mesurer si les économies faites ou les nouvelles ressources prélevées sont à caractère structurel, permettant d’avancer vers un rééquilibrage durable des finances publiques. Pour l’instant, les économies faites semblent surtout reposer sur un freinage ou sur un report des dépenses et les recettes nouvelles sur des prélèvements temporaires.

Il est certes peu évitable de recourir à des expédients en situation d’urgence (il faut bien trouver de l’argent) mais, dans le projet de budget 2025, l’ampleur du « provisoire » donne un sentiment de bricolage : comment rassurer les marchés financiers si un budget qui veut redresser le pays reporte à plus tard les décisions pérennes et met des rustines partout ?

Ainsi, dans les « économies », le gel des pensions (quel que soit son calendrier, qui n’est pas encore définitivement établi) est de nature à atténuer le déficit de 2025.  Mais si, dans 6 mois ou dans un an, cette dépense pèse à nouveau sans que l’on ait assaini la situation pour y faire face, on aura gagné du temps sans avoir modifié le trend des dépenses.

De même, le projet de budget a prévu une contribution exceptionnelle des grosses entreprises, qui a été alourdie puis finalement rejetée par les parlementaires et qui sera sans doute réintroduite lors du vote final (s’il a lieu) : ce type de mesures temporaires ne rassure personne, ni ceux qui voudraient établir une recette pérenne (la méthode n’est pas adaptée) ni ceux qui craignent que la mesure ne soit prolongée. Quant à l’effort temporaire demandé aux particuliers très aisés, il a été transformé en effort permanent lors des votes mais cela risque aussi d’être modifié. En revanche, la discussion de fond sur les droits de succession semble avoir tourné court, tout comme l’examen de la fiscalité sur le gaz. Rien de structurel donc.

D’autres mesures, notamment celles qui consistent à demander une aide financière aux collectivités, procurent de même des recettes qui ne sont que ponctuelles. La décision est, de plus, difficile à plaider.  Les collectivités territoriales ne sont pas responsables du déficit public : en 2023, le déficit public de l’État était supérieur au déficit public d’ensemble (un léger excédent existait par ailleurs). Toute ambition de diminuer sur le long terme le déficit public impose donc de s’attaquer au déficit de l’État et non pas de contraindre les collectivités, sur 2025, à en prendre un petit bout à leur charge.

En outre, l’État ne respecte pas alors les règles qu’il demande à tous d’épouser : chaque autorité et chaque organisme doit se sentir responsable de ses finances et la règle du jeu des transferts financiers n’a pas à changer au dernier moment, surtout quand il s’agit de rogner sur l’affectation de la TVA due en contrepartie de la suppression d’impôts locaux il y a quelques années. Par ailleurs, le fait de demander un effort financier d’économie aux départements dont chacun connaît les difficultés financières est perturbant. Il en est de même pour les communes, qui sont dans des situations financièrement très contrastées compte tenu de l’inégale richesse de leur population. Certes, les départements n’utilisent pas toujours leurs fonds à bon escient (ils interviennent sur des compétences facultatives mais valorisantes alors même qu’ils n’assument pas toujours correctement les compétences sociales dont ils ont la charge). Certes, il est loisible de critiquer l’investissement, voire la gestion des communes.  Mais demander de l’argent simplement parce que l’on en manque à des collectivités qui ne peuvent guère résister, ce n’est pas très honorable. Surtout, c’est une manœuvre de court terme qui ne pourra pas se renouveler. Comment équilibrera-t-on le budget 2026 ?

Dans un domaine particulier, on a vraiment le sentiment d’être dans la forêt de Sherwood (celle des brigands). Pendant des années, en période de chômage chronique, le gouvernement s’est inquiété, à juste titre, de l’énorme dette qu’accumulait le régime d’assurance chômage, dont les recettes étaient toujours inférieures aux dépenses. Puis sont arrivées à la fois l’embellie de l’emploi et les réformes de l’assurance chômage de 2019 et de 2021. Le régime est devenu excédentaire et a commencé à pouvoir rembourser sa dette, passée de 63,6 Mds fin 2021 à 59,3 Mds en 2023. Mais l’État n’a pas pu résister : E. Borne a imposé, dans le document de cadrage de la renégociation de l’assurance chômage de 2023, que l’UNEDIC « participe aux coûts de la politique de l’emploi », qui est, sauf erreur, de sa compétence à lui, État, l’UNEDIC n’ayant qu’une vocation d’assurance du risque.

L’État a donc ponctionné à l’UNEDIC, géré par les partenaires sociaux, 2,6 Mds en 2024 et va ponctionner 3,35 Mds en 2025 et 4 Mds en 2026, mesure qui va freiner le remboursement de la dette du régime et (un peu) renfloué l’État. Le demandeur d’emploi dont l’indemnisation a baissé en 2019 et 2021 prend donc en charge un peu du déficit ce dernier, ce qui ne le réconfortera guère. En termes de rééquilibrage des finances publiques, le dispositif n’apporte aucune plus-value : la dette sociale est plus élevée qu’elle ne le serait si l’UNEDIC avait pu la rembourser davantage mais le déficit de l’État diminue un peu. Ce n’est pas avec ce type de bouts de ficelles que l’État retrouvera son équilibre financier. Et puis, que l’État mendigote et rapine, cela manque un peu de dignité.