Jour de carence des fonctionnaires, ne pas mentir

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Jour de carence des fonctionnaires, ne pas mentir

Le gouvernement a annoncé le 27 octobre 2024 qu’il allait soumettre au vote de l’Assemblée nationale, dans le cadre de sa recherche d’économies, une disposition portant à 3 jours, au lieu d’1, le délai de carence pendant lequel le fonctionnaire arrêté pour maladie ne perçoit aucun traitement ainsi qu’une autre mesure diminuant à 90 % (au lieu de 100 %) le salaire servi pendant les trois premiers mois d’un arrêt maladie dans la fonction publique.  La Commission des finances de l’Assemblée nationale a voté en faveur de ces deux mesures introduites dans le PLF par amendement. L’économie atteindrait 1,2 Mds.

Le ministre justifie la réforme par la volonté de réduire un absentéisme « qui a explosé » depuis 10 ans et dépasse largement l’absentéisme du secteur privé, 15 jours par an contre 12, alors qu’il y a quelques années, les données étaient de 8 jours dans les deux secteurs. Il agirait également par souci d’équité puisqu’il alignerait ainsi la règle applicable à la fonction publique sur celle du secteur privé. Enfin, il a annoncé aux organisations syndicales, le 7 novembre, le gel de la valeur du point sur 2024 (aucune augmentation salariale) et la suppression de la GIPA, une prime qui garantissait aux fonctionnaires touchés par le gel de la valeur du point d’indice le maintien de leur pouvoir d’achat, disposition précieuse en cas de forte inflation.

Les données avancées par le ministre doivent être à la fois rectifiées et précisées.
Le rapport annuel sur l’état de la fonction publique donne, c’est vrai, en 2022, un écart important entre le nombre moyen de jours d’absences de l’ensemble du secteur privé (11,7 jours) et celui de l’ensemble du secteur public (14,5 jours), soit un écart de 2,8 jours. Toutefois, le ministre ne précise pas que, cette année-là, la fonction publique d’État hors enseignants était à 10 jours, soit bien en dessous du secteur privé, que les enseignants étaient au même niveau que le privé et que seules les fonctions publiques hospitalière (FPH) et territoriale (FPT) étaient très au-dessus du secteur privé, ce qui faisait passer la moyenne d’ensemble au-dessus de celle du privé.

En réalité, les comparaisons n’ont pas de sens quand elles agrègent des métiers fondamentalement différents : comment comparer une fonction publique d’État formée à 56 % de catégorie A (cadres ou équivalents) et à 20 % de catégorie C (fonctions d’exécution) et une fonction publique territoriale où ces pourcentages sont respectivement de 13 et de 72 % ? Comment comparer aux autres les métiers hospitaliers, avec leurs contraintes d’horaires et de stress et leur pénibilité physique ?

Surtout, en 2023, les données changent et l’écart, dû apparemment à la COVID et à ses séquelles, se réduit : l’on passe à 10,7 jours par an pour le secteur privé et à 12 jours pour l’ensemble de la fonction publique (soit un écart réduit à 1,3 jours), avec, toujours, une FPE et des enseignants en-dessous du secteur privé et une FPH et une FPT au-dessus. Le rapport de la Direction générale de la fonction publique note, avec plus d’objectivité que le ministre, que les absences sont le fait des femmes et des agents de plus de 50 ans et que l’on trouve plus de femmes et plus d’agents âgés dans la FPH. Il faudrait alors s’interroger sur les conditions de travail plus que sur le goût de la paresse, comme le sous-entend, assez lourdement, un ministre qui ne cache guère sa partialité.

Enfin, il est exact que, jusqu’en 2019, le privé était à 8 jours d’absence de même que l’ensemble du secteur public. A partir de 2020, tous les chiffres augmentent fortement, davantage pour l’ensemble du secteur public que pour l’ensemble du privé, mais partout : que s’est-il passé ? Les absences dans la FPH sont passées de 2019 à 2022 de 10 à 18 jours, avant de redescendre à 14 jours en 2023, à un niveau qui reste élevé : tout employeur sait que, quand les statistiques d’absences évoluent, elles disent quelque chose. Il faudrait savoir quoi. La COVID et ses conséquences ? Le poids des postes vacants ? Le deuil d’un hôpital bien considéré ? Tout simplement l’âge moyen ?

Autre rectification majeure des propos ministériels : la mesure augmentant les jours de carence n’est pas un alignement sur le secteur privé. On estime à 70 % le pourcentage des salariés du secteur privé (surtout ceux des grandes entreprises) qui bénéficient par accord collectif de la prise en charge des jours de carence et du maintien à 100 % de leur rémunération. Le ministre a contesté ces chiffres, disant que ses services n’en avaient pas trouvé la source et qu’il faudrait pour le savoir relire tous les accords d’entreprise, ce qui était infaisable. Mais l’IRDES (enquête Protection sociale complémentaire d’entreprise) mentionne ce chiffre et le récent rapport IGAS IGF de juillet 2024 Revue de dépenses sur la réduction des absences dans la Fonction publique évoque quant à lui les 2/3 des salariés du privé, ce qui est proche de l’estimation précédente.  La réalité est que la mesure aligne la fonction publique sur le moins disant du secteur privé et altère l’équité.

 Enfin, si on aligne public et privé, ne faudrait-il pas aller jusqu’au bout ? Ils sont rares les employeurs du privé qui pourraient annoncer aujourd’hui, froidement, à plusieurs millions de salariés qu’ils n’auront aucune augmentation dans l’année et que l’on rediscutera des salaires un de ces jours, au bon gré du patron. Dans le privé, il ne serait pas possible non plus de supprimer d’un trait de plume un avantage en place depuis des années (en l’occurrence la GIPA). L’État employeur n’est pas soumis au droit du travail ni aux dispositions relatives aux négociations obligatoires, est-ce équitable ?

Des experts ont en outre souligné une vérité d’évidence : dans le domaine de la gestion des ressources humaines, on ne peut seulement raisonner par chiffres. Les mesures ont d’autres effets que mécaniques. Dans un article de The Conversation, l’universitaire J-F Amadieu soulignait le risque d’effets pervers de la mesure : il jugeait possible que l’absentéisme soit réduit mais possible aussi qu’il se maintienne, voire augmente. Il est en tout cas certain que l’État ne se présente pas aujourd’hui en « manager bienveillant ». Si un jour il a envie de rendre attractifs les emplois publics, il faudra qu’il change de discours et de pratique.