Non au sucre ajouté

Jour de carence des fonctionnaires, ne pas mentir
25 novembre 2024

Non au sucre ajouté

Le 26 octobre dernier, la ministre de la santé a indiqué dans une interview qu’elle était très favorable à l’instauration d’une taxe sur les sucres ajoutés dans les produits alimentaires transformés. Devant les réactions horrifiées des agriculteurs, des entreprises agroalimentaires et…du gouvernement auquel elle appartient, la pauvre ministre a rengainé son idée et s’est rabattue sur la promesse de discussions avec le secteur agroalimentaire pour fixer des objectifs de diminution du sucre ajouté, qui, si même un jour ils sont fixés, ne seront pas mirobolants, on s’en doute. Le lot de consolation, c’est l’alourdissement de la taxe de 2012 sur les boissons sucrées, taxe jugée jusqu’ici inefficace, que les parlementaires accepteraient d’augmenter fortement dans le PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale) 2025. Les sodas oui, il faut lutter, mais le sucre ajouté dans la béchamel ou la ratatouille, c’est trop dur de l’interdire.

    En 2024, un rapport de l’ANSES (agence nationale de sécurité de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a pourtant souligné les risques de l’omniprésence du sucre dans notre alimentation (obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires…). Or, le « sucre ajouté » est partout, dit l’Agence, dans les petits pots pour bébé, les céréales du petit déjeuner, les confitures, les sauces, les plats cuisinés surgelés ou pas, frais ou en conserve, les bouillons, les produits apéritifs, les purées, les charcuteries…Sans pour autant indiquer le moindre pourcentage précis de sucres ajoutés, l’ANSES souligne le danger d’habituer les tout-petits à manger des produits sur-sucrés et note que 75 % des 4-7 ans absorbent trop de sucre, comme 60 % des 8-12 ans et, à vrai dire, comme 20 à 30 % des Français. Et encore : l’ANSES fixe à 100 g par jour la limite à ne pas dépasser pour les adultes, tandis que l’OMS évoque 50 g et certains diététiciens 30 g. Et l’ANSES de multiplier les « recommandations », éviter les sodas, ne pas promettre des sucreries pour récompenses, ne pas mettre de distributeurs de sodas dans les établissements d’enseignement et limiter les publicités. Beau programme.

La situation mériterait pourtant d’être appréciée avec un peu plus d’esprit de décision, en s’appuyant sur deux types de considération.

En premier lieu, un constat, l’importance des inégalités sociales de santé dans un pays qui dépense pourtant, pour sa « dépense courante de santé », près de 12 % de son PIB mais qui néglige la prévention, ce qui lui revient cher. En second lieu, l’inanité des « incitations », « conseils », « recommandations » dans le domaine de la santé, parce que les seuls qui sont sensibles à ces discours sont les publics déjà attentifs à leur propre santé (les publics diplômés et aisés) qui n’en ont, de ce fait, aucun besoin.

La DREES établit chaque année un diagnostic L’état de santé de la population en France, dont le dernier porte sur l’année 2022. Depuis plus de 20 ans, le constat est toujours le même : il souligne la prévalence de la surcharge pondérale chez les personnes de faible niveau de vie (14 % d’obèses en moyenne en France, plus de 20 % dans certains départements du nord), la précocité des inégalités en ce domaine (en grande section de maternelle, les enfants en surpoids sont deux fois plus souvent issus de milieux ouvriers que de catégories favorisées), enfin la plus grande fréquence avec laquelle les personnes de faible revenu sont touchées par des maladies chroniques : celles dont le niveau de vie est inférieur au premier décile développent 2,8 fois plus souvent un diabète que celles dont le niveau de vie est supérieur au dernier décile ; pour les maladies chroniques du foie ou du pancréas (hors mucoviscidose), les surrisques atteignent respectivement 2,4 et 2 pour les plus modestes par rapport aux plus aisés, tout comme pour les maladies cardiovasculaires, où l’écart est toutefois moins marqué (1,4). Enfin, la différence d’espérance de vie est importante entre les plus aisés et les plus modestes (13 ans).

Bien évidemment, l’alimentation n’est pas seule en cause : jouent aussi la faible activité physique, la consommation d’alcool, le tabac, les conditions de travail, la trop faible couverture vaccinale ou l’insuffisance du dépistage. Mais l’alimentation est majeure : une étude menée de 2009 à 2017 par l’Inserm, l’Inra et des équipes universitaires (Enquête NutriNet-Santé, in British Medical Journal, février 2018), démontre un lien entre l’importance de l’alimentation « ultra-transformée », celle que l’on achète en grande surface, et les cancers. Les personnes modestes s’alimentent mal et leur santé en est compromise.

Pendant longtemps, les responsables de la santé ne s’en sont pas préoccupés. C’est fini : un Plan national nutrition santé est élaboré depuis 2001 et, en 2013, le rapport Hercberg « Propositions pour un nouvel élan de la politique nutritionnelle française de santé publique », a conduit à l’élaboration du Nutri-score, très utile mais pas obligatoire et négligé par la junck food.

Le choix fait est cependant d’en rester à l’information et à l’avertissement. Pourtant, en 2016, un rapport de l’Inspection générale des Affaires sociales relatif au Plan national nutrition santé de l’époque soulignait que le plan, par souci excessif de consensus, restait muet sur les mesures réglementaires et fiscales qui permettraient d’imposer certaines règles aux industriels et de limiter le marketing alimentaire. Le rapport juge que de ce fait ce plan perd tout intérêt. Il a raison : s’agissant de la santé, la « sensibilisation » ne sert pas à grand-chose, voire même dédouane chacun de son indifférence. Les études existantes sur l’efficacité des actions de prévention montrent que la seule information du consommateur sur les risques d’une mauvaise alimentation n’a pas d’effets sur les comportements. Dans ces conditions, les pouvoirs publics doivent jouer leur rôle : interdire toute publicité sur les aliments à destination des enfants et réglementer davantage la composition des aliments vendus.   Dans un rapport de 2017, le Haut Conseil de la santé publique s’est prononcé en faveur d’une fiscalité modulée selon le profil Nutri-Score des produits, tenant compte de l’ensemble des paramètres de nutrition, comme les teneurs en sel ou en fibres, dont les impacts sur la santé sont bien documentés.

Pourtant, le plan actuel nutrition santé (2019-2023) se contente de dire qu’il faut « inciter les industriels à limiter le nombre d’additifs ajoutés dans l’alimentation » mais dès lors que la recherche aura montré un effet indésirable pour la santé ». Or, la recherche s’est prononcée dix fois.  Le bilan du Plan établi par des experts très respectables regrette qu’un seul accord ait pu être négocié avec la profession de boulangers pour réduire le sel dans le pian. Le sucre, on peut continuer.

Dans ces conditions, la ministre de la santé, le gouvernement, les parlementaires ont grand tort de reculer : à force de fuir leurs responsabilités par peur de soulever l’hostilité des industriels, les responsables politiques se déconsidèrent.